lundi 28 juillet 2008

P. 59. Evelien van Leeuwen : "Modeste in memoriam".



Persécution et déportation des Juifs de Hollande,
Souvenirs lointains...

Quatrième de couverture, Ed. du Rocher :

- "Dans ces souvenirs publiés pour la première fois aux Pays-Bas en 1983, l'auteur évoque des images d'une adolescence qui s'est déroulée durant la Seconde Guerre mondiale. Appartenant à la population alors la plus menacée, elle a vu sa vie bouleversée. Entreprenant d'écrire une lettre à son fils, elle décide finalement de rédiger ce petit document. Ce « témoignage » ne recense pas des atrocités, c'est un récit simple et sobre, un discret monument à la mémoire des morts, qui se veut aussi un plaidoyer pour une réconciliation."

René de Ceccatty - Le Monde (11 janvier 2008) :

- "Le témoignage d'une déportée hollandaise, Evelien Van Leeuwen. Les grands livres ont leur temps, comme les justes confidences. Ils attendent le moment opportun, pour être écrits, publiés, traduits parfois. Tant de témoignages se sont perdus dans le vide. On connaît le triste destin de Primo Levi, entouré trop longtemps de sourds ou d'aveugles, et même parmi les intellectuels qui auraient dû être ses plus efficaces soutiens...

Evelien Van Leeuwen travaille dans l'édition comme traductrice (d'allemand, de latin, de français) (1). Elle ne manquait pas de moyens intellectuels, ni de savoir-faire, ni de relations sociales dans le milieu éditorial. Mais elle a attendu 1983 pour publier un récit apparemment discret, pour que les générations futures n'oublient pas. Elle avait alors 55 ans. Elle allait attendre vingt ans encore pour être traduite en français.

En cela, par le fait d'avoir attendu près d'un demi-siècle pour raconter son histoire, elle ressemble à beaucoup d'anciens déportés. Puisque c'est de la déportation des juifs qu'il s'agit. Comme si la parole avait exigé tout ce délai pour se faire entendre. Car chaque mot doit atteindre son objectif, qui n'est pas forcément de provoquer l'émotion (le pathos des films commerciaux peut aussi bien réussir à arracher des larmes aux plus endurcis), mais de donner au lecteur la conscience aiguë d'une réalité inadmissible...

Les derniers chapitres de ce livre admirable sont peut-être les plus admirables eux-mêmes, parce que, échappant au récit de l'horreur, l'auteur sort du temps de cette mémoire lointaine. Elle s'adresse d'abord à son fils qui ne sait pas et ne saura jamais, quoi que sa mère lui dise et lui écrive, la réalité derrière les mots. Les mots sont là, écrits et prononcés, mais ils ne parviennent pas jusqu'à lui, qui doit vivre. Alors une humanité bouleversante se laisse entrevoir, qui semble, l'espace d'un miracle, plus forte que la chiennerie."

Le Monde (10 juillet 2008) :

- "Un demi-siècle après sa déportation, une intellectuelle hollandaise publie une lettre ouverte à son fils, pour raconter d'un ton neutre la tragédie "ordinaire" des juifs aux Pays-Bas. Ce livre discret, tardivement traduit en français, est une leçon de lucidité, un modèle de sobriété littéraire."

Premières lignes :

- "POURQUOI Un jour - assise dans le train qui me conduit en RDA, je vois défiler sous mes yeux les paysages de l'Allemagne -, une pensée me traverse soudain l'esprit : l'heure est venue de consigner les souvenirs de l'enfant que j'ai été, l'enfant qui a passé, avec sa mère, deux années dans les camps allemands. Épisode qui a bouleversé ma vie.

À partir de là, tout a été scindé en trois : un avant-la-guerre, un pendant-la-guerre, un après-la-guerre. D'une façon brutale et cruelle, une fille juive, E., qui avait grandi dans une famille heureuse et prospère, dans un milieu protégé et cultivé, a vu son enfance prendre fin.

