mardi 28 juillet 2009

P. 160. Histoire de la famille Hafon

Photo de la famille Hafon. A l'accordéon : Roland (Arch. fam. Hafon / DR).

Les Lapeyre :
trois Justes qui ont caché à St-Sever
Odette et Roland Hafon

Rescapés des camps et enfants cachés sont porteurs d'histoires individuelles uniques mais qui toutes participent précieusement à l'élaboration et à la diffusion de l'histoire de la Shoah. Leurs témoignages directs, leurs souvenirs encore tellement vivaces importent autant que des recherches, archives et documents, avec lesquels ces témoignages n'ont pas à entrer en concurrence mais bien en complémentarité.
La page 159 de ce blog relate comment l'écoute de Paul Schaffer par des lycéens de Revel les a conduits vers Auschwitz. Et surtout à des prises de conscience montrant une grande maturité et à des engagements citoyens.
Sur cette autre page, Roland Hafon résume ses interventions devant d'autres lycéens, d'un autre horizon de France (ici, en Bretagne). Mais l'écoute est toujours d'une exceptionnelle qualité. Et le face-à-face direct de ces jeunes gens avec un ancien enfant caché efface tout risque de malentendus ou d'indifférences que pourraient tracer les différences d'âges, d'expériences, d'origines, de centres d'intérêt...

Roland Hafon :

- « Nous habitions dans le 11e arrondissement de Paris (Nation, Bastille) et lorsque nos parents apprenaient qu’une rafle aurait lieu le soir même, nous allions ma sœur et moi, passer la nuit chez l’un ou l’autre de nos voisins de palier pour être épargnés. Cela me donne l’occasion de rendre hommage à M. et Mme Crouzet ainsi qu’à M. et Mme Gillebert. Le premier était policier et pouvait avoir quelques informations tandis que les seconds étaient des sympathisants communistes.

Devant l’augmentation de la fréquence des rafles, nos parents décidèrent de nous cacher dans le Sud-Ouest de la France, soit dans les Landes, à Saint-Sever. La famille Lapeyre devait nous accueillir : Jean-Marie, le père et ses deux filles célibataires, Germaine et Nathalie.
Nous sommes partis en train, accompagnés par une cousine qui pouvait voyager sans danger pour elle car elle était protestante. Notre séjour a duré plus d’un an, courant 1943 jusqu’à la Libération quand les trains ont à nouveau pu circuler.

Les Allemands avaient une Kommandantur à Saint-Sever. Celle-ci se trouvait seulement à quelques dizaines de mètres de l’épicerie de la famille Lapeyre. Voilà pourquoi nous ne devions pas éveiller l’attention et nous montrer très disciplinés. Nous étions supposés être de petits cousins…
Nous étions scolarisés, allions à la messe tous les dimanches et le soir, avant de dormir, nous récitions des prières dont la principale était : « revoir nos parents ». Nous leur écrivions quelques lettres adressées à notre concierge, Madame Hulot, qui les transmettait fidèlement.

Notre présence dans cette petite ville de France et qui plus est, dans une famille sans petits enfants, ne pouvait passer inaperçue. Les clients de l’épicerie, les voisins, le curé, les sœurs de notre école, tous devaient être dans la confidence…"


Légende manuscrite : Roland et Odette à Saint Sever 1944 (Arch. fam. Hafon / DR).

- "Mon père travaillait de nuit dans une usine de nettoyage à sec de vêtements. Le 18 mai 1944, il a été brûlé par l’explosion d’une cuve de benzène. Pour l’hôpital, son patron l’a déclaré musulman, ajoutant que ses papiers avaient été détruits avec ses vêtements atteints par les flammes.
Au retour de l’hôpital de mon père, deux policiers français sont venus « chercher » nos parents à leur domicile. Il a fallu que ceux-ci les supplient, leur donnent le peu d’argent qu’ils possédaient en plus de quelques bijoux. Les policiers acceptèrent de les épargner à condition que nos parents quittent leur appartement sur la porte palière duquel la Gestapo devait apposer des scellés le lendemain.
Ne sachant où aller, nos parents se réfugièrent d’abord chez un couple de voisins dans le même quartier. Le mari fut ensuite arrêté et déporté. En conséquence, nos parents revinrent dans leur immeuble mais chez une cousine sur le point de se convertir au catholicisme (elle devint carmélite) et qui leur assurait « qu’elle priait tous les jours pour qu’ils soient épargnés ».

