jeudi 29 avril 2010

P. 221. Indignation devant la censure ayant frappé Ida Grinspan

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Ida Grinspan, rescapée. 1945 (DR).

Sans haine,
Ida Grinspan témoigne :
trois gendarmes français l'ont arrêtée
avant Drancy puis Auschwitz
...
c'en est trop pour la Mairie de Parthenay
non pas l'arrestation à 14 ans
ni Drancy et Auschwitz
mais l'évocation des trois gendarmes !

L'indignation monte comme pour laver l'affront fait à Ida Grinspan.
Dans la France de 2010, se distingue encore une Mairie, celle de Parthenay, pour affirmer que le régime de Pétain fut "légitime". Pour regretter que "notre époque" mette trop "en exergue le repentir". Pour estimer que mettre en cause et à juste titre trois gendarmes français, revenait à "stigmatiser une catégorie professionnelle". Bref, pour interdire de parole Isa Grinspan sur les conditions effectives de son arrestation en 1944 avant Drancy puis Auschwitz.

Des membres du Comité Français pour Yad Vashem, avec à leur tête le Président Paul Schaffer (rescapé d'Auschwitz, arrêté... par des gendarmes français et en zone dite "libre"), répondent eux aussi et régulièrement à des invitations en milieux scolaires. Tout comme Ida Grinspan, cette déportée frappée par la censure de la Mairie de Parthenay, ces rescapés de la Shoah parviennent à mettre des mots et des images sur le judéocide. Ils témoignent pour leurs camarades jamais revenus. Au nom d'une humanité qui fut au bord de disparaître entièrement exterminée. Pour que la mémoire ne soit pas victime des nuits et des brouillards où le nazisme et ses collaborateurs voulaient la réduire en cendres. Pour que le passé éclaire présent et avenir. Pour que les jeunes sachent, comprennent, en tirent leurs propres lignes de vie...

En solidarité complète et qui se veut chaleureuse vis-à-vis d'Ida Grinspan, voici un bref résumé du scandale actuel.

NouvelObs.com :

- "La Mairie de Parthenay a censuré une lettre écrite par Ida Grinspan, ancienne déportée, qui devait être lue à des élèves dans le cadre de la Journée nationale du souvenir des victimes et héros de la déportation, selon le Courrier de l'Ouest daté du mercredi 28 avril.
Ce témoignage a heurté Michel Birault, ancien gendarme et adjoint en charge des affaires patriotiques. Ida Grinspan y évoquait son arrestation par trois gendarmes à 14 ans. Le professeur a dans un premier temps accepté, à contrecoeur, de remplacer le mot "gendarmes" par "hommes".Michel Birault a ensuite présenté le texte au maire Xavier Argenton (NC) qui, lui, a refusé sa lecture, selon un mail envoyé par l'adjoint à l'enseignante. "Ne stigmatisons pas une catégorie professionnelle qui dans ces temps troubles avait obéi aux ordres de l'autorité légitime", aurait-il dit à son adjoint. Ce texte "n'est pas de nature à apaiser les ressentiments à une époque où le repentir est malheureusement mis en exergue", aurait-il ajouté."

(28 avril 2010).

Lettre censurée d'Ida Grinspan :

- "J’ai été, par précaution, envoyée dans les Deux Sèvres alors que j’avais 10 ans, par mes parents inquiets et soucieux que je grandisse loin de la capitale.
Je suis donc arrivée dans une famille, chez ma nourrice Alice et son mari Paul et auprès de Madame Picard, ma maîtresse d’école à qui je dois ce que je sais ; je pars non pas pour me cacher mais me réfugier ! J’ai été très bien accueillie et je suis allée à l’école communale, j’ai passé mon certificat d’étude : j’étais heureuse, même si je m’inquiétais pour mes parents restés à Paris ; maman malheureusement a fait partie de la rafle du Vel' D’Hiv en juillet 42 ; je vivais sans racisme, sans anti sémitisme de la part des voisins, de mes amies de classe et des habitants du village ! J’étais la petite juive, voilà tout.


Une armée victorieuse, mais en passe d’être vaincue, et qui ne trouve rien de plus urgent que d’intimer l’ordre à se vaincus d’aller dénicher une petite juive des Deux Sèvres pour l’expédier dans l’enfer D’Auschwitz ! La patrie des Arts menant une guerre à mort contre une enfant parmi des milliers d’autres pour le seul crime d’être née !...

J’ai été arrêtée le 31 janvier 1944 par 3 gendarmes, l’inhumanité même, de ces 3 hommes, le chiffre 3 , chiffre impair qui montre bien la détermination d'être solidaires de ne pas se laisser influencer face à la jeunesse, face aux suppliques de ma nourrice, des demandes insistantes du maire de la commune pour ne pas m’emmener moi, si jeune, si innocente, qui avait la malchance d’être née juive! Alors que les armées alliées sont en train de délivrer l’Europe des allemands, 3 gendarmes français, ont obéit aux ordres de m’emmener à Niort pour connaître le pire : d’abord le camp de Drancy, puis l’enfer d’un voyage de 3 jours dans un wagon à bestiaux, plombé, avec des hommes, des femmes et des enfants pour arriver aux camps de la mort : c’était ça La Déportation. C’était un voyage terrible, où l’on devait apprendre à vivre ensembles, à faire ses besoins dans une tinette qui a débordée au bout de quelques jours, de vivre dans la saleté, le manque d’air !

On se disait que le pire était derrière nous mais il était devant nous : quand le wagon s’est ouvert un comité d’accueil allemand avec chiens et hurlements nous attendaient pour la sélection. Je me souviendrai toute ma vie de ces hommes et femmes, enfants, vieillards qui sont partis dans des camions, pour les chambres à gaz ; moi, j’ai eu la chance si l’on peut dire, d’entrer dans le camp pour y travailler avec tout ce que l’on sait de la vie quotidienne dans les camps : nous étions des numéros, et non des êtres humains ; la déportation c’est aussi un programme de déshumanisation organisée par le régime nazi.

La barbarie s'était glissée, cette nuit d’hiver, dans un hameau que tout destinait au sommeil heureux des lieux oubliés par l’Histoire. Oui j’ai donc connu jusqu’à mes 14 ans une vie loin des fracas de la guerre, des privations de nourriture, des rafles, de l’ostracisme du gouvernement de Vichy et derrière tout cela le totalitarisme nazi organisait l’éradication du peuple juif."

(s) Ida GRINSPAN
(NouvelObs.com, 29 avril 2010).