Quarante ans plus tard, je veux essayer de restituer de ces souvenirs une image - incomplète et passée au tamis du temps -, pour mes enfants. Afin qu'ils apprennent, voire comprennent, certaines choses relatives au monde qui était alors le mien, à la façon dont j'ai vécu l'époque et y ai survécu, à la différence de la grande majorité. D'avoir survécu m'a amenée à écrire un Modeste in memoriam pour les nombreux anonymes qui n'ont pas eu la même chance et pour ceux dont la vie s'est accompagnée depuis d'une peine incommensurable et souvent d'un grand courage : dans ces pages, ils sont représentés, pour les premiers, par la personne du père, du frère J. et de la soeur F., et pour les seconds par la personne de la mère."

Note :

(1) Evelien van Leeuwen a entre autres traduit en Néerlandais Cicéron, Colette (Le Blé en herbe, La Naissance du jour, La Paix chez les bêtes), Boileau-Narcejac, Jurek Becker, Stefan Heym, Christa Wolf.


Le Sammellager de Vugth, soit le Drancy de Hollande. Photo prise par l'aviation américaine. Document : Jewish Virtuel Library.

lundi 21 juillet 2008

P. 58. Journée nationale pour les persécutés raciaux et les Justes de France

(Photo JEA. Le monument du Judenlager des Mazures).

Echo ardennais
de la Journée nationale à la mémoire
des victimes des crimes racistes et antisémites
de l'Etat français
et d'hommage aux Justes de France.


Une fois n'est pas coutume. Cette page ne proposera pas un reportage sur les cérémonies du Vélodrome d'Hiver à Paris ou sur celles qui se déroulèrent dans l'une ou l'autre métropole de l'hexagone.
Mais vous êtes invités aux frontières de la France, dans les Ardennes. Là où pour la première fois de son histoire, la Ville de Les Mazures, a intégré dans cette Journée nationale le souvenir des 288 juifs d'Anvers (Belgique) qui y furent mis au travail forcé dans le seul Judenlager de Champagne-Ardenne. Sans oublier les trois Justes parmi les Nations qui se sont distingués dans l'histoire de ce camp et dont la reconnaissance a été officialisée en décembre dernier lors d'une cérémonie exceptionnelle organisée par le Comité Français pour Yad Vashem à l'Hôtel de Lassay (1).

L'histoire de Les Mazures qui s'étend du 18 juillet 1942 au 5 janvier 1944, ne fut exhumée qu'à partir de 2002. Avec pour premier objectif de retrouver les identités des déportés de camp puis de reconstituer leur destin individuel. Une Association pour la Mémoire de ce Judenlager éleva sur le site même du camp une pierre du souvenir en 2005. Ont été multipliées les publications (2), les conférences, les animations scolaires en Ardennes.

Mais ce 20 juillet 2008 marque une évolution fondamentale car la Municipalité a invité la population à une première célébration de la Journée nationale devant le monument même du camp.

Maire de Les Mazures, Madame Elizabeth Bonillo donna lecture du message signé par le Secrétaire d'Etat Jean-Marie Bocquel. Venue d'Anvers (Belgique), Yaël Reicher, fille d'évadé du Judenlager, Présidente de l'Association, lui succéda :


(Photo de M. Tzwern. de g. à dr. : la parole à Yaël Reicher, le Conseiller général Gérard Drumel, Mme Bonillo Maire des Mazures).

"Monsieur Drumel, Conseiller Général,
Madame Bonillo, Maire des Mazures,
Monsieur Jacques Namer, Président de la Communauté Juive des Ardennes,


Chers Amis,

Tout d’abord merci ... Merci à Madame le Maire de Les Mazures de nous avoir invités à cette importante journée du souvenir – celui de la Commémoration de la Déportation des Juifs de France et celui des Justes de France.

Au nom de l’Association pour la Mémoire du Judenlager des Mazures, je suis particulièrement émue du geste de la Ville de Les Mazures d’avoir pris l’initiative de s’arrêter un moment pour se souvenir mais aussi de donner une reconnaissance officielle à un passé douloureux qui s'est déroulé au Camp des Mazures, se situant à l’endroit même où nous nous trouvons aujourd’hui.

