lundi 29 décembre 2008

P. 97. Dov Gury : "Mon étoile jaune".

Extraits de l'histoire de Bernard Gurovici, dit Dov Gury.

- "Je suis né à Paris {1930}, à l’hôpital Rothschild, comme la plupart des enfants juifs de ma génération, sous le nom de Bernard Gurovici. Mes parents, Myriam et Simon, venaient d’immigrer en France, de Bessarabie – aujourd’hui rebaptisée ‘‘Moldavie’’.
...
Au début de l’année 1941, nous commençons à sentir que l’étau se referme autour de la population juive, autour de nous. Tous les juifs ont été convoqués dans les commissariats pour y être recensés et que soit tamponnée en rouge la mention "juif" sur les cartes d’identité.
Nous recevons l’ordre de porter notre poste de radio au poste de police le plus proche. Ce qui est fait immédiatement.
Commencent les arrestations, suivant une classification établie à l’avance : d’abord, les juifs communistes et les Allemands anti-nazis réfugiés, fuyant leur régime et arrivés en France récemment ; ensuite, ceux qui n’ont pas de nationalité bien définie, les "apatrides" ; et enfin, les autres – tous les autres…
Je me souviens d’une phrase terrible, entendue à la maison, comme prononcée pour se rassurer : "Ce n’est pas contre nous, c’est contre les Polonais !".
Mes parents avaient la nationalité roumaine. C’est de Roumanie qu’ils étaient venus en France.
...
Mes parents reçoivent l’ordre de suspendre au-dessus de leur étalage ; au marché, une pancarte jaune avec une inscription bilingue : "Judischesgescheft" – "magasin juif".
Ma tante avait une petite boutique de parfumerie au passage ‘‘Prado", sur les Grands Boulevards.
Chez eux, il y a deux pancartes : la jaune, comme chez mes parents, et une rouge. Ils doivent en afficher une autre – une pancarte de couleur rouge et noire, pour annoncer que : ‘‘Ce magasin est en liquidation par le commissariat aux affaires juives."
Le liquidateur est Monsieur Nicolas, un pur aryen. Bien présent au magasin, il répète à longueur de journée à l’oncle Issar : "Monsieur Merenfeld, vous devez disparaître !". En prononçant, cette litanie il a l’air de se délecter."



Montage photos : Dov Gury. DR.

- "Au printemps 1942, en mai, est décrétée un nouvelle mesure antijuive : "Tout juif ou juive de plus de cinq ans est dans l’obligation de porter d’une manière visible sur l’extérieur gauche de son vêtement une étoile jaune a six branches au milieu de laquelle est écrit en noir : "JUIF".
Le décret précise la taille exacte de l’étoile et les peines infligées à ceux qui seront pris en défaut de ne pas la porter.
Nous allons chercher nos étoiles au commissariat du 10ème arrondissement. Les étoiles nous sont délivrées gratuitement, mais contre des tickets de textile en vigueur destinés à l’achat des vêtements. Maman me coud l’étoile sur mes vêtements pour aller au lycée. J’y vais avec crainte et appréhension…
Je ne me rappelle plus quelle a été la réaction exacte des professeurs et des élèves quand tous les élèves juifs du lycée Rollin sont arrivés, portant l’étoile. Je ne me souviens que de deux choses :
que j’étais très surpris en voyant combien nous étions nombreux à la porter, et que personne ne nous a molestés, ni même injuriés.
...
En juillet le pressentiment du danger s’accroît au sein de la population juive de Paris.
Ma mère, Myriam, et sa sœur, tante Clara, sont deux femmes seules. Tante Clara est veuve et mon père est loin.
...
Ces deux femmes juives, simples et courageuses, prendront une décision qui ira à l’encontre de ce qu’on appellerait aujourd’hui "Le consensus" établi :
- "Il faut sauver les enfants".
- "Pour être épargné, il faut aller en zone libre".
- "Deux enfants seuls n’attirent pas l’attention et ne seront pas reconnus comme juifs’’.
- "Les enfants
[Zitta et Bernard]
partiront donc seuls’’.
...
Et voilà ce qu’on nous annonce :
"Cette dame est chargée de vous amener par le train à Vierzon. Là, elle vous confiera à une personne qui vous fera franchir la ligne de démarcation. Quand vous serez de l’autre côté, en zone libre, vous reprendrez le train pour Toulouse, où se trouvent nos bons amis, Dora et Joseph Massis. Ce sont eux qui se chargeront de vous indiquer le chemin pour arriver chez tante Fanny. Tante Fanny et oncle Zigmund sont à Grenade sur Garonne. Vous resterez chez eux et y attendrez notre venue, car nous partons après vous."
...
Le jour de la rafle du Vél d’Hiv’, le 17 juillet 1942, la police française a investi notre immeuble du 34 bis rue de Dunkerque, fouillant tous les appartements occupés par des juifs. Ils sont venus nous chercher dans notre appartement, mais n’y ont trouvé personne – et pour cause : nous étions déjà partis, et les deux soeurs s’étaient réfugiées au sixième.
Apres avoir mis les scellés avec l’inscription : "Bien juif, défense de pénétrer", les policiers sont allés chez la concierge, y laissant un message proclamant que toute la famille Gurovici devait se présenter immédiatement au commissariat le plus proche.
Quatre jours avant cette date fatidique, le 13 juillet, nous nous étions séparés, le coeur très lourd. Ce jour-là, il n’était pas question de se faire accompagner à la gare…
Apres avoir décousu l’étoile de nos vêtements, nous sommes partis de la maison en métro à la gare avec notre convoyeuse. Elle avait des papiers "en règle", résistant à tous contrôles. Dans la gare, il y avait foule : beaucoup de policiers français et allemands, autant de soldats allemands. Nous avons franchi tous les barrages sans encombre, sans être inquiétés.