A la Mairie de Parthenay, peut-être ne serait-il pas superflu de conseiller d'inviter en ses murs l'exposition organisée par le Département de la mémoire combattante de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG). Elle décrit les plus de cinquante policiers et gendarmes reconnus comme Justes parmi les Nations. Son titre : "Désobéir pour sauver".


mardi 27 avril 2010

P. 220. Les époux Mallet, Justes de Lupersat

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Les deux frères cachés de Lupersat, André et Gilbert Getraide (Ph. Michèle Delpy / La Montagne).

Pendant huit mois
des années les plus noires

Victor et Pauline Mallet
ont abrité au risque de leur vie
André et Gilbert Getraide

Ce dimanche 25 avril, la volonté de deux anciens enfants juifs cachés à Lupersat s'est enfin concrétisée. Volonté de voir reconnaître et honorer - même à titre posthume - les époux Mallet qui, à partir de décembre 1942, les accueillirent dans leur famille de six enfants...
Cette cérémonbie s'est tenue dans la salle polyvalente de Lupersat. Elle avait été préparée par Natan Holchaker, Délégé régional du Comité français pour Yad Vashem. Ministre conseiller auprès de l'ambassade d'Israël, Shlomo Morgan a confié la Médaille et le Diplôme de leurs parents à André et à Marie Mallet.

Synthèse du dossier Yad Vashem :

- "Chemya Getrajda et son épouse Rosa, originaires de Pologne, arrivent d'Allemagne à Paris en 1934.
Chemya ouvre un atelier de maroquinerie, aidé de Rosa, dans leur appartement 104, rue Amelot, dans le 11e arrondissement de Paris.
Gilbert naît le 23 avril 1936 et André le 16 septembre 1937.

Le 14 mai 1941 les Juifs étrangers sont convoqués individuellement, pour un "examen de situation". La lettre de convocation précise que la personne qui ne se présenterait pas aux jours et heures fixés, s'exposerait aux sanctions les plus sévères. Ceux qui répondent à cette injonction ne seront pas libérés.

3 710 hommes sont ainsi arrêtés. Parmi eux se trouvent 3 430 Juifs polonais.
Chemya Getrajda, 49 ans, né le 23 janvier 1892 à Varsovie (Pologne) fait partie de ceux-là. Il est interné et sera déporté sans retour de Drancy vers Auschwitz par le convoi n° 7 du 19 juillet 1942.

Le 16 juillet 1942, Rosa et ses deux enfants échappent de justesse à la rafle du Vélodrome d'Hiver. 9 000 policiers et gendarmes rafleront 13 152 juifs à Paris et en banlieue parisienne.
Rosa et ses enfants, cachés chez des amis à Paris, parviennent ensuite à se réfugier en zone sud, avec l'aide d'un passeur. Ils arrivent à Moulins où un commissaire de police bienveillant conseille à Rosa d'aller à Mainsat (Creuse). Ils y resteront de septembre à décembre 1942.

En décembre 1942, Rosa trouve une famille prête à accueillir ses deux enfants, âgés de 5 et 6 ans, près de Mainsat.
Victor et Pauline Mallet ont une maison dans le village de Lupersat qu'ils occupent avec leurs 6 enfants. Ils accueillent chaleureusement les deux petits Juifs, en toute connaissance de cause, et les présentent comme leurs neveux.

Rosa remet à Victor et à Pauline une modeste pension pour subvenir aux besoins de ses enfants et réussit à rejoindre Nice, puis la Savoie pour organiser son départ avec ses enfants en Suisse.

Pour ne pas attirer l'attention des voisins, Victor et Pauline emmènent les enfants à l'église le dimanche.

Toute la famille s'occupera avec dévouement d'André et Gilbert durant 8 mois.
Les enfants sortent peu de la maison et jouent dans la cour sous la surveillance de Marie, la fille de Victor et Pauline qui a 19 ans. André Mallet, qui avait 12 ans à l'époque, se souvient que les enfants se cachaient sous le lit lorsque les gendarmes s'approchaient de la maison.

En juillet 1943, Rosa entre en contact avec une jeune monitrice de la maison d'enfants de Limoges. Elle vient chercher les deux enfants chez les Mallet et les convoie jusqu'à la gare de Limoges, puis à Saint-Gervais où ils rejoignent leur mère. Ils parviendront à passer en Suisse, où ils resteront tous les trois jusqu'à la Libération."


Albert et André Getraide à Lupersat (Arch. BCFYV / DR).

André Detraide :

- "Après guerre, nous ne savions même pas le nom de nos sauveurs. Notre seul indice était une photo de Gilbert et moi, en compagnie d'une dame et d'un bébé devant une maison en pierre.
Au dos de la photo, il était inscrit : Lupersat 25/04/1943."

Catherine Perrot :

- "Après plusieurs années de recherches, André Getraide et son frère Gilbert ont fini par retrouver leurs bienfaiteurs et ont tenu à ce qu'ils soient récompensés. "Ils nous ont sauvé la vie", confie simplement André Getraide (...).
C'est grâce à l'abbé André Binon, qui officie à Lupersat depuis 1946, qu'ils ont pu retrouver la trace de Victor et Pauline Mallet et de leurs six enfants (...).
La mère d'André et Gilbert parlait peu des événements vécus par la famille pendant la guerre, après la déportation de son mari à Auschwitz en juillet 1942. Les deux frères savaient seulement qu'ils avaient été cachés en zone libre, à Mainsat, de septembre à décembre 1942 et à Lupersat, de décembre 1942 à juillet 1943..."
(La Montagne, 23 avril 2010).

Sous-titre de La Montagne (DR).

NB : Nos remerciements au Délégué régional du Comité Français pour Yad Vashem, Natan Holchaker et à Catherine Perrot, journaliste, pour les documents qui ont permis la rédaction de cette page.


jeudi 22 avril 2010

P. 219. Inauguration d'une esplanade et d'une stèle des Justes à Saint-Amand-Montrond

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Mercredi 5 mai 2010
Saint-Amand-Montrond
mettra en lumière les Justes
en rejetant l'ombre
de son ancien Maire
complice de crimes contre l'humanité

Le Berry :

- "Coup de théâtre hier soir, au conseil municipal de Saint-Amand. À la toute fin de la réunion, le maire Thierry Vinçon prend la parole. Et dans un discours ferme, tourne une fois pour toutes la page Maurice Papon, qui selon ses mots, « a couvert d'ombre le glorieux passé de Saint-Amand »."

(10 avril 2010).

Thierry Vinçon, Maire de Saint-Amand-Montrond :

- "Le 16 juillet 1995, pour la première fois, un Président de la République française, Monsieur Jacques Chirac, reconnaisait la responsabilité du gouvernement de Vichy, alors dénommé "Etat français", dans la collaboration à l'entreprise criminelle nazie d'extermination des Juifs de France.