Arrivé à la cinquantaine, j’ai pris conscience des risques considérables pris par notre famille d’accueil pour nous sauver.
La question que je pose est la suivante : « Pourquoi avoir attendu tant d’années pour tenter de les revoir, de les remercier ? »
Je n’ai pas de réponse précise. Je pense que notre silence et notre ingratitude peuvent s’expliquer par une combinaison de raisons :

- compte tenu des circonstances, notre séjour à St-Sever ne fut pas réjouissant ;
- beaucoup de contraintes, de peurs, de silences ont pesé sur nos origines ;
- une fois de retour, nous avons voulu oublier.
Notre sort d’enfants cachés n’est bien sûr pas comparable avec les souffrances vécues par les rescapés des camps d’extermination, mais un même voile de silence, souhaité par tous, s’en est suivi.

En décembre 2005, nous avons déposé auprès du Comité Français pour Yad Vashem un dossier visant à la reconnaissance de Justes pour la famille Lapeyre.
Le 4 octobre 2008, jour anniversaire de mes 70 ans, l’Institut Yad Vashem de Jérusalem annonçait officiellement que les trois membres de notre famille d’accueil se voyaient attribuer la médaille et le diplôme de Justes parmi les Nations.
En l’absence de descendants de ces Justes, le Comité Français m’a suggéré de confier leurs récompenses à un Musée de la Résistance. Après consultation de Mlle Pirès, auteur d’un mémoire de Master (université de Pau) sur les Justes dans le Sud-Ouest, il a été retenu le Musée de la Résistance et de la Déportation à Grenade sur Adour. M. Dufourcq, maire de cette commune et Mme Toribio, responsable de ce musée, ont accueilli tous deux cette perspective avec joie et reconnaissance.

En conclusion, je voudrais rappeler que ce ne sont pas des raisons financières qui ont conduit notre famille d’accueil à prendre tous les risques pour nous sauver. Serions-nous capables nous aussi de risquer notre vie pour d’autres ?"


Au milieu de lycéens, Roland Hafon (Arch. fam. Hafon / DR).

mardi 21 juillet 2009

P. 159. Lettre d'un jeune lycéen à un survivant de la Shoah

Auschwitz-Birkenau (Graph. JEA / DR).

"Lors de notre arrivée sur le site d'Auschwitz, nous nous sommes engagés directement sur le chemin qui fut le vôtre..."

Xavier Dufau est lycéen, en terminale à Revel. Sa signature est portrée au bas d'une lettre adressée à Paul Schaffer.
"Le soleil voilé. Auschwitz 1942-1945" (1), donne tout son sens au courrier de ce jeune à un survivant de la Shoah. En effet, dans ses souvenirs, Paul Schaffer rappelle comment des gendarmes français l'ont arrêté à Revel, le 26 août 1942. Avec ses parents et sa soeur Erika, il fut d'abord interné au camp de Noé. Pour se retrouver transféré le 1er septembre à Drancy de même que sa mère et Erika (la santé de son père empêchant tout transport). Puis, dès le 4 septembre, mis tous les trois dans le convoi n° 28.
Mère et fille furent mises à mort dès leur arrivée à Auschwitz. Paul Schaffer se retrouva dans un camp annexe, celui de Tarnovitz. Ensuite le camp "plus sinistre encore" de Schoppinitz. En novembre 1943, l'adolescent est tatoué à Birkenau : dorénavant, il portera le matricule 160 610. Après sept mois dans l'horreur absolue de Birkenau, il est désigné avec environ 250 hommes et 35 femmes pour le camp annexe de Brobek. Une usine de Siemens. Là, Paul découvrit les ressemblances entre une autre déportée, Simone Veil, et sa soeur Erika...
Le 18 janvier 1945, débute "la marche de la mort" jusqu'au camp de Gleiwitz. Paul Schaffer s'évade avec son ami Zev. Ils marchèrent et marchèrent jusqu'à une patrouille de jeunes soldats soviétiques. Quand finalement, il revint dans un Revel libéré, ce fut pour y apprendre la décès de son père, libéré pour cause de santé de Noé mais qui n'avait pas supporté la déportation de tous les siens...