Montage photos : Dov Gury. DR.

- "Les contrôles étaient très stricts du fait que Vierzon était située sur la ligne de démarcation. D’autant plus que la ville servait de point de passage pour ceux qui voulaient passer en zone libre en fraude…
À la sortie de la gare, nous cherchons, notre accompagnatrice et nous deux, le moyen d’arriver à Châtres sur Cher, le village où nous devions rencontrer notre passeur. Et voilà qu’on nous informe que le car qui doit nous amener à Châtres a été supprimé, que la distance à parcourir est, nous dit-on, de12 kilomètres, et qu’il n’y a en fait aucun moyen d’y arriver ce jour-là, et le lendemain encore moins, car nous étions à la veille du 14 juillet, jour férié!
La personne qui nous accompagnait était une infirme ; elle boitait fortement. Elle nous annonce qu’elle est dans l’impossibilité totale de marcher et nous propose un choix : rentrer à Paris et tenter notre chance une autre fois, ou nous rendre seuls, à pied, à Châtres sur Cher rencontrer le passeur qui nous fera passer la ligne de démarcation moyennant la somme d’argent prévue à cet effet, et que nous devions lui remettre au préalable, avant l’opération.
...
Je ne sais plus comment nous l’avons trouvé, mais nous avons réussi. J’ai appris par la suite que tout le village savait qu’il faisait le travail de passeur…
Mais une grosse surprise nous attendait... : pourquoi, lui qui faisait le métier de passeur, a-t-il refusé... de nous faire passer ? Peut-être croyait-il à une provocation, ou à un piège pour le dénoncer ?
...
Nous quittons cet homme et louons pour la nuit une chambre dans l’hôtel situé au centre du village, entre la Poste et l’église. Personne ne s’étonne du fait que deux enfants louent une chambre d’hôtel ! À croire qu’ils savaient exactement dans quel but nous sommes là…
Zitta reste dans la chambre pour soigner ses pieds en sang, et moi, je descends voir ce qu’on peut faire.
Au comptoir de l’hôtel, je commande à la parisienne "un Diabolo Grenadine". Le café est vide, et la serveuse, guère plus âgée que moi, est sympathique et me paraît digne de confiance. De la manière la plus naïve et la plus directe, je lui pose la question :
- "Dites, mademoiselle : est-ce que vous avez un tuyau à nous conseiller pour passer de l’autre côté?"
– "Rien de plus simple ! À six heures du soir exactement, les Allemands postés sur le pont finissent leur tour de garde et quittent leur guérite. Pendant assez longtemps, il n’y a pas de gardiens sur le pont, jusqu’à l’arrivée de la garde de nuit. Vous avez assez de temps pour passer quand il n’y a personne. IL suffit que vous soyez aux alentours du pont. Guettez la patrouille. Quand ils entrent dans le café au bout de la rue, vous allez au pont, vous écartez les barbelés, et vous passez! De l’autre côté, en zone libre, il n’y a personne… Il est bientôt six heures : dépêchez vous si vous voulez le faire aujourd’hui !"

Photo : Dov Gury. DR.

- "À six heures exactement, les soldats quittent le pont. Nous les suivons des yeux et les voyons disparaître dans leur hôtel, à cinq cents mètres du point de contrôle. Nous allons droit au pont. Une dame qui se trouve là nous interpelle :
"Où allez-vous, les enfants? Vous ne voyez pas que les Allemands sont partis!".
Nous avançons sans nous arrêter. Au pont, sans difficulté, nous écartons les chevaux de frise qui bouchent le passage. C’est fermé, mais de façon à ce qu’on puisse ouvrir facilement afin de permettre aux riverains de franchir cette frontière artificielle en fonction des besoins agricoles.
À cet endroit, le Cher est assez large. Le pont métallique, toujours là, est long de plus de trois cents mètres.
Nous commençons à courir. Zitta, la plus grande, court devant moi. Au milieu du pont, je ressens un"point de côté" qui m’empêche de courir. La force me manque et je m’arrête. Paralysé par la peur, j’appelle Zitta en pleurant : "Aide-moi, je n’en peux plus!". Elle s’arrête, revient, m’attrape par la main et me tire de force jusqu’au bout du pont.
De l’autre cote, il n’y a personne. Nous nous reposons et voyons la garde de nuit allemande marcher doucement vers leur poste.
"Nous avons réussi : nous sommes en zone libre!!!