La dénonciation de cette période sombre de notre histoire s'est accompagnée d'un hommage rendu aux Françaises et aux Français qui, quotidiennement, ont agi au péril de leur vie, avec courage et abnégation, pour sauver des familles juives de la barbarie.

Ceux qui ont eu un tel comportement ont été dénommés "Justes parmi les Nations" par la commission pour Yad Vashem. Ce titre a été décerné à cette date à près de 3000 Français, dont un peu moins de 200 sont toujours en vie.

Ainsi, à côté de l'héroïsme des forces alliées et des forces de la Résistance, une autre lumière continuait à briller dans la nuit. A Saint-Amand, comme ailleurs !

Mais ce glorieux passé a été couvert de l'ombre de celui qui fut condamné en 1998, pour crime contre l'humanité.
Vous l'avez compris, le passé de Maurice Papon a assombri l'histoire de notre ville. Il est temps d'honorer celles et ceux qui se sont conduits comme des héros.

Pourquoi aujourd'hui, me direz-vous ? Une Juste du Cher est encore vivante.
Notre ville se doit de lui rendre hommage au nom de tous les Justes Saint-Amandois restés anonymes.


Je vous propose de donner à la Ville de Saint-Amand-Montrond une Esplanade afin d'honorer la Mémoire des Justes, notamment les 17 Justes du Cher dont 2 de Saint-Amand, les époux Laneurie.

Cette Esplanade des Justes se situera dans le prolongement de la Place de Juillet.

Une stèle sera dédiée à la mémoire de ces femmes, de ces hommes et de ces enfants qui ont été l'honneur, le courage et la dignité de la France.
C'est une leçon de mémoire pour l'avenir et d'espérance en la vie.

L'inauguration, si vous choisissez d'accepter ce projet de Mémoire et de Justice, se déroulera le mercredi 5 mai 2010."

Le Berry :

- "L’esplanade se situera dans le prolongement de la place de Juillet, entre la rue Gaston-Guillemain et la rue Roger-Pearon (...).
L’annonce a été très applaudie par des conseillers de tous bords."

Juliette Laneurie, Juste parmi les Nations, avec Jean-Yves, son fils adopté (Ph. Arch. fam. Laneurie / DR).

Synthèse actualisée du dossier Yad Vashem
pour les deux Justes de Saint-Amand-Montrond :

- "Pierre-Aimé et Juliette Laneurie habitaient, depuis leur mariage en 1929, à Saint-Amand-Montrond (Cher). Il avait été conseillé à Juliette de ne pas mettre d'enfant au monde, compte tenu d'une maladie héréditaire dans sa famille. Le couple prit alors la décision d'une adoption.
Ils prirent contact avec des organisations de résistance juive à Paris qui les orientèrent vers le Sud Ouest où plusieurs maisons d’Enfants avaient accueilli des gosses dont les parents avaient été emmenés.


C’est dans une de ces maisons , près de Montauban qu’ils furent mis en présence de plusieurs de ces enfants . Leur choix, difficile bien sûr, se porta sur Jean-Yves, un garçonnet asthmatique de trois ans, fils de juifs parisiens. Ils regagnèrent Saint-Amand avec lui et l'adoptèrent en bonne et due forme.
C'était le printemps 1943.


Grâce à la grande humanité de l’archiprêtre Doucet, l’enfant fut baptisé, et Jean-Yves témoigna plus tard que cela lui permit de garder la vie sauve. Tous les juifs de la ville étaient en effet enregistrés auprès des services de la mairie, conformément à la législation anti-juive de 1940.
Or, en Juillet 1944, sur l’ordre d’un chef milicien, une rafle frappa les juifs de Saint Amand et de la région. 36 d'entre eux furent exécutés dans les sinistres puits de la ferme de Guerry (près de Bourges) !


Après guerre, on ignora le sort des parents naturels de cet enfant adopté et élevé par les Laneurie.
Lorsque Jean-Yves leur annonça, après ses études universitaires à Paris, qu'il avait décidé d’épouser Jenny, une jeune fille issue d’une famille Juive des Ardennes, elle fut très chaleureusement accueillie par ses beaux parents et porta très naturellement, et avec bonheur, leur nom de famille « Laneurie ».
Jean-Yves et Jenny ont d’ailleurs élevé leur propres enfants, Florence et Olivier, dans la tradition Juive.


Pierre-Aimé et Juliette Laneurie ont été reconnus Justes parmi les Nations en 1992."


lundi 19 avril 2010

P. 218. Les Justes Pierre et Zoé de Chabot

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Entre Paris
et la Sarthe
Micheline et Béatrice Lebovici
échappèrent à la Shoah

Le calendrier en date de ce dimanche 18 avril portait la remise à titre posthume de la Médaille et du Diplôme de Justes parmi les Nations à Pierre ainsi qu'à Zoé de Chabot. Fixée dans un cadre familial, cette cérémonie réunit à nouveau l'ayant droit des nouveaux Justes, Clotilde de Chabot de Tramécourt et son amie depuis la chasse aux juifs, Béatrice Lebovici (soeur de feu Serge Lebovici, psychiatre de renom).
Michel Harel, Ministre aux Affaires administratives, représentait l'Ambassade d'Israël.
Le Comité Français pour Yad Vashem était en nombre avec Louis Grobart, Vice-Président et deux de ses Délégués régionaux, Régine Sigal et Jean-Claude Roos.

Synthèse du dossier Yad Vashem :

- "Solo Lebovici, d’origine roumaine, et Caroline Rosenfeld, née à Paris, se marient en 1913.
Le couple habite avenue Mac Mahon dans le 17e arrondissement.
Trois enfants sont nés dans ce foyer : Serge en 1915, Micheline en 1919 et Béatrice en 1923.
Solo Lebovici est dermatologue, il soigne les membres de la famille de Chabot.

Quand les Allemands frappent à la porte de son domicile Solo ( Salomon ) Lebovici n’est pas trop inquiet. Il a participé à la guerre de 1914-1918, il est décoré de la Légion d’Honneur et de la Croix de Guerre. Son héroïsme d'alors ne pèse évidemment pas aux yeux des occupants qui procèdent à son arrestation.

Par sa présence d’esprit, il sauve alors son épouse présente dans l’appartement, en martelant :
« C’est ma maîtresse, elle n’est pas juive ».
Par bonheur, Serge n’habite déjà plus chez ses parents, Micheline et Béatrice sont dans la Sarthe chez des amies.

Solo Lebovici est déporté, assassiné.