Aujourd'hui, Paul Schaffer (2) est "citoyen d'honneur" de Revel. Il y propose régulièrement des conférences scolaires. A la suite de l'une d'entre elles (préparant une découverte scolaire d'Auschwitz), un lycéen, Xavier Dufau, a pris sa plume la plus sincère.

Matricule 62 766 à Auschwitz (DR).

Xavier Dufau :

- "Chaque voyage est une expérience unique : des souvenirs, des images et des sensations qui nous prennent et que l'on veut partager, transmettre. Cette journée passée en votre compagnie revêt un caractère historique, particulier et très fort. Lorsque notre professeur a évoqué l'idée de ce projet d'étude à Auschwitz, je me suis vu trouble, ne sachant comment envisager les choses. Mais je voulais aller plus loin et savoir. Ce projet fut riche en émotions et cette journée en Pologne sera a jamais inscrite en moi.

Lors de notre arrivée sur le site d'Auschwitz, nous nous sommes engagés directement sur le chemin qui fut le vôtre. Les rails. C'est par le train, de nombreux trains, que vous et tant d'autres, ont été débarqués au camp, à cent dans ces wagons sombres de transport d'animaux où le voyage lui-même était meurtrier. Nous avons marché ensemble vers le camp, et pas à pas vers l'entrée, cette entrée que nous connaissions. Mais les photos sont loin de transmettre les vibrations d'un lieu aussi bouleversant.

L'entrée, les rails et le camp.

Un camp, plat, dont on ne voit pas les frontières, un camp immense. Quelques baraques et les miradors, les barbelés et une armée de cheminées nues qui témoignent des anciens bâtiments. Nous avons pris le chemin des chambres d'extermination et à travers cette marche, nous touchions aux derniers instants de vie de familles entières, ignorant leur destin proche. Accompagnés par des photos et des visages, nous nous sommes rendus au cœur de la machine de destruction nazie.

L'entreprise de la mort et les étapes savamment orchestrées de l'élimination d'un peuple.

Voir. Toucher. Sentir. Autant de mots qui prennent toute leur dimension dans un lieu aussi fort que celui d'Auschwitz. Vivre une telle expérience est bouleversant, touchant au plus profond, et laisse émerger des sentiments inconnus.

Pour moi cette journée fut riche en émotions diverses, partagées entre dégoût, colère, honte et appréhension.

Je pensais trouver une atmosphère chargée d'électricité, une place fantôme, déserte, où les vestiges de la catastrophe nous auraient envahis. Mais mes premières impressions ont été troublantes, comme si cette atmosphère s'était évanouie depuis longtemps. Je me suis donc projeté dans celle-ci, grâce aux photos et aux témoignages, et le coup de fouet d'émotions que je m'étais imaginé, m'envahit seulement au fur et à mesure de notre parcours. Plus les instants passaient, plus je ressentais la force de ce lieu, de ces murs et de ces sols.

C'est à mon retour que j'ai pris conscience de l'impact de cette journée sur moi, quand, figé dans mes pensées, je restais muet et triste. Triste de savoir, d'avoir vu ce que l'homme, dans ses moments de grande folie, peut faire par haine envers les siens. Triste de ce constat, triste pour tous ces gens, triste et amer.


Ce que nous avons vu ce jour-là, on se doit de le dire, de témoigner pour la mémoire de ceux qui sont morts pour ce qu'ils étaient, pour leurs différences. On se doit de transmettre l'Histoire comme vous le faites avec d'autres qui ont survécu à l'horreur nazie. On se doit de trouver les mots justes et de définir le terme de « Shoah ». On se doit d'être pédagogue, d'être témoin, d'être révolté. On se doit de ne pas laisser les choses se reproduire et on se doit d'éduquer. On se doit de se souvenir et on se doit d'être conscient. On se doit de réagir, de ne pas rester passif et tout cela on vous le doit ; à vous, à eux, à tous ceux qui ont souffert et souffrent encore de la folie des hommes. Tout cela nous le devons car nous savons.