...
Nous entrons dans une ferme. Nous leur demandons comment continuer notre chemin pour prendre le train de Toulouse. Ils nous expliquent qu’il n’y a pas de communication, ni ce jour-là, ni le lendemain, 14 juillet. Rien ! En échange de l’hospitalité, ils nous proposent de ramasser des pommes de terre avec eux, le lendemain. "Après-demain, vous pourrez prendre le car pour la gare", nous disent-ils.
...
Vers dix heures du soir, quelques minutes avant l’obscurité, nous débarquons par surprise chez Oncle et Tante, lesquels, eux non plus, ne savaient rien de notre venue.
Nous leur racontons nombre de fois ce qui nous est arrivé sur notre chemin depuis que nous sommes partis de Paris. Comment nous nous sommes sépares de nos mamans.
Nous avons aimé tout de suite notre séjour à Grenade. Après les privations, la vie à la campagne, surtout les magnifiques pêches que Tante Fanny recevait par cageots après son travail au calibrage des fruits.
À la fin du mois de juillet, la famille était de nouveau réunie. Papa est arrivé en train du Massif central, tandis que Maman et tante Clara traversaient la ligne de démarcation… dans une voiture de l’armée allemande !
Car il existait un trafic clandestin organisé par les soldats allemands, lesquels faisaient passer la Ligne aux juifs dans leurs propres véhicules. Ils se faisaient payer au prix fort : l’argent des juifs ne leur répugnait pas..."

lundi 22 décembre 2008

P. 96. "L'affiche antisémite en France sous l'Occupation"


Présentation par les Ed. Berg Int. :

- "Comme l’affiche publicitaire, l'affiche de propagande viole littéralement les esprits des foules. Les professionnels de la haine l’ont bien compris.
Ce livre retrace l’histoire de la propagande antisémite par l’affiche et son apogée en France pendant la Seconde Guerre mondiale. Respectant les lois de la propagande, l’affiche antisémite n’en fut que plus redoutable.

L’originalité de cette étude réside dans une double analyse historique et technique de l’affiche.

L’étude graphique détaillée de chacune des affiches permet d’analyser le message véhiculé et d’en mesurer l’impact sur l’opinion publique. En abordant les messages des affiches antisémites dans leur contexte historique, on voit progressivement apparaître l’évolution de la politique d’exclusion. Ce mode de propagande s’inscrivant dans le processus d’anéantissement des Juifs de France, son but était de faire accepter par la population française non juive l’application de la politique antisémite de l’Etat vichystes et de l’Occupant.
Chaque affiche replacée dans son contexte historique révèle toute sa force et son pouvoir de destruction dans le cadre d’une politique délétère.
Cet ouvrage rassemblant une large collection d’affiches placardées en France pendant la Deuxième Guerre mondiale ainsi que des tracts distribués publiquement, rend accessible le décryptage de la propagande antisémite.

Diane Afoumado, historienne, a longtemps travaillé au Mémorial de la Shoah. Elle a enseigné à l’Université de Paris x avant d'être chargée de cours à l’INALCO.
Auteur d’Exil impossible. L’errance des réfugiés juifs du paquebot « St. Louis » (L’Harmattan, 2005), co-auteur avec Serge Klarsfeld de La Spoliation dans les camps de province, (La documentation française, 2000), Diane Afoumado a travaillé successivement pour la Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France, puis pour la Commission pour l’Indemnisation des victimes de spoliation.
Auteur de plus d’une vingtaine d’articles, elle a participé à une co-publication intitulée Repicturing the Second World War. Representations in Film and Television, éditée par Macmilan en 2007.

Ouvrage publié avec le soutien du Centre National du Livre et de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah."

Sommaire :

UNE BREVE HISTOIRE DE L'AFFICHE LES SERVICES DE PROPAGANDE EN FRANCE
La propagande d'origine française
La propagande allemande en France


ELEMENTS TECHNIQUES SUR LES AFFICHES ANTISEMITES EN FRANCE
LA THEMATIQUE GRAPHIQUE DES AFFICHES ANTIJUIVES
L'homme
L'animal
La figuration emblématique
Les " outils "
L'architecture et la cartographie


LES THEMES DE L'AFFICHE ANTIJUIVE
La France juive
Le Juif profiteur
Coup de balai
Le " mal juif "
La judéo-maçonnerie
Le complot juif mondial


LES PROCEDES PSYCHOLOGIQUES UTILISES PAR LA PROPAGANDE
Les lois de propagande
Les slogans, les chiffres, les couleurs


LE DEVELOPPEMENT DE L'ANTISEMITISME ET SON IMPACT SUR L'OPINION PUBLIQUE
L'impact de la propagande antijuive sur " l'opinion française "


ETUDE THEMATIQUE DES AFFICHES PAPILLONS, TRACTS ET BROCHURES ANTISEMITES.

1941. L'occupant ne doit pas chercher des collabos pour placarder un antisémitisme systématique sur les murs de France. DR.

Centre de formation Anne Franck :

- "Un livre indipensable pour les enseignants et les éducateurs qui retrace l’histoire de la propagande antisémite par l’affiche et son apogée en France pendant la Seconde Guerre mondiale. Appliquant les lois de la propagande, l’affiche antisémite n’en fut que plus redoutable.
(...)
Cet endoctrinement s’inscrivant dans le processus d’anéantissement des Juifs de France, son but était de faire accepter par la population française non juive l’application de la politique antisémite de l’Etat vichyste et de l’Occupant.
Chaque affiche révèle toute sa force et son pouvoir de destruction dans le cadre d’une propagande délétère.
Cet ouvrage, rassemblant une large collection d’affiches placardées en France pendant la Deuxième Guerre mondiale ainsi que des tracts distribués publiquement, rend accessible le décryptage de la propagande antisémite."

dimanche 14 décembre 2008

P. 95. Paul Schaffer et la "Nuit de Cristal"

Paul Schaffer (Arch. fam. DR).