Serge prévient immédiatement ses sœurs, leur conseille de se rendre, par quelque moyen que ce soit, au Parc Soubise, propriété des de Chabot, à Mouchamps, en Vendée.
Ces jeunes filles de 19 et 23 ans, parviennent au Parc Soubise, affolées.
Timides et émues, elles sont accueillies par ces mots :
« Et bien, vous voilà enfin, on vous espérait depuis longtemps...
Nous avons ici, pendant ces vacances, beaucoup de cousins de votre âge, vous serez parmi eux.
»
Les enfants de Chabot, Clotilde, Jeanne et Charles ont pour recommandation de faire passer les jeunes juives pour des amies du cours Dupanloup.

Clotilde de Chabot, Béatrice Lebovici ont le même âge, elles deviennent amies et le sont toujours.

À la fin du mois de septembre, Béatrice et Micheline quittent la propriété, sachant que Pierre et Zoé de Chabot les auraient volontiers gardées.
Elles rejoignent leur mère à Loué, dans la Sarthe. Elles sont munies de papiers au nom de Lebovic.

Béatrice et Clotilde échangent une correspondance assidue, heureusement conservée par Clotilde de Chabot. Ces lettres sont les témoins précieux d’une tranche de vie.

Bravant les interdits, Béatrice Lebovici a le courage de venir à Paris passer une licence de Lettres. Elle est aujourd'hui Chevalier de la Légion d'Honneur et Inspectrice retraitée de l'Education nationale."


Le Parc Soubise bien après les années de guerre (Ph. BCFYV / DR).

Michel Guilloux :

- "Solo Lebovici, médecin roumain arrivé à Paris au début du siècle, ancien des tranchées de Verdun, sera capturé par la Gestapo au printemps 1942, emprisonné au camp de Pithiviers avant d’être déporté à Auschwitz, d’où il ne reviendra pas. Dans un ultime réflexe, comme le rapporte Élisabeth Roudinesco dans son Histoire de la psychanalyse en France (Fayard), il sauvera la vie de sa femme, Caroline Rosenfeld, en la présentant comme une maîtresse d’occasion."
(L’Humanité, 19 août 2000).


Emilie Cailleau :

- "Je les ai trouvés". Marie-Astrid de Chabannes pointe du doigt les inscriptions de "Pierre et Marie-Zoé Chabot" dans la roche calcaire. Cette étudiante de 21 ans éprouve une immense fierté de découvrir le nom de ces arrières-grands parents. Le sourire jusqu'aux oreilles et les cheveux blonds en bataille, la Parisienne est très émue.
Elle non plus ne connaissait pas l'histoire de ses aïeux, avant que sa mère ne la lui raconte un an plus tôt. Dans son sac rose, elle exhibe fièrement le livre fait par sa mère. Un recueil de témoignages, photos, lettres et autres archives qui a permis à ses arrières grands-parents d'être honorés de la fameuse distinction des Justes.

Sur la couverture bordeaux, une vieille photo en noir et blanc des Chabot. Elle, majestueuse dans sa robe à fleurs semble danser main dans la main avec son mari. C'est ce couple heureux qui a hébergé à l'été 42, Micheline et Béatrice, deux soeurs juives pourchassées pendant l'Occupation.
Béatrice vit aujourd'hui dans la Sarthe (...). Elle a écrit à la mère de Marie-Astrid en 1997:
"Voici 55 ans que ma soeur Micheline et moi avons trouvé à Mouchamps la porte ouverte, l'apaisement et la générosité", lit-on.
Une correspondance qui a permis aux Chabot de recevoir à titre posthume la médaille des Justes."
(Reportage sur le voyage en Israël de vingt descendants de Justes, une initiative de la Fondation France-Israël.

L’Express.fr, 18 avril 2010).

NB : Nos remerciements à Régine Sigal pour le relais entre la cérémonie et cette page.



vendredi 16 avril 2010

P. 217. Alice Ferrières, mémorialiste et Juste parmi les Nations

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Patrick Cabanel,
Chère Mademoiselle...
Alice Ferrières
et les enfants de Murat, 1941-1944
,

Préface de Mona Ouzouf,
Calmann-Lévy, Mémorial de la Shoah,
2010, 557 p.

4e de couverture :

- "Au printemps 1941, commence pour Alice Ferrières une aventure à la fois extraordinaire et « banale » qui ne prendra fin qu’à l’automne 1944.

Alice Ferrières (1909-1988), issue d’une famille protestante des Cévennes, est professeur de mathématiques au collège de jeunes filles de Murat, dans le Cantal. Scandalisée par le second Statut des Juifs, elle décide d’apporter son aide aux victimes de l’antisémitisme de Vichy. Alice envoie tout d’abord lettres et colis à des professeurs juifs français victimes du Statut, souvent des Alsaciens, puis à des Juifs étrangers assignés à résidence ou internés dans les camps de Gurs, Noé, Rivesaltes, La Guiche. De véritables amitiés se nouent, que la déportation vers Auschwitz est parfois venue briser net.
Le 6 janvier 1943, son soutien aux Juifs prend une tout autre dimension. Arrivent à Murat les premiers enfants ou adolescents qu’il s’agit de cacher dans les collèges de la ville ou dans des familles paysannes des environs. Alice travaille dès lors en étroite collaboration avec les jeunes assistants des œuvres juives de secours et de résistance. Sa maison ne désemplit plus, il s’y tient même des cours de religion et de sionisme…
Mémorialiste scrupuleuse – mais inconsciente, une chance pour nous –, Alice a conservé toutes les lettres que ses « protégés » lui ont adressées, ainsi que les copies de ses réponses. Elle a également tenu, en 1943 et 1944, un journal dans lequel sont consignées toutes ses activités et rencontres, heure par heure.

Les historiens ont parlé de la « banalité du bien » : on peut ici évoquer sa quotidienneté, accessible pour la première fois à travers un rarissime ensemble de notes et de correspondances croisées."

Alice Ferrières :

- "Au moment où le gouvernement ordonne des arrestations massives dans les milieux israélites pour les camps de concentration, je suis heureuse de vous mettre au courant des projets de mes grandes élèves : une "campagne de générosité" a été organisée dans tous les établissements scolaires de France et deux collectes seront faites (de l'argent, des jouets) par le Secours national. J'ai donc saisi cette occasion qui m'était offerte pour parler à mes élèves de nos compatriotes si cruellement persécutés pour les mettre au courant de mon activité. J'ai vu leur émotion, malgré leurs visages impassibles d'Auvergnates. (...)
Je désire que mes élèves ne restent pas indifférentes au milieu des bouleversements de cette période tragique et apprennent de bonne heure que la solidarité n'est pas une simple abstraction de l'esprit humain. Je me plais à imaginer que ces jeunes filles, en plus de cette aide immédiate, sauront conserver dans leur coeur les idées de justice et de tolérance pour lesquelles tant d'hommes sont morts."
(Lettre au bureau du Comité d'assistance aux réfugiés de Clermont-Ferrand, 11 décembre 1941.
PP. 64-65.).