Le Judenlager des Mazures, un de ces lieux de barbarie humaine, de déshumanisation et d’obsession collective par le régime fasciste avec pour but l’anéantissement du peuple juif, était une anti-chambre de la mort. 288 déportés d’origine anversoise étaient obligés de construire un camp de travail ici-même, où ils furent astreints au travail forcé au bénéfice de la machine de guerre fasciste pour la fabrication de charbon de bois. Le 5 janvier 1944, ils sont tous transportés dans des wagons à bestiaux pour être déportés vers la mort, lieux vides d’humanité.

22 juifs des 288 internés aux Mazures ont réussi leur évasion et ont vu la Libération. Mon papa est décédé il y a presque 9 ans maintenant. Il était l'un de ces 22 survivants des Mazures. Il a été sauvé par le grand héros et résistant Emile Fontaine, qui a mis en péril sa propre vie et celle de sa famille pour sauver des gens comme mon père.
Comment est-il possible de remercier un personnage comme Emile Fontaine (3) de m’avoir donné un père aussi magnifique que le mien ? Je ne pourrais même pas. Le courage et l’intégrité d’Emile Fontaine évoquent pour moi, en tant qu’enfant d’un survivant des Mazures, des sentiments intenses d’humble admiration.

Simon Helfer (4), qui vient aujourd’hui pour la toute première fois aux Mazures, sur le lieu même où son papa a vécu les derniers moments de sa vie, il y a 66 ans, vit une journée importante. Son papa n’est plus jamais revenu des camps. Le papa de Simon a été exterminé par les nazis à Auschwitz quand Simon avait tout juste 1 an. Je répète, quand Simon avait tout juste 1 an. Et il a été exterminé parce qu’il était juif. Simon a dû grandir et vivre sa vie sans père parce que les nazis estimaient qu’il fallait exterminer des êtres humains.

Nous continuons à nous mobiliser pour dire non. Plus jamais cela. Nous sommes là pour qu’on se souvienne, qu’on n’oublie pas la mort des nôtres, la mort d’êtres humains. Nous sommes là pour se souvenir des actes héroïques de résistants comme Emile Fontaine. Nous sommes là aujourd’hui pour combattre ces fléaux de la haine, de l’antisémitisme et de l’intolérance.

Je tiens à remercier Madame le Maire des Mazures de votre geste du souvenir de nos parents et de votre prise de position par rapport à un passé douloureux, qui a été merveilleusement retracé par le travail historique du Professeur Andreux, ici présent, même s'il est accablé par une longue et douloureuse maladie.

N’oublions jamais le devoir de mémoire ...
Souvenons-nous humblement de la grandeur des héros de la résistance ...


Luttons contre la haine et
Gravons ces mots dans nos cœurs à jamais.
Merci.

(S) Yaël Reicher."

Une gerbe a été déposée par Madame le Maire devant la stèle des 288 déportés juifs. Puis les membres de l'Association ont posé chacun un galet sur la Pierre du Souvenir.


(Photo de M. Tzwern. S'avancent vers la Pierre : Simon Helfer, fils de déporté des Mazures mort ensuite à Auschwitz, Jean-Emile Andreux et son petit-fils Chapouillet, Suzy Collard et Jacques Namer, Président de la Communauté des Ardennes, puis Françoise Parizel)

La Municipalité a ensuite présenté l'exposition réalisée par la Bibliothèque centrale de Charleville-Mézières et sous la responsabilité de Florence Subissati (4). Basée uniquement sur des documents authentiques retrouvés au long de quatre années de recherches, cette exposition retrace l'histoire du Judenlager de Les Mazures et de ses déportés. Documents et conception ont été à charge de Jean-Emile Andreux, historien du Judenlager (4). Le montage initial a été supervisé par Marie-France Barbe, historienne ardennaise (4).

Après 9 présentations dans d'autres localités ardennaises (et une belge), cette exposition restera à la disposition de la population et des touristes dans la salle du Conseil municipal de Les Mazures.

(Photo de M. Tzwern. Description des documents à Yaël Reicher, à Simon Helfer, à l'ancienne Maire de les Mazures Mme Cachard, et à Danielle Helfer)

Notes :

(1) Voir le diaporama sur la page 2 de ce blog.

(2) Dernière publication : Jean-Emile Andreux. Mémorial des déportés du Judenlager des Mazures. TSAFON. Revue d'études juives du Nord. n°3 hors-série - octobre 2007. 155 p.