70 ans après la "Nuit de Cristal",
voici le précieux témoignage de Paul Schaffer
à l'UNESCO.

- "Etant, en France, l’un des rares témoins du pogrome de novembre 1938, appelé cyniquement « Nuit de Cristal ». Cette dénomination évoque plutôt la pureté du cristal pouvant donner à penser qu’il s’agit de la célébration d’une nuit de fête, alors que c’est aux débris des vitrines jonchant le sol, qu’on doit cet euphémisme. Permettez-moi de rappeler ici, ce que j’ai vécu à l’âge de 14 ans à Vienne, ma ville natale, et évoquer l’ambiance qui régnait durant ces journées horribles.

C’est avec une incroyable brutalité que fut déclenchée dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938 une agression sauvage, sans aucune retenue, un déchaînement d’une haine sans bornes, contre les Juifs, leurs biens et leurs lieux de culte. Déchaînement prémédité et organisé. D’une façon mensongère, les autorités déclarèrent que cette manifestation était une « réaction spontanée de la population » à la suite de la tentative d’assassinat par le jeune Herschel Grynspan, d’un secrétaire d’ambassade d’Allemagne à Paris.
En réalité, ce sont les troupes des SA nazis, à qui l’ordre fut donné d’agir en vêtements civils, la Gestapo, la jeunesse hitlérienne, avec le concours de la police, qui ont provoqué une véritable terreur au sein de la communauté.
Tout leur a été permis, les nazis pouvaient disposer de nous comme bon leur semblait et aucune exaction commise alors, n’a fait l’objet de poursuite.

Nous connaissions bien sûr les mesures législatives anti-juives en vigueur depuis 1933 en Allemagne, accompagnées du boycott des magasins juifs, d’autodafés d’ouvrages écrit par des juifs et les lois raciales de Nuremberg de septembre 1935.
Dès l’annexion de l’Autriche en mars 1938, nous avons eu à subir de multiples humiliations, des expropriations et des arrestations. Cette nuit mémorable atteignait le sommet de l’horreur, elle était le résultat d’une propagande forcenée, s’ajoutant à la longue liste des crimes nazis.
Ce pogrome, que l’on pourrait croire d’un autre temps, avait pour objectif d’accélérer l’émigration juive, afin de rendre le « Reich » plus rapidement « JUDENREIN » c’est à dire sans aucune présence juive.

L’échec de la conférence d’Evian qui réunissait 32 pays démocratiques quelques mois auparavant, en juillet 1938, avait déjà signé d’une triste manière l’abandon des Juifs aux mains des nazis. Au point qu’un de leurs journaux se permettait de titrer peu après: « Nous avons des Juifs à vendre, personne n’en veut »….
La « Nuit de Cristal » signifia clairement l’impossibilité pour les Juifs de continuer à vivre, comme citoyen de droit, en Allemagne et en Autriche annexée.

L’année 1938 est un tournant dans le comportement nazi. Ribbentrop déclare : « 1938 est l’année de notre destin… elle nous a permis de réaliser l’idée de la grande Allemagne en même temps qu’elle nous rapprochait de la solution du problème Juif »
Oui, cette nuit représente une tache noire dans l’histoire allemande. Elle a certainement fait naître dans l’esprit de certains nazis l’idée d’éradiquer les Juifs d’une façon plus brutale. L’enseignement de la haine mortelle contre les Juifs était pratiqué dans toutes les écoles, dans les réunions du parti, mais également dans des expositions anti-juives que la population était obligée de visiter.
On peut, sans aucun doute, considérer ce pogrome comme le prélude à la Shoah."

Première page du Figaro (DR).

- "Tôt le matin du 10 novembre, nous avons été arrachés à notre sommeil, surpris par la brutale arrestation de mon père. Sans en connaître ni le motif ni ce qu’il était advenu de lui, ma sœur et moi allions en fin de matinée d’un commissariat à un autre pour tenter de le retrouver et pour connaître le sort qui lui avait été réservé. Accueillis par le salut de « Heil Hitler » et des sourires narquois, sans recevoir ni explication ni renseignement, nous pouvions seulement constater une activité fébrile dans ces lieux. En effet, des milliers de Juifs avaient été arrêtés, nombreux parmi eux furent assassinés et d’autres se suicidèrent.

En parcourant, avec une grande frayeur, les rues de notre quartier, nous avons rencontré des voisines affolées, qui étaient dans une situation identique à la nôtre : à la recherche qui d’un mari, qui d’un fils.
Mon père a été relâché sans explications quelques jours plus tard.
Les vitres brisées des magasins juifs jonchaient le trottoir et une synagogue proche, était en flamme, comme d’ailleurs plusieurs centaines d’autres à travers toute l’Allemagne. En voyant l’autodafé des livres, comment ne pas penser à cette phrase écrite en 1821 par Henri Heine :
« Là où on brûle des livres on finit par brûler des hommes ».