Site de la Ville de Murat :

- "Alice Ferrières est nommée à l’école primaire supérieure de jeunes filles de Murat comme professeur de mathématiques en 1938.

En 1941, scandalisée par les nouvelles lois anti-juives, elle prend contact avec diverses organisations juives. Commence alors son action clandestine d’aide aux familles juives réfugiées : les enfants sont placés dans des familles des campagnes alentours, obtiennent des faux papiers, et surtout bénéficient de la générosité d’Alice. En effet, celle-ci n’hésite pas à leur rendre visite, leur envoie des colis, les console, leur écrit. C’est cette correspondance qui nous est parvenue et que Patrick Cabanel a étudié et publié aux éditions Calmann-Lévy.
Alice Ferrières a été reconnue Juste parmi les nations, ainsi que ses deux collègues Marie Saignier et Marthe Cambou."

Alice Ferrières, jeune enseignante humaniste (Ph. d'après un document du Mémorial de la Shoah / DR).

Thomas Wieder :

- "Belle-soeur du philosophe résistant Jean Cavaillès (1903-1944), Alice Ferrières (1909-1988) fut, en 1964, la première femme en France à être reconnue comme "Juste parmi les nations" par le Mémorial de Yad Vashem (…).
Nommée en 1938 professeur de mathématiques à Murat, un petit bourg du Cantal, Alice Ferrières appartient à ces héros ordinaires qui contribuèrent à faire en sorte que trois quarts des juifs de France aient survécu à la Shoah. Or ce qui est exceptionnel, dans son cas, est que nous savons tout, absolument tout, de son activité. Parce qu'elle a conservé les dizaines de lettres qu'elle a reçues de ceux qu'elle appelait affectueusement ses "protégés". Parce qu'elle a gardé les doubles de toutes celles qu'elle leur a adressées. Parce qu'elle a constitué des fiches pour chacun d'eux. Et enfin parce qu'elle a tenu un journal d'une précision hallucinante, qui permet de suivre ses faits et gestes au jour le jour, parfois même à l'heure près. Ce sont tous ces documents, conservés aujourd'hui au Mémorial de la Shoah, à Paris, que vient d'éditer avec un soin de bénédictin l'historien Patrick Cabanel.
Ces pages, poignantes d'authenticité, forment un témoignage sans équivalent sur ce que voulait dire, concrètement, aider les juifs sous l'Occupation".
(Le Monde, 9 avril 2010).


Synthèse du dossier Yad Vashem :

- "Alice Ferrières, protestante originaire des Cévennes, est professeur de Mathématiques au Lycée de Murat dans le Cantal.

Dès 1941, révoltée par l'application du statut des juifs, elle écrit au rabbin de Clermont-Ferrand et au Comité Israélite de Nîmes pour manifester sa sympathie et proposer son aide aux familles juives.
En 1943, avec Marthe Cambou, enseignante dans le même collège et Marie Sagnier, directrice de cet établissement, elle trouve des refuges pour les familles dans les fermes des montagnes et accueille une quinzaine d'enfants au sein même du pensionnat du collège.
Ce seront ensuite cinquante-trois familles juives envoyées par l'OSE et par la résistance juive que toutes trois parviennent à placer dans des maison ou dans des fermes environnantes.
Alice Ferrières, bien introduite auprès des milieux protestants, tient un journal de bord pour suivre chacun de ces enfants que Marthe Cambou est chargée de protéger tous les soirs. Aucun enfant ne sera arrêté."

NB : Une rencontre avec Patrick Cabanel est proposée par le Mémorial de la Shoah, le 6 mai à 19h. Prière de réserver auprès du Mémorial.

lundi 12 avril 2010

P. 216. Un nouveau Juste à Marseille : Charles Vial

. Dans les mains de Jean-Marie Vial, la médaille de Juste parmi les Nations au nom de feu son père, Charles Vial (Ph. BCFYV / DR).

Les parents Vidal-Naquet emportés à Auschwitz,
leurs 4 enfants ont été soustraits à la Shoah

par Charles Vidal, Juste parmi les Nations.

AFP :

- "Un industriel marseillais reçoit ce jeudi, à titre posthume, la médaille de "Juste parmi les nations", pour avoir sauvé en 1944 les petits Vidal-Naquet, une soeur et trois frères dont l'un, Pierre, deviendra historien de renom.
Jean-Marie Vial, fils de Charles décédé en 1988, devait être le récipiendaire jeudi de cette distinction remise par Simona Frankel, consul général d'Israël à Marseille, et Robert Mizrahi, président du Comité français pour Yad Vashem pour le Sud de la France."

(8 avril 2010).

France3 :

- "La médaille de "Juste parmi les nations" a été remise à titre posthume à Charles Vial, industriel marseillais, qui a sauvé en 1944 les quatre enfants Vidal-Naquet, lors d'une cérémonie à la mairie de Marseille.


"Arracher des innocents à la barbarie, telle fut la tâche que s'était assignée Charles Vial, naturellement, modestement, courageusement, parce que seul son coeur parlait", a déclaré le maire UMP de Marseille, Jean-Claude Gaudin.

"Le peuple juif n'oublie pas ces héros qui ont sauvé ses enfants. Je sais bien que ces justes ne demandent jamais aucun honneur mais l'Etat d'Israël tient à distinguer chacun d'entre eux", a affirmé la consul général d'Israël, Simona Frankel, avant de remettre la médaille à Jean-Marie Vial, fils de Charles décédé en 1988."
(8 avril 2010).


Synthèse du dossier de Yad Vashem :

- "Le père Lucien Vidal-Naquet, né en février 1899, est avocat.
La mère Marguerite Valabrègue naît en mai 1907. Sa famille est originaire de Carpentras.
Ils habitent rue de Varenne Paris 7ème.
En 1939, Lucien Vidal-Naquet est mobilisé.
Son épouse et ses trois enfants, Pierre né en juillet 1930 décédé en juillet 2006, François né janvier 1932, Aline née en février 1933 partent en Bretagne. Naissance d’un petit frère,Yves en février 1940 décédé en juin 1940.