(3) Emile Fontaine, Juste parmi les Nations de même que sa compagne Annette Pierron et la mère de celle-ci, Camille Pierron. Lire : La lettre d'information du Comité Français pour Yad Vashem. N° 7 Eté 2007. Emile Fontaine, un Juste dans l'enfer des Mazures. pp 6-7.

(4) Membres de l'Association pour la Mémoire du Judenlager des Mazures (L. 1901). A noter que cette Association créée en 2003 n'a jamais été invitée par la Préfecture des Ardennes à une seule célébration telle cette Journée nationale.

(5) Tous nos remerciements à Manu Tzwern dont les photos illustrent cette page.

Une dernière image. Porteuse d'espoir. Celle d'un Mazurois qui, loin d'occulter le passé de sa localité, explique à ses enfants le pourquoi et le comment du monument élevé en mémoire des déportés du Judenlager :

Photo : Manu Tzwern (4 et 5).

mercredi 16 juillet 2008

P. 57. Quand Résistance n'était pas synonyme de solidarité avec les Juifs persécutés

PROPAGANDES ET PERSÉCUTIONS. LA RÉSISTANCE ET LE "PROBLÈME JUIF", 1940-1944.
Renée Poznanski. Fayard.

Présentation de l'Editeur :

- "Les dits - et les non-dits - de la propagande développée par la Résistance nous mènent au plus profond de l'imaginaire social de la France de l'Occupation. Dans la guerre du verbe entre les Français de Londres - émissions de la BBC renforcées par la presse clandestine - et la voix officielle de Vichy, l'enjeu était de séduire une opinion qui au début avait soutenu Pétain avec ferveur. Quant aux Juifs, ils ont subi presque tout de suite les effets d'une double persécution, l'une pilotée par Vichy, l'autre imposée par les Allemands. À la marginalisation à laquelle les procédures d'exclusion les acculèrent se superposèrent bientôt, pour beaucoup, l'internement puis la déportation vers un inconnu terrifiant.

Des explications circonstanciées en même temps qu'un tapage haineux précédèrent et accompagnèrent chacune des étapes de leur calvaire. En face, la propagande de la Résistance a parfois mené et souvent esquivé la bataille sur ce front dans une guerre des mots. Aucune étude d'ampleur ne s'était encore penchée attentivement sur la façon dont la Résistance s'est exprimée sur les persécutions antisémites en France et/ou sur le sort des Juifs déportés à l'Est. Comparer les publications des organisations juives, les émissions de Londres et la presse des mouvements montre que l'ignorance invoquée (a posteriori) sur le sort promis aux Juifs n'explique rien ; c'est dans les priorités des uns ou des autres que se trouve la clé des thèmes avancés, des expressions ambiguës ou des silences obstinés.

Pour la première fois est examiné ici - force citations à l'appui - ce qui a contribué à en fixer l'échelle dans les médias de l'époque - collaborateurs ou résistants, autorisés, tolérés ou clandestins, radiophoniques ou écrits. Ces choix de propagande, mis en regard des études d'opinion circulant dans les milieux résistants, jettent une lumière crue sur la place qu'occupa «le Juif» dans l'imaginaire de la société française, comme dans l'esprit des élites en lutte contre l'occupation nazie.En cela, ce livre apporte aussi une contribution majeure à l'histoire de l'antisémitisme et à celle de la Résistance."

Thomas Wieder, Le Monde, 10 juillet 2008 :


- "Il y a (...) beaucoup à dire sur l'ambivalence d'une grande partie des résistants à l'égard du sort des juifs. Une ambivalence que les antécédents maurrassiens ou fascisants de quelques-uns ne suffisent pas à expliquer. C'est ce que rappelle, dans un livre dense et foisonnant, Renée Poznanski, professeur de sciences politiques à l'université Ben Gourion de Beer Sheva (Israël) et auteur d'une synthèse de référence sur Les Juifs en France pendant la seconde guerre mondiale (rééd. Hachette, "Pluriel", 2005).