Cette prédiction, je l’ai douloureusement vu se réaliser quelques années plus tard, à Auschwitz, où je suis resté durant trois années.
Les dégâts provoqués durant la « Nuit de cristal » ont été effrontément attribués aux Juifs, à qui, pour les réparer et en compensation, une amende de un milliard de Reichsmark fut imposée. Il était interdit aux compagnies d’assurance de dédommager les victimes.
Contrairement à toute attente, la population n’a pas manifesté la moindre désapprobation et la condamnation des pays démocratiques fut incroyablement modérée.

Après ces événements tragiques, nous nous trouvions pris dans un piège inextricable : nous devions absolument quitter notre pays, notre ville et notre foyer. Mais aucun pays - qu’il fut proche ou lointain - ne voulait nous accueillir.
Se rendant compte que le retour à la vie normale était impossible, mes parents ont décidé quelques jours plus tard (plus exactement le 27 novembre, jour de mon anniversaire) de fermer simplement la porte de notre appartement. Avec l’argent qu’il nous a été interdit d’emporter, la famille fut habillée de neuf. Il ne nous restait en poche que les quelques dollars que nous étions autorisés de garder.

C’est donc sans aucun bagage que nous nous sommes rendus à la frontière belge, pour traverser illégalement à pied la forêt qui nous séparait de la Belgique.
Pour une courte période, nous avons retrouvé là-bas un peu de tranquillité.
Après cette « nuit de massacre », l’idée de se débarrasser des Juifs par des moyens drastiques fut annoncée et mise en œuvre dès janvier 1939, dans un discours au Reichstag prononcé par Hitler. Cela a abouti à la décision, prise à Wannsee en janvier 1942, de mettre en place la « Solution finale à la question juive », encore un abominable euphémisme qui désignait l’extermination des Juifs d’Europe.
Nous connaissons la suite tragique…..
Les pays démocratiques de l’époque, bien qu’avertis très tôt de la situation des Juifs et des autres minorités, par des hommes comme Raymond Aron, l’Abbé René Naurois, qui était à Berlin de 1935 à 1939, pour ne citer que ces deux, sont restés muets, ce qui, de concession en concession, les a menés à la guerre. La non-tolérance et la ferme condamnation de la « Nuit de Cristal » aurait certainement sauvé leur honneur et peut-être changé le cours de l’histoire.

Témoin de cette époque, je ne peux, aujourd’hui et plus que tout autre, rester indifférent aux événements qui se déroulent sous nos yeux. Je ne peux m’empêcher de les juger à la lumière de mon expérience.
S’il y a soixante-dix ans, l’indifférence et l’inaction ont rendu possible la mise en route d’un engrenage de haine et de mort, il est aujourd’hui de la responsabilité des hommes et des femmes au pouvoir, de bien mesurer les conséquences de leur tolérance, de leurs tiédeurs, voire de leur abandon, devant les menaces diverses, trop souvent proférées, et ce jusque dans l’enceinte de l’ONU ou d’autres organismes internationaux.

Ainsi, pour ne prendre qu’un seul exemple, l’absence d’action énergique contre les pays qui utilisent les livres scolaires pour enseigner la haine envers telle ou telle population, est intolérable. Car c’est par le biais de l’éducation que les dictatures sèment les ferments du ressentiment, de l’intolérance, la haine et sur ce terreau malsain, fleurissent les massacres et la mort.
Pour conclure, je voudrais vous faire part de mon souhait :
Que les événements majeurs qui, entre 1933 et 1945, ont marqué de façon indélébile la civilisation occidentale, restent ancrés dans les mémoires et servent de leçon aux générations actuelles et futures. Puissions-nous retenir que :
« L’intelligence sans mémoire est comme une forteresse sans rempart ! ». "


"Nuit de Cristal", incendie de la synagogue de Francfort (DR).

Paul Schaffer a développé ce témoignage direct lors du Séminaire :
"Afin de tirer des leçons de l’Holocauste",

sous le titre :
"1939-2008 – La « nuit de cristal » soixante-dix ans plus tard."
à l'UNESCO (8 novembre 2008).


NB :

- Notre gratitude à Viviane Saül pour son apport précieux à cette page.

- Depuis janvier 2009, Paul Schaffer assume la Présidence du Comité Français pour Yad Vashem. Rescapé d'Auschwitz, il ne cesse depuis d'approfondir un authentique travail de mémoire. Celui-ci repose non seulement sur son expérience personnelle mais sur un humanisme qui est la plus lumineuse des réponses à tout racisme, à tout révisionnisme.
La Présidence du Comité s'inscrit dans la ligne droite de ce travail sans cesse renouvelé de mémoire. En acceptant ainsi de nouvelles responsabilités, Paul Schaffer se sait entouré à la fois de respect, de gratitude et de dévouements.

P. 94. Le Lycée Arthur Varoquaux porte désormais le nom d'un Juste

.
Le Lycée Arthur Varoquaux à Tomblaine (DR).

Comment, seul de sa famille, Arthur Konigsberg échappa à la Shoah.