Juin 1940, c’est l’exode. La famille parvient à Marseille le 1er juillet et s’installe au deuxième étage de la villa de la mère de Mme Vidal-Naquet, dans l’appartement de Félix Valabrègue.
Le 12 mai 1942, Lucien Vidal-Naquet est exclu du barreau de Paris. Il rejoint sa famille.
Le rez-de-chaussée et le premier étage de la villa ont été réquisitionnés par l’organisation TODT. La milice siège non loin de là (425 rue de Paradis).


Le 14 mai 1944, Charles Vial, ami de la famille, conseille de fuir car il y a eu menace de dénonciation.
Le lundi 15 mai 1944, un Français et un Allemand procèdent à l’arrestation de Lucien et de Marguerite Vidal-Naquet. Ils seront déportés à Auschwitz par le convoi N° 75 et y seront assassinés.

Margot Vidal-Naquet est parvenue à confier son bébé Claude, né janvier 1944, à des voisins (Claude décèdera en 1964).
François méprisant tout danger rentre à la villa alors qu’on arrête ses parents. Sa mère lui ordonne de s’échapper. Il se réfugie chez son professeur de piano.
Pierre, qui revient d’une exposition, est intercepté par ses amis Alain Finiel et JP Miniconi. Il passe les nuits suivantes chez un professeur.
Charles Vial fait accompagner François chez un couple (il ne se souvient pas du nom), rue Sainte.

48 heures plus tard, Charles Vial organise le départ des deux fils aînés dans une ferme du Lubéron à Cucuron, chez l’ancien chauffeur de leur grand-mère .

L’administation du lycée, alertée par Joséphine, cuisinière des Vidal-Naquet, retient Aline. Celle-ci passe les nuits suivantes chez Melle Colomb, surveillante du lycée puis chez une camarade C. Gros. Claude et Aline sont ensuite confiés à Mme Passalaigue professeur d’histoire.

Le 5 juin, Charles Vial organise le départ de Claude et d'Aline. Il les accompagne, en voiture, dans leur famille, surmontant tous les obstacles que l’on peut imaginer. Charles Vial dépose les enfants à Saint Agrève, en Ardèche.
Pendant l’absence de son mari, Madame Vial reçoit la visite d’un militaire allemand venu réquisitionner son véhicule. «Nous n’avons plus d’auto depuis 1940» répond-elle avec sang-froid.

Félix VABRÈGUE (frère de Marguerite Vidal-Naquet) remercie Charles VIAL, par un courrier daté de novembre 1945, pour son aide qui a permis le sauvetage de ses neveux et nièce. Charles Vial a soustrait à l’occupant les biens de son ami Félix Valabrègue."

Témoignage de François Vidal-Naquet :

" Le 15 mai 1944, nous sommes tous les trois au lycée. Aline et Pierre sortent à 5 heures. Je sors à 4 heures. Je rentre à la maison et je remarque une 11 CV garée de-vant le portail. Le berceau dans lequel devait se trouver Claude est dans le jardin, mais il est vide. Je monte au second étage ; dans le hall d’entrée, Papa est debout face à deux hommes, dont l’un porte un ciré noir. Maman est dans notre chambre, accoudée à la fenêtre en train de pleurer. Mon père me demande de baisser ma culotte pour montrer à ces messieurs que je ne suis pas juif. Papa me dit que maman avait été autorisée à emmener Claude chez nos proches voisins (la famille Baux) et me demande d’aller faire ma valise. Je suis alors assis dans un fauteuil à côté de la radio (où nous écoutions Radio Londres) et je me souviens, avec plus de soixante ans de recul, m’être dit : « C’est quand même con de mourir à douze ans ! » En m’aidant à mettre mes affaires dans une mallette, ma mère me donne une bourse avec quelques pièces qui lui venaient de son frère Pierre, tué au chemin des Dames le 19 mai 1917, et glisse entre deux sanglots : « Ils te surveilleront moins que nous… Tache de t’échapper au moment où on partira. » Les agents de la Gestapo nous emmènent, Maman, Papa et moi, dans l’escalier, non sans avoir fermé à clé l’appartement, dans lequel se trouvaient encore Joséphine, la cuisinière, et M. Bojnev, le professeur de russe de Papa. Brusquement, je passe sous le bras d’un des policiers qui me précèdent. Arrivé en bas, je referme la porte derrière moi et je passe à toute allure derrière la maison, franchis le mur du potager et me précipite vers la rue Paradis en traversant un terrain vague qui la surplombait. Je cours alors chez mon professeur de piano, qui habitait dans un immeuble de la Sogima avenue du Prado, et, à partir de ce moment, j’ai été pris en charge."
("La terrible année 1944", site au nom de Pierre Vidal-Naquet).

N° 900 sur la liste du Convoi 75 du 30 Mai 1944. Lucien Vidal-Naquet avait été interné à Drancy sous le matricule 22 774. Son épouse, Marguerite, porte le n° 901 du même convoi (Graph. JEA / DR).

Véronique Bedin et Martine Fournier :

- "Le père de Pierre Vidal-Naquet, avocat et résistant, peu avant d’être arrêté et envoyé avec sa femme à Auschwitz dont ils ne revinrent pas, lut à son fils ce texte célèbre de Chateaubriand :


« Lorsque, dans le silence de l’abjection, l’on n’entend plus retentir que la chaîne de l’esclave et la voix du délateur ; lorsque tout tremble devant le tyran, et qu’il est aussi dangereux d’encourir sa faveur que de mériter sa disgrâce, l’historien paraît, chargé de la vengeance des peuples. »
Pierre Vidal-Naquet, La Bibliothèque idéale des sciences humaines, Editions Sciences humaines, 2009.


Olivier Doubre :

- "Pierre Vidal-Naquet est né à Paris en 1930 dans une famille juive laïque, profondément attachée à la France, qui est pour elle la patrie de Voltaire et de Rousseau. Son père fut d’abord un avocat dreyfusard qui, très tôt, s’engage dans la Résistance. Mais la barbarie d’Auschwitz marque à tout jamais l’adolescent qui, caché juste à temps, échappe de peu à l’arrestation dont sont victimes ses parents le 15 mai 1944.

Ses parents sont déportés et ne reviennent pas.
« La brisure et l’attente » (qui sera le titre du premier tome de ses mémoires, paru en 1995) sont les deux sentiments qui ne quittent pas le jeune homme, devenu étudiant au lycée Henri-IV, pendant toute la première partie de sa vie. N’ayant même pas pu « leur dire au revoir », il survit longtemps dans l’illusion de leur retour et commence dès cette époque à « réfléchir sur la tragédie »..."
Pierre-Vidal Naquet, un briseur de silences,
Politis, 31 août 2006.

Pierre Vidal-Naquet évoque l'arrestation de ses parents dans le premier tome de ses Mémoires. Mais toujours dans son long et vif et plus que justifié combat contre les révisionnistes, cet historien fit-il montre d'une éthique exemplaire malgré un vécu personnel particulièrement dramatique.
(Mont. JEA / DR).