Pour l'historienne, la "convention du silence", déplorée après la guerre par Raymond Aron, s'explique en grande partie par la volonté des combattants de l'ombre de ne pas briser un "consensus résistant" qu'ils savaient fragile. Sans cesse à la recherche du "plus petit dénominateur commun", ils choisirent de taire les sujets controversés. (...)

Au début, seules quelques voix isolées - autour de La France continue, de L'Université libre, de Témoignage chrétien, ainsi que des groupuscules de communistes juifs - se distinguèrent par leur lucidité. Elles furent plus nombreuses à la mi-1942, à l'époque de l'étoile jaune et des grandes rafles. Mais le sursaut fut éphémère. Car les arrestations de juifs furent volontiers présentées dans la presse clandestine comme un "prélude" à la "déportation" de tous les Français. La Relève et, en février 1943, le service du travail obligatoire (STO) contribuèrent à reléguer de nouveau les juifs au second plan.

A la veille du débarquement en Normandie, Bernard Lecache, le fondateur de la LICA, constatait que les grandes figures de la France libre restaient, à propos des juifs, "embarrassés, faisant des entourloupettes, usant de prétéritions et de circonlocutions, d'euphémismes et d'allusions". La plus franche condamnation des exactions nazies pouvant cohabiter, chez un même individu, avec la revendication d'un numerus clausus. Les textes que Renée Poznanski exhume sont accablants. Ils rappellent que persista, jusqu'à la fin de la guerre, un "penser-double" qui ne prépara pas la société française, après l'ouverture des camps, à penser la singularité du génocide."

mardi 8 juillet 2008

P. 56. Quatre Justes à Givet


Givet (BCFYV/DR).

Deux couples des Ardennes ont été honorés le 6 juillet.

A l'invitation de Claude Wallendorf, Conseiller Général, Maire de Givet
et de
Didier Cerf, Délégué Régional du Comité Français pour Yad Vashem,
les salons d'honneur du Centre Culturel des Récollectives à Givet
ont abrité une cérémonie de reconnaissance comme Justes parmi les Nations
de Lucien et de Marie ACHART
ainsi que de Georges et de Lucienne DEREIMS.

Les Médailles et Diplômes de ces quatre sauveteurs de Juifs ont été remis
à titre posthume
à leur fille et petite-fille Gisèle Lelong-Dereims
ainsi qu'à leur petit-fils et arrière petit-fils Eric Lelong.

Article de L'Ardennais-L'Union, le... 24 juillet :

- "Le temps d'une réception, Givet est remonté dans le temps… 1940 - 1945. Le déchirement des peuples, l'exode… des milliers de personnes vivent un véritable drame. Des Ardennais n'hésiteront pas à tendre la main à des Juifs pour les aider à échapper à la terreur nazie. C'est le cas de Lucien et Marie Achart ainsi que de Georges et Lucienne Dereims qui habitent respectivement Lalobbe et Remaucourt.
Les décennies se sont écoulées et les souvenirs sont omniprésents.
Lors d'une réception qui s'est déroulée récemment {le 6 juillet} dans les salons d'honneur du centre culturel des Récollectines, Peleg Lewi, diplomate de l'ambassade d'Israël en France, a remis à titre posthume la Médaille des Justes parmi les nations à Lucien et Marie Achart ainsi qu'à Georges et Lucienne Dereims représentés par leur fille et petite-fille, Gisèle Lelong-Dereims et leur petit-fils et arrière-petit-fils, Eric Lelong, particulièrement connus à Givet.
Précédant cette remise de médailles, Mme Dollart-Leplomb, de l'association des amis de la Fondation pour la mémoire de la Déportation, a relaté cette douloureuse page qui a marqué l'histoire de France.
Cette page d'histoire s'est poursuivie par l'intervention de Didier Cerf, délégué régional du Comité français pour Yad Vashem. De son côté, Jérôme Lelong a relaté l'histoire de la famille juive qui a été sauvée. Claude Wallendorff a remis la médaille de la ville notamment à Didier Cerf, à Gisèle Lelong-Dereims et à Eric Lelong."

(Ph. L'Ardennais).