Les parents Konigsberg ont fui la Pologne et son racisme triomphant dans les années 1920. Ils s'installèrent en tant que commerçants à Vaucouleurs dans la Meuse.
Hélas, paix et prospérité furent réduits à néant par la guerre. La police française n'hésita pas à procéder à leur arrestation, ainsi qu'à celle d'un de leurs fils et de leur fille - en tant que juifs -. On connaît malheureusement la suite...
Les époux avaient un second fils, Albert, né en 1927 à Nancy.

Quand sa famille entière tomba dans des filets français, le garçon était interne au Lycée professionnel Loritz de Nancy. Il se distinguait bien involontairement comme étant le seul élève juif de sa classe...
Le directeur de ce Lycée, Arthur Varoquaux, va assumer un rôle essentiel dans la suite des événements.
Apprenant l'arrestation des parents Konigsberg, le directeur propose au garçon une chambre individuelle dans le Lycée avec une voie d'évasion protégée en cas de descente de police. S'il reçoit ainsi un gîte protégé, le ravitaillement d'Albert est également assuré par Arthur Varoquaux.

Le Juste Arthur Varoquaux (BCFYV/DR).

C'est seulement quand la pression allemande sur Nancy devint trop lourde de menaces mortelles que le jeune Konigsberg reçut une fausse carte d'identité pour gagner le sud de la France. Albert trouva un accueil chaleureux auprès des scouts protestants de Lautrec avant Moissac et la Libération. Quand celle-ci débarrassa enfin la France et du nazisme et du pétainisme, il s'avéra que, de toute sa famille, seul Albert était encore en vie...

Le jeudi 18 décembre 2008, le Diplôme et la Médaille de Juste parmi les Nations ont concrétisé la reconnaissance officielle d'Arthur Varoquaux. Cette cérémonie ne pouvait avoir cadre plus approprié que le Lycée de Tomblaine portant déjà son nom.
Daniel Saada, ministre conseiller, représentait l'Ambassade d'Israël. Didier Cerf était le délégué du Comité Français pour Yad Vashem.

.

P. 93. Cérémonie à Epinal

Ida et Josette Glicentsein
sauvées par
Auguste et Marie Colin

Les époux Colin, Justes parmi les Nations (DR).

Epinal, 13 juillet 1942. Secondée par la police française, la Gestapo procède à l'arrestation, en tant que juifs, de Paul Glicenstein et de son épouse Cyrla (née Baron). Le couple est mis derrière les barbelés de Drancy avant sa déportation sans retour vers Auschwitz.

Deux filles étaient nées des amours de ce couple :
- Ida, alors âgée de 14 ans et sa cadette
- Josette, 4 ans.

Avant que ne frappe la Shoah, toutes deux avaient des parents obligés de se déplacer constinuellement de foire en foire. Pour apporter stabilité et sécurité matérielle aux fillettes, une "nounou" veillait sur elles. Il s'agissait de Marie Colin domicilée, avec son mari Auguste, rue des Bains à Chantraine.

Les parents Glicenstein emportés vers la mort, Auguste et Marie Colin prennent le relais. En toute connaissance des risques encourus mais spontanément et de manière totalement désintéressée. Un autre couple, les Thiriet, partage ces dangers réservés à celles et ceux qui tentent de sauver des juifs persécutés.
Les mois s'écoulent sans heurts jusqu'à ce que des Allemands descendent perquisitionner chez un voisin, leur homonyme qui est de plus maire de la municipalité. Au vu des uniformes, les Colin dissimulent Ida et Josette dans une tranchée recouverte de purin...

Pour leur éviter de tomber aux mains des occupants et de leurs collabos, Auguste et Marie décident d'évacuer les fillettes. Ida pendra le train vers Bollène dans le Vaucluse. Là, elle était attendue par des cousins de sa mère, les Rozenberg. Elle y fera la connaissance de Marceline. Cette dernière, à 15 ans, sera malheureusement déportée avec son père à Auschwitz. Survivante, elle deviendra une réalisatrice et une écrivain reconnue sous le nom de Marceline Loridan-Ivens... Du Vaucluse, Ida connaîtra ensuite des abris dans le Puy-de-Dôme et l'Allier.

Quant à Josette, elle est prise en charge par un couple de Parisiens.

A la Libération, les deux orphelines Glicenstein retournent dans les Vosges auprès des Colin.
En 1946, retrouvées par des tantes, elles rejoindront des membres de leur famille juive aux USA.
Ida change de prénom pour retenir celui Jacqueline. Elle se marie, donne la vie, à son tour, à deux enfants...
Avant son décès en 1994, elle rédigera ses souvenirs sous le titre de "Take care of Josette" : "Prends soin de Josette", soit les derniers mots que sa mère lors de son arrestation. Josette, elle, est toujours en vie sous les cieux des States.

La cérémonie de reconnaissance - à titre posthume - des Justes parmi les Nations Auguste et Marie Colin, s'est tenue à la Mairie d'Epinal le dimanche 14 décembre 2008.



mercredi 3 décembre 2008

P. 92. La reconnaissance due à Soeur Guillaume

(Gravure d'un Bourges appartenant définitivement au passé. DR)

Une juive
parmi les orphelines des Soeurs de la Charité à Bourges.

Madeleine Helman est née à Paris en 1930 et fut très vite élevée par un oncle suite à la séparation définitive de ses parents.