Pierre Vidal-Naquet :

- "L’historien, cet homme libre par excellence, ne se partage pas. Même au plus vif d’une polémique, il ne peut que demeurer un historien, c’est-à-dire un traître face à tous ces dogmes — théologiques, idéologiques, voire prétendument scientifiques. (…) L’historien est un praticien de la vérité."
Les Juifs, la mémoire et le présent, Paris, La Découverte, 1991.

NB : Nos remerciements à Régine Sigal pour sa précieuse contribution à cette page.

jeudi 8 avril 2010

P. 215. 8 avril 2010 : Funérailles de Maurice Arnoult

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Maurice Arnoult dans son atelier de bottier (Arch. BCFYV / DR).

La famille des Justes en deuil :
Maurice Arnoult s'est éteint
lui qui sauva aussi "l'honneur de la France"...

En juin 2009, tout le Comité Français pour Yad Vashem saluait les 101 ans de Maurice Arnoult.
La page 151 de ce blog avait tenté de décrire le superbe itinéraire de ce Juste plus que malmené au cours d'une enfance peu enviable. Et qui s'était construit une personnalité d'homme de droiture, de simplicité non affectée, de fraternité effective. Un artisan bottier soucieux du bien et du beau.

Puis quand la Shoah vint dévaster Belleville comme toute la France, au milieu d'une Europe asservie, Maurice Arnoult a sauvé un gosse de son immeuble : Joël Krolik. C'était le 25 juillet 1942. Après Joël, il avait trouvé où cacher le reste de la famille avec une priorité aux enfants. La nuit même, sans doute sur dénonciation, tous furent hélas arrêtés, réduisant à néant ce deuxième acte de courage.

Eléments du dossier de Yad Vashem :

- "En 1933, la famille Krolik, des réfugiés juifs de Pologne, s’installe à Paris. Le père, tailleur, avait un modeste atelier dans son appartement à Belleville. A l’été 1942, la famille comptait quatre enfants.

La majorité des locataires de ce coin de Belleville étaient des étrangers à l’exception notamment de Maurice Arnoult. Ce bottier, lui-même fils de cordonnier, louait depuis 1937 un atelier dans la cour du bâtiment. Il vivait en excellents termes avec ses voisins, lesquels faisaient régulièrement appel à lui pour résoudre par exemple des problèmes administratifs.

La guerre éclata. L'occupation se fit de plus en plus lourde. Des Français se jetaient dans une collaboration totale. Les mesures antisémites se multipliaient. A Belleville, on serrait les coudes. Pas question de laisser s'amoindrir la solidarité alors que les temps devenaient de plus en plus noirs.

Le 24 juillet 1942, Maurice Arnoult comprit que la capitale devenait trop dangereuse pour les persécutés raciaux. Il alla frapper à la porte des Krolik et leur proposa de mettre les enfants en sûreté chez ses propres parents à Savigny-sur-Orge. Le lendemain 25, ayant décousu l’étoile jaune que portait Joël, le bottier conduisit celui-ci hors de Paris avec une fausse carte d'identité.

Dès le lendemain, Maurice Arnoult avait prévu et promis de poursuivre le sauvetage des Krolik en les plaçant dans d’autres familles. Malheureusement, vers 4 heures du matin, la police française raflait la famille à l'exception de Rosette, 8 ans, mise à la campagne une quinzaine de jours auparavant avec une petite voisine, juive, elle aussi. Leur sort était scellé. Et Auschwitz le destin fixé par la Shoah.

Orphelin, le petit Joël Krolik, enfant caché à Savigny-sur-Orge, resta donc avec Rosette, le seul rescapé de sa famille grâce à Maurice Arnoult et aux parents de celui-ci.

Maurice Arnoult :

- a été reconnu Juste parmi les Nations en 1994 ;
- fut décoré de la Légion d'Honneur le 4 juillet 2007 ;
- reçut la Grande Médaille de Vermeil de la Ville de Paris le 11 juin 2008 à l'occasion de ses 100 ans.

Hôtel de Ville de Paris, le 11 juin 2008. Instantané de la remise de la Grande Médaille de Vermeil. De g. à dr. : Maurice Arnoult, Juste parmi les nations; Catherine Vieu-Charier, Adjointe au Maire de paris, chargée de la Mémoire et du Monde Combattant; au micro, Joël Krolik, seul rescapé de sa famille.(Arch. fam. J. Krolik / DR).

Joël Krolik était orphelin de ses parents. Le voici de Maurice Arnoult. Pour ce blog, il a tenu à rédiger ce témoignage de première main.

Joël Krolik :

- "J'avais 6 ans en 1937 quand Maurice Arnoult a ouvert son atelier de bottier au rez-de-cour de l'immeuble au 83 rue de Belleville où j'habitais au 4ème étage avec mes parents, un deux pièces insalubres d'un immeuble misérable (il l'est toujours actuellement), visité régulièrement par des rats, immeuble habité par des ouvriers modestes, juifs pour la plupart, tailleurs comme mon père, fourreurs, maroquiniers, tricoteurs, des ouvriers à façon, pauvres en général.

Toute la journée résonnaient les bruits des machines à coudre, à tricoter, des marteaux, des scies, une véritable ruche bourdonnante pleine de vie.

L'arrivée de Maurice fut un rayon de soleil pour nous, les gosses. De belles voitures se garaient devant l'immeuble. Sous nos fenêtres, des dames élégantes, bien habillées, traversaient la cour sordide, s'engouffraient dans l'atelier de Maurice pour commander de luxueuses chaussures fabriquées pour elles sur mesure.

L'atelier de Maurice devint pour nous les gosses de la cour, la caverne d'Ali Baba. J'y allais trier ses clous et en retour : "tiens, Joël, voilà cent sous", les 5 centimes percés du film de l'époque : "Les cent sous de Lavarède" avec Fernandel, ou pour aller lui chercher ses "gitanes maïs" au tabac du coin. Je récupérais les chutes de cuir aux couleurs chatoyantes pour fabriquer des lance-pierres ou en offrir à mes copines de jeu.

"Tiens Joël, voilà cent sous", disait-il de sa voix faubourienne, sans sortir les semences (clous) de sa bouche, sans lever les yeux, sans interrompre son travail... Encore maintenant, 68 ans après, je l'ai toujours dans les oreilles alors que Maurice vient de nous quitter.