Synthèse des dossiers Yad Vashem :

- "Georges et Lucienne Dereims, fille de Lucien et Marie Achart, vivaient dans les Ardennes. Ils étaient liés d’amitié avec les Einhorn, des Juifs réfugiés dans la région, à Remaucourt.
La nièce des Einhorn, Suzanne, vit à Paris. Sa mère est morte d’une méningite et son père comme son frère ont été pris dans des rafles. Se retrouvant seule, à l’âge de 18 ans, Suzanne contacte son oncle et sa tante, les Einhorn. Georges et Lucienne Dereims accueillent la jeune fille jusqu’en janvier 1944.

Après les rafles des 4 et 5 janvier, Lucienne Dereims, par précaution, préfère envoyer la jeune fille chez ses parents, Lucien et Marie Achart, qui habitent Lalobbe.

Les familles Dereims et Achart ont caché d’autres familles juives pendant la guerre parmi lesquelles les Rona et Pal dans leur ferme à Remaucourt, avant de leur trouver une filière pour rentrer à Paris.

Quelques années plus tard, Suzanne épousera le fils des Achart, Lucien.

Lucienne Dereims témoigne en 1999, interviewée par Pierre Coulon, écrivain ardennais :
"Ils avaient pas trop à manger, moi j’avais une grosse ferme, je leur donnais des œufs, une soupe au lait" puis "ils ont demandé pour qu’on les cache , on les a cachés... On était hardis ! On pouvait partir en Allemagne aussi, vous savez : j’avais trois gamines. Quand on repense à tout ça ! Suzanne, je l’ai conduite chez mon père. Il disait : c’est ma petite-fille de Vouziers."


Retrouvailles ave la famille Einhorn. Sont identifiés Lucien Achart et Georges Dereims (BCFYV/DR).
.

lundi 7 juillet 2008

P. 55. Abel et Suzanne Fournier, Justes parmi les Nations

Suite de la page 43 décrivant la cérémonie de remise de diplômes et de médailles de Justes qui s'est tenue à la Mairie du 3e arrondissement de Paris, le 2 juin dernier.

En complément des échos déjà proposés sur cette longue cérémonie au cours de laquelle furent honorés de nouveaux Justes parmi les Nations, Viviane Saül, déléguée du Comité Français pour Yad Vashem, propose cet article publié dans "la Ruche". Ce journal est celui de la Congrégation de Soeur Gisèle Fournier, fille d'Abel et de Suzanne Fournier. Les photos mises en illustration nous ont été aimablement transmises par Soeur Gisèle Fournier.

Suzanne et Abel Fournier, 1946 (Arch. fam. Soeur Gisèle Fournier)

- "Quel privilège et quelle grâce d’avoir été témoin – à l’invitation de notre sœur Gisèle - de l’hommage officiel rendu par l’Etat d’Israël à ses parents, Abel et Suzanne FOURNIER, deux des sept Justes parmi les Nations honorés le 2 juin 2008, à la Mairie du 3è arrondissement de Paris !
Françoise Gorioux, Mariannick Caniou et Marguerite Gohier participaient aussi à cette émouvante cérémonie, où se côtoyaient les familles des Justes et des personnes vouées à la mort parce que juives, mais sauvées grâce au courage de ces Français qui par humanité ont su affronter les pires dangers, au péril de leur vie et de celle de leurs proches.


Des sept Justes honorés ce jour-là, seul M. Robert CORNON, âgé de 92 ans, est encore vivant et il était là en personne, estimant qu’en sauvant des juifs il n’avait fait que son devoir…
« Quiconque sauve une vie sauve l’Univers tout entier » dit la phrase du Talmud gravée sur la Médaille des Justes, jointe au Certificat honorifique remis à un proche en cas de reconnaissance posthume. En outre, à Jérusalem, leurs noms sont inscrits sur le Mur d’honneur du Jardin des Justes à Yad Vashem. C’est la distinction suprême décernée par l’Etat d’Israël à des non-juifs en témoignage de la reconnaissance du peuple juif."



(De g. à dr. : Louis Grobart, vice-président du Comité Français, Soeur Gisèle Fournier recevant la Médaille et le Diplôme de Justes portant le nom de ses parents, Peleg Levi représentant l'Ambassade d'Israël, Madeleine Peltin Meyer et Viviane Saül, déléguées du Comité).