Devenue petite adolescente, elle fut hélas confrontée à l'arrestation de cet oncle qui constituait alors toute sa famille. Lui déporté, elle n'avait plus que l'UGIF pour la sauver de sa brusque solitude.

L'UGIF confie Madeleine à l'OSE dont il ne sera jamais assez souligné le courage, l'abnégation mais encore l'efficacité sous une occupation sans pitié.

Veillant au sauvetage de la petite, l'OSE la place à la campagne, de famille en famille, le plus à l'écart possible des persécutions.
En juillet 1944, une assistante sociale de l'OSE transfère Madeleine à l’orphelinat de la Providence qui dépend de la "Congrégation des Sœurs du très Saint Sacrement de la Charité de Bourges".

Accueillie à bras ouverts par des religieuses dévouées, l'adolescente restera cachée dans cet orphelinat jusqu’à la libération. De plus, il semble que d'autres petites juives furent abritées dans cette institution. Mais une certitude, elle, a conduit à la reconnaisance comme Juste parmi les Nations de Soeur Guillaume. En effet, c'est elle qui très personnellement avait pris sous sa protection Madeleine. Lui offrant inlassablement réconfort, consolations et affection.

La liberté restaurée en France, une assistante sociale de l’OSE retrouve la mère de Madeleine qui s'était pour sa part réfugiée en Creuse. Une vie nouvelle commence pour Madeleine...

La cérémonie de remise - à titre posthume - de la Médaille et du Diplôme de Juste au nom de Louise Labussière, en religion Soeur Guillaume, a été fixée au dimanche 7 décembre 2008 en l'Hôtel de Ville de Bourges.

Victor Kuperminc est le délégué du Comité Français pour Yad Vashem.

NB :

- Qu'Arlette Sebag, au secrétariat du Comité, soit encore remerciée pour son aide précieuse au blog.

P. 91. Trois Justes à Cannes Ecluse.


Les parents Bertin : Paul et Marguerite,
ainsi que leur fille Paulette,
trois nouveaux Justes parmi les Nations.

Judka et Ruchla Herman; comme tant de juifs ne supportant plus les progroms, quittèrent la Pologne pour une France réputée terre des droits de l'homme. Installés à Paris, ils eurent en novembre 1939, un fils : Daniel.

Le grand-père de Daniel s'était également réfugié à Paris mais sa santé était vascillante. Il dut être soigné en dispensaire dans la capitale. La guerre étend ses ravages. Par le plus heureux des hasards, l'une des infirmières qui prodiguent leurs soins au vieillard est résistante. Elle a pour nom : Marie Le Coq. Celle-ci partage ses activités professsionnelles entre le dispensaire parisien et l'hôpital de Cannes Ecluse.

Marie Le Coq comprend spontanément et s'inquiète de la situation plus que précaire de la famille Herman. Elle lui propose d'entrer en contact avec les Bertin à Cannes Ecluse. Ce sont des gens très modestes, honnêtes et donc particulièrement frappés en ces temps de pénuries. Néanmoins, Paul et Marguerite Bertin acceptent sans hésiter. Ils vont non seulement cacher Daniel, âgé alors de deux ans et demi, mais aussi sa cousine, Marcelle Szmer.

Voilà comment et pourquoi, de 1942 à 1945, furent épargnés à deux petits juifs les fureurs de la Shoah.

Paul et Marguetite Bertin, Justes parmi les Nations (BCFYV/DR).

Et Paulette Bertin ? A l'époque, elle avait 16 ans.

Pour subvenir aux besoins de la famille agrandie avec les deux enfants réfugiés, les parents étaient attachés aux travaux sans cesse renouvelés des champs. Chaque journée, ils confièrent donc les deux gosses à leur jeune fille.

On comprendra que n'ayant connu qu'une famille, celle des Bertin, de ses 2 à ses 5 ans, Daniel se soit profondément attaché au couple et à leur fille. Les lendemains de la libération furent donc difficiles et pénibles. Pendant ces temps de rafles et de dangers quotidiens, nombreux furent les enfants ainsi séparés de leurs vrais parents ayant voulu les sauver coûte que coûte. Enfants qui étaient bien trop petits pour comprendre un tel sacrifice. Et dès lors qui s'attachèrent à des adultes de substitution. Puis se trouvèrent déchirés quand, les dangers mortels écartés, leur famille juive refit surface pour les reprendre en leur sein.

Pour mieux prendre de la distance avec le passé de la guerre, Judka et Ruchla Herman émigrèrent avec David au Brésil.

Mais des Justes étaient restés à Cannes Ecluse, leur devoir de sauveteurs accompli. Tous trois ont été honorés en la salle polyvalente de la municipalité, ce mercredi 3 décembre (les parents, hélas, à titre posthume. Le Comité Français pour Yad Vashem avait délégué Viviane Lumbroso et Paul Ejcherand à cette cérémonie.

.

lundi 1 décembre 2008

P.90. "Livres pillés, lectures surveillées"...

Mises à sac des bibliothèques, à commencer par celles d'intellectuels juifs,
censure frappant aussi bien Zola qu'Apollinaire,
"aryanisation" de la Bibliothèque Nationale...
l'occupant et ses collabos ont frappé là aussi !