Après la cour, vers 8-9 ans, nous sortîmes jouer dans la rue avec les garçons et filles des immeubles voisins. Mais toujours après l'école, je revenais m'asseoir dans un coin de l'atelier sur un tabouret de bois au siège de lanières de cuir entrecroisées par Maurice.

Je le regardais fasciné par sa rapidité, la dextérité et la précision de ses gestes, le ballet des outils que parfois je lui passais. Souvent, j'y faisais mes devoirs, aidé et conseillé par son expérience, puis il me parlait, il me racontait la vie, l'histoire avec un grand H.

J'ai encore dans la narines l'odeur forte du cuir, de la colle de poisson qui mijotait au bain-marie, de la poix, de la petite lampe à huile qui chauffait les fers, je ne remontais que très tard, dans notre petit logement surpeuplé. Mes parents savaient que j'étais en sécurité chez Maurice. Ils pouvaient me voir de notre fenêtre du 4e étage.

Tout s'est brisé dramatiquement, définitivement fin juillet 1942, je suis devenu un clandestin, une ombre, un enfant caché puis un orphelin."

(s) Joël Krolik, le 5 avril 2010.

Lettre de Maurice Arnoult publiée par Fleurus Presse (Arch. fam. J. Krolik /DR).

Suite au numéro consacré aux Justes par Fleurus Presse (n° 156), et plus particulièrement à l'histoire de Maurice Arnoult et de Joël Krolik, des enfants ont réagi par un nombreux courrier venu des quatre coins de France.
Maurice Arnould leur répondit par cette lettre qui résume cette blessure au coeur définitive et laissée par la disparition de tous ces enfants victimes si innocentes de la Shoah.


Maurice Arnoult :

- "Chers enfants,
J'ai été très ému à la lecture de vos petits mots.
J'ai repensé à ce que j'ai vécu, il y a plus de soixante ans.
Et c'était très dur. Tous ces enfants qui auraient pu être vos copains, ont été pris au piège...
N'oubliez pas ceux qui allaient comme vous à l'école, et qui, un jour, ont disparu."

(s) Maurice Arnoult.


Représenté aux funérailles par Jenny Laneurie et par Mireille Nadjar, le Comité Français pour Yad Vashem réitère ses condoléances à la famille de ce Juste ainsi qu'à Joël Krolik. Que ce dernier soit remercié pour les documents qu'il a rassemblés afin de permettre la rédaction de cet hommage.

Pour consulter un site portant le nom de Maurice Arnoult, cliquer : ICI .

NB : Cet article est repris par ailleurs... mot pour mot, partiellement ou en tout, sans accord et même sans citer ce blog ni le site du Comité Français pour Yad vashem comme sources. Pour rappel, la mention DR accolée à une photo rappelle que les "Droits" sont "réservés".

Le départ de Maurice Arnoult ne peut s'accompagner d'éclats et de tristes conflits. Mais l'éthique en matière de reproduction n'en garde pas moins ses droits.


vendredi 2 avril 2010

P. 214. Message des élèves de l'école Jean-Moulin à Couzeix

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Paroles de jeunes (Ph. Ecole élémentaire Jean-Moulin / DR).

Ils ont 10-11 ans
et veulent "garder au fond de leur coeur"
la mémoire des Justes...

La page 210 de ce blog, vous a conduit le dimanche 7 mars 2010, en la Mairie de Couzeix. Cette localité du Limousin a connu un retour sur son histoire sous l'occupation. Et plus particulièrement sur les circonstances qui ont permis la mise hors des griffes de la Shoah, d'une petite juive originaire de Paris : Mathilde Feldman. Ceux à qui elle doit la vie, Henri et Céline Janailhac, ont été reconnus - à titre posthume - Justes parmi les Nations.
Placée sous le double signe de la reconnaissance et de l'émotion, cette cérémonie de remise de médaille et de diplôme de Justes aux deux fils du couple : André et Raymond, avait été préparée par Natan Holchaker, délégué du Comité Français pour Yad Vashem.

Sur la scène, monta un ensemble de jeunes élèves de l'école élémentaire Jean-Moulin. Eux aussi avaient souhaité être non seulement associés à ce moment exceptionnel mais encore lui apporter leur message. Le voici, déterminé, réfléchi, apprenant les leçons d'un passé si douloureux pour y puiser des raisons de continuer à résister quand l'humanité est en péril...

Message des dignes élèves de Jean Moulin à Couzeix :

- "Nous avons dix ans ou nous en avons onze, et nous ne connaissons que nos parents, nos amis et ceux qui nous entourent.
Nous avons dix ans et le passé est bien trop loin pour nous.

Mais nous savons, oui nous savons , qu'il y a des guerres aujourd'hui , qu'il y a des drames et qu'il y a des pays où l'on meurt d'être différent ,
Où l'on meurt de ne pas parler la même langue que les autres,
Où l'on meurt de ne pas avoir la même peau que les autres,
Où l'on meurt de ne pas avoir les mêmes croyances que les autre .

Nous savons aussi qu'il y a de la haine et de la peur dans le Monde .
De la peur et des coups,
Des gens désespérés et rejetés.

Il y a longtemps, on pouvait aussi avoir peur à Couzeix.
Peur de la police, peur des voisins, peur des Allemands, peur de la guerre .
Il y a longtemps, nous aurions été à l'école comme aujourd'hui, nous aurions eu des amis comme aujourd'hui.
Et peut-être un jour, nous aurions vu l'un d'entre nous disparaître soudain, et nous n'aurions rien su, pas compris.
Parti, disparu, c'est tout.

Et nous n'aurions pas deviné non plus, qu'il y avait, près de chez nous à Couzeix, des gens qui prenaient tous les risques pour sauver ceux qui devaient mourir, ceux qu'on voulait emmener en Allemagne pour les faire disparaître à jamais.
Les emmener entassés dans des wagons plombés, dans la soif, dans la faim, dans la peur, pour la Mort.
Nous n'aurions rien su de tout cela, entre les billes et les cordes à sauter, la soupe et les devoirs du soir.

Mais nous savons aujourd'hui qu'il y a toujours des gens pour dire « Non »
Des gens pour dire « Non » à la haine , « Non » à la peur et pour accueillir en frère ceux que l'on rejette et que l'on méprise .

Et nous sommes là aujourd'hui, pour apprendre le nom de ceux qui ont dit « Non », pour garder au fond de notre coeur la mémoire de leur courage et de leur résistance à la peur.
Pour être les témoins du sourire et de la gratitude de ceux à qui ils ont permis de vivre."


Cérémonie de reconnaisance des Justes Henri et Céline Janailhac (Ph. Ecole élémentaire Jean-Moulin / DR).

NB : Nos remerciements à la Directrice de l'école Jean-Moulin, Mme Marie Munoz