"Ses parents étant décédés, ce fut Gisèle qui reçut la Médaille des Justes en leur nom, avec une émotion partagée par les membres de sa famille, par ses amis, par nous ses sœurs, et surtout, sans doute, par Madame Dina MOYAL, venue exprès du Canada pour la circonstance, après avoir vécu un temps aux USA. Car cette dame, née en 1941, est l’une des sept personnes cachées et prises en charge par M. et Mme FOURNIER pendant deux ans et demi. « Leur dire merci, leur exprimer notre reconnaissance, c’est tellement insuffisant ! » disait-elle quelques moments plus tard. « Quatre-vingt quatre membres de notre famille sont morts dans la Shoah. Nous reconstituons peu à peu la famille, nous sommes maintenant trente-six. » Et sa voix s’est brisée lorsqu’elle a évoqué sa maman, Tobe FECHTER, arrêtée par la police française le 16 juillet 42. Par miracle, le policier qui l’emmène ne prend pas les deux filles. Il accepte qu’elles se rendent à une autre adresse, celle de leur tante.
Pour chacun des Justes, les circonstances de leurs actes de bravoure ont été évoquées, d’abord par les soins des responsables de Yad Vashem France, puis par des proches souhaitant s’exprimer."

( De g. à dr. : Madeleine Peltin Meyer, déléguée du Comité, Peleg Levi et Dina Moyal)

"En ce qui concerne Dina, en septembre 1942, elle se trouvait à l’Hôpital pour subir une opération des amygdales, accompagnée par sa tante, Madame Tsipa ZELIK, chez qui après l’arrestation de leur mère elle avait trouvé refuge ainsi que sa sœur Evelyne née en 1934. Une enfant de la famille Fournier s’y trouvait aussi. La tante fait part à M. FOURNIER de sa détresse : elle ne sait pas où aller pour être en sécurité. Celui-ci, membre du réseau de la Résistance de la SNCF, lui répond de ne pas s’inquiéter, il va s’occuper d’elle et des siens."

(Après la Libération : Mirka Zélik, Eveline Fechter, Marcelle Zélik, Mme Tsipa Zélik, Salomée Zélik et la petite Dina Fechter - Photo Arch. fam. Soeur Gisèle Fournier)

"Et c’est ce qu’il fit pendant deux ans et demi, de 1942 à la libération en août 1944, leur apportant généreusement soutien moral et matériel, mettant en outre à leur disposition une parcelle de terre pour leur permettre de planter et de cultiver des légumes. La famille habitait dans l’Yonne, sous une fausse identité au village de Vigny, à 150 km de Paris, dans une maison inoccupée voisine de celle de la famille FOURNIER. Tous les habitants savaient qu’il s’agissait de juifs, mais personne n’a parlé. Le danger était grand, car des troupes allemandes étaient stationnées à 1 km 500 du village et un poste de commandement où des résistants étaient arrêtés et torturés était installé à 5 km.

« Par pure fraternité et noblesse d’âme », M. et Mme FOURNIER ont pris de nombreux risques pour eux-mêmes et pour leurs deux filles, et nous nous associons à la gratitude de Madame Dina, pour exprimer à Gisèle nos sentiments d’admiration et de fierté à l’égard de ses parents. « Justes parmi les Nations », ils sont l’honneur de la France. J’ajouterai, en citant le psaume 112,2, « la race des justes est bénie ».

Au 1er janvier 2006, le titre de « juste » a été décerné à 21 308 personnes à travers le monde, dont 2 646 en France. Mais le livre des Justes ne sera jamais fermé, car nombreux sont ceux qui resteront anonymes, faute de témoignages.

Reconnus ou non, ils incarnent le meilleur de l’humanité. Tous considèrent n’avoir fait rien d’autre que leur métier d’homme. Ils doivent servir de phares aux nouvelles générations.

(s) Marie-Madeleine PIOU."

Une vue très partielle de l'assistance dans la salle des cérémonies de la Mairie du 3e.

mercredi 2 juillet 2008

P. 54. L'affaire Leo Frank

Cliché authentique du lynchage de Leo Frank. Mis en vente ensuite comme carte postale... (Photo : The Johns Hopkins University Press, EAS, D.R.)