Gisèle Sapiro :

- "Entre 1940 et 1944, des millions de livres ont été saisis par les forces d'occupation nazies. Seuls 20 % seront restitués. Dans cet ouvrage qui traite du devenir des bibliothèques sous l'Occupation, Martine Poulain exhume la liste des victimes dressée à la Libération par la Commission de récupération artistique. Elles appartiennent surtout aux professions intellectuelles et libérales : Marc Bloch, Maurice Halbwachs, Vladimir Jankélévitch, André Maurois...

Relevant de trois logiques de pillage, guerrière, nationaliste, antisémite et raciste, les spoliations touchent aussi les institutions juives et maçonnes, ainsi que les bibliothèques des immigrés d'Europe de l'Est. En revanche, la plupart des bibliothèques publiques y échappent. Au prix d'une soumission aux conditions de l'occupant : révocation du personnel ayant des origines juives, séparation des lecteurs juifs, avant que les portes des bibliothèques ne leur soient fermées en 1942, retrait des livres interdits par l'occupant et par le régime de Vichy (sur les listes desquels Freud côtoyait Zola et Apollinaire).

Pour la Bibliothèque nationale (BN), à laquelle une bonne partie de l'ouvrage est consacrée, cette soumission alla jusqu'à la participation active à la propagande de l'occupant, après la nomination à sa tête de Bernard Faÿ en remplacement de l'ancien administrateur, Julien Cain, évincé en raison de ses origines juives...

Il faut savoir gré à Martine Poulain d'avoir tiré cette histoire de l'oubli en compulsant quantité d'archives inexploitées. Sa connaissance intime du métier de conservateur lui permet de jauger les réalisations à leur juste mesure et de montrer le prix matériel et symbolique - humain aussi - de la politique menée par Faÿ."
(Le Monde, 24 octobre 2008)

Laurent Lemire :

- "La corporation des bibliothécaires ne s'est pas distinguée de l'ensemble des autres fonctionnaires français: l'opposition à Vichy fut rare. Et comme l'ensemble des autres fonctionnaires français, les bibliothécaires eurent leur grand collaborateur en la personne de Bernard Faÿ (1893-1978), nommé en 1940 administrateur de la Bibliothèque nationale en remplacement de l'historien Julien Cain (1887-1974), juif et déporté à Buchenwald.

Les services de Ribbentrop définissent Faÿ comme «patriote, réactionnaire, catholique pratiquant et suspect en général». Lui se présente ainsi aux conservateurs de la BN : «J'ai été nommé parce que j'ai la confiance du Maréchal et la confiance des Allemands.»
Curieux personnage que ce Bernard Faÿ. Un intellectuel que la religion et l'ambition ont fait basculer dans les années 1930 dans l'obsession antimaçonnique. A la différence d'autres collaborateurs notoires, Bernard Faÿ n'est pas un germaniste. C'est un américaniste, traducteur de Gertrude Stein, professeur au Collège de France. Condamné aux travaux forcés à perpétuité en 1946, il s'évade en 1951 revêtu d'une soutane de prêtre puis s'installe en Suisse d'où il publiera quelques essais bilieux et des biographies chez Perrin.

Sous sa coupe, la BN devient un instrument de collaboration. Faÿ préfère traiter directement avec les SS plutôt qu'avec les services d'Abetz à l'ambassade. Il applique sans sourciller, comme dans toute l'administration française, les lois antisémites, xénophobes et antimaçonnes. Il «aryanise» l'administration, refuse l'entrée de l'établissement aux lecteurs juifs et enrichit les collections nationales par les saisies opérées dans les bibliothèques privées des Français déchus de leurs droits (juifs, résistants, communistes...). A la Libération, l'épuration sera silencieuse, étouffée. Le nom même de Bernard Faÿ sera oublié."
(Le Nouvel Observateur, 13 novembre 2008)


Martine Poulain, salle de lecture de l'INHA (DR).

Passion livres :

- "Quand les nazis pillaient les bibliothèques. Plusieurs millions de livres ont été volés par l’occupant. Heureusement, d’autres ont été protégés des pillages. Dans son ouvrage Martine Poulain raconte cette « guerre du livre ». Une guerre idéologique, bien sûr.

Le sort des œuvres d’art durant les années de guerre (1940 – 1945) est désormais bien connu. On ne perd tout de même pas facilement la trace d’un Rembrandt. Rien, en revanche, si l’on excepte quelques travaux diffusés en ligne, n’avait été écrit sur les livres. Martine Poulain répare un oubli avec son livre Livres pillés, lectures surveillées.
Depuis le pillage des bibliothèques publiques et privées par les nazis jusqu’à la censure et au contrôle des autorités d’occupation et de Vichy, rien n’a échappé à l’enquête de fourmi à laquelle elle s’est livrée. Ainsi le lecteur saura-t-il à l’unité près combien de livres ont disparu des bibliothèques de Nantes et de Clermont-Ferrand entre 1940 et 1944, combien de livres ont été empruntés en 1943 à la bibliothèque municipale de Dijon, combien achetés, etc. Il pourra passer rapidement sur les catalogues, les statistiques et les budgets qui n’intéressent que les spécialistes. Mais il s’attardera avec un intérêt soutenu sur les formidables tribulations subies par les livres en France durant les cinq années cruciales de cette histoire."
(15 octobre 2008)