1913. Venu de Brooklyn, Leo Frank a cru que son avenir allait s'épanouir en Georgie. Hélas, il s'est installé aussi dans une région où le KKKlan et l'antisémitisme se complètent dans des haines sanglantes. Aussi, lorsqu'une petite chrétienne de 13 ans, Mary Phagan, est violée et assassinée, accuse-t-on un Juif comme si c'était évident et donc indiscutable. Ce Juif, Leo Frank, employeur de la jeune fille, est alors entraîné dans une spirale infernale.

La "justice" d'alors et de là est aussi primitive qu'expéditive. Leo Frank, qui n'a évidemment jamais avoué, fort de son innocence, est néanmoins condamné à mort. Mais la veille de l'exécution, John, Slaton, gouverneur de Georgie, empêche la mise à mort. Leo Frank devrait rester en prison à vie. Aux yeux du gouverneur, il a absence de preuves fiables et plus que des doutes sur la culpabilité de l'accusé. Poussée par des forces et des intérêts racistes plus ou moins occultes, la foule crie alors vengeance. Elle veut se faire "justice" elle-même et s'empare de Leo Frank pour le lyncher sans pitié.

Leo Frank n'a été innocenté qu'en ... 1986. Cette histoire est remise en mémoire et en perspective par un ouvrage tout juste sorti aux Ed. L'Harmattan.


Aux Ed. L'Harmattan, Victor Kuperminc (1) publie son dernier opus retraçant l'histoire de Leo Frank, victime - parce que Juif - d'une erreur judiciaire provoquée par le plus sudiste des racismes .

Extrait de la préface signée par André Kaspi, Professeur à la Sorbonne, spécialiste de la civilisation américaine :

- "Leo Frank fut la tragique victime de l'intolérance. accusé, à tort, d'avoir assassiné une très jeune employée de l'usine dont il était le directeur, il fut condamné à mort, puis gracié par le gouverneur de la Géorgie, et finalement lynché par une foule en délire. Le drame ne se déroule pas au Moyen Age, mais en 1913 et 1915. Il n'a pas pour théâtre la Russie Tsariste, ou un royaume oublié au fin fond de notre planète. Il se déroule aux Etats-Unis. Certes, d'autres pays ont connu des affaires scandaleuses. Le capitaine Dreyfus fut dégradé mais une extraordinaire campagne d'opinion le sortit de sa geôle, et, en fin de compte, il obtint sa réhabilitation. Leo Frank, le juif américain, n'a pas bénéficié de la même clémence, et pour parler sans ambages, de la même justice."



4e de couverture :

- "Une Affaire Dreyfus aux Etats-Unis ? La terre d'asile qui accueille les rejetés, les bafoués de toutes origines, de toutes croyances est bien le dernier endroit sur terre où on s'attendait à voir l'antisémitisme prendre une part essentielle à l'une des plus graves erreurs judiciaires du siècle.

Leo Frank, accusé sans preuve du meurtre de Mary Phagan, une jeune ouvrière de l'usine dont il est le directeur, est condamné puis sa peine est commuée ; il est finalement lynché à mort par la foule d'Atlanta.

Les Américains voyaient resurgir les démons de la Guerre de Sécession. Le Nord considérait Leo Frank comme un martyr du racisme, et le Sud se vengeait de sa défaite. Et c'est à la suite de l'affaire Leo Frank que les Sudistes les plus extrémistes ressuscitèrent le KuKluxKlan, et que fut créée "l'Anti Diffamation League".

L'affaire fut l'objet de nombreux articles, enquêtes et livres. Depuis 1915, le théâtre, le cinéma, le music-hall et la télévision se sont emparés du formidable scénario des destins tragiques de Mary Phagan et de Leo Frank.

Victor Kuperminc a traduit Les Joies du Yiddich de Leo Rosten et Le Grand Livre de la Sagesse Juive de Joseph Telushkin (Calmann Lévy, 1994 et 1999). Il est l'auteur de Idées reçues sur les Juifs (Le Cavalier Bleu, 2001). Il écrit pour différents journaux de la presse juive française."

Note :

(1) Délégué pour Paris et la Région parisienne du Comité Français pour Yad Vashem.