Je vous écris cette lettre pour vous dire que nous n'oublierons pas, car la mémoire et tout ce que j'ai à transmettre; un témoignage face aux fous des temps passés, présent et à venir; un témoignage pour un futur aux hommes meilleurs.

Je vous prie de croire à mon sincère respect.

Xavier Dufau."


Auschwitz (Graph. JEA / DR).

NOTES :

(1) Paul Schaffer, Le soleil voilé. Auschwitz 1942-1945, Préface de Simone Veil, Société des Ecrivains, 2002, 231 p.
Voir son site en cliquant : ICI.
Et la page 95 de ce blog : ICI.
Ainsi que la page 15 : ICI.

(2) Paul Schaffer est Président du Comité français pour Yad Vashem.

vendredi 17 juillet 2009

P. 158. De la Rafle du Vel d'Hiv aux Justes

A g., symbole d'une police parisienne aux ordres. A dr., la seule photographie connue et authentique prise lors de la rafle du Vel. d'Hiv. (Montage JEA / DR).

16 juillet 1942
16 juillet 2009...

Serge Klarsfeld a rappelé ce qu’il avait écrit, il y a quelques années dans le Monde :
- « le 16 juillet 1942 est la page la plus noire de l’histoire de France »,
lors de la commémoration organisée comme chaque année par les Fils et filles des déportés juifs de France.
Ce 16 juillet 2009, la cérémonie s'est tenue à l’emplacement même du Vel d’Hiv. Là où furent littéralement parqués, dans des conditions inhumaines, 13152 juifs, les 16 et 17 juillet 1942. Avant leur déportation à Auschwitz d'où aucun enfant n’est revenu.


La presse relatant peu ou pas ce qui se déroule en "province", cette page réserve un écho à une autre cérémonie, celle de Charleville-Mézières (Ardennes).
A la tête de la Communauté, Jacques Namer (1), a dignement fait entendre la voix des survivants et de leurs descendants.

Jacques Namer :

- "Avant de lire le message du président du Consistoire Central de France, je voudrais rendre hommage et exprimer toute ma reconnaissance aux personnes représentant le ou les membres de leur famille reconnus comme Justes parmi les nations.
LES JUSTES DE FRANCE sont pour moi ceux et celles, qui au péril de leur vie et celle de leurs proches, parents ou amis, ont trouvé le courage de sauver des juifs.
Alors que la majorité de la population française était tétanisée par la peur et les difficultés quotidiennes eux, ce qui paraissaît impensable tant le danger était partout présent, ils ont osé agir, simplement sans bruit, naturellement par solidarité.
Sans eux, il est probable que ma famille et moi et par extension, mon fils et nos six petits-enfants ne serions pas de ce monde. Aussi je ne cesserai d’avoir envers ses héros de l’ombre une reconnaissance infinie.
Et c’est au nom des survivants et enfants de survivants que je voudrais m’exprimer : Merci à vous JUSTES DE FRANCE pour ce magnifique cadeau que vous nous avez donné : le droit à LA VIE.


Message du Président du Consistoire Central de France, Joël Mergui.

Le Mémorial de la Shoah se trouve rue Geoffroy Lasnier dans le quatrième arrondissement à Paris, dans ce quartier même où vivaient des centaines de familles juives venues des pays de l'Est de Pologne, de Russie, d'Allemagne, d'Autriche pour trouver en France, pays des Droits de l'homme tout ce qu'un homme est en droit de désirer pour sa dignité. Un travail, un logement, un droit à l'éducation pour ses enfants et le respect dû à tout citoyen.
La Rafle du Vel d'hiv le 16 juillet 1942, deux jours après la Fête Nationale qui n'existait plus, anéantit tout sur son passage. 12 884 juifs étrangers et dits apatrides sont arrêtés dont 4000 enfants. L'objectif était de 27 391 juifs recensés à Paris et en banlieue afin de « débarrasser la France de ses juifs apatrides », mais les rumeurs, les informations ont permis à beaucoup de ne pas être présents lorsque les coups ont été frappés à leur porte. Afin de ne pas décevoir les autorités allemandes, les représentants de la force publique française arrêteront « aussi » les enfants.
Une note sur papier à en tête normal datée du 13 juillet 1942, établie par le Directeur de la police M. Hennequin donne ses instructions aux « agents capteurs ».
Une note sur papier à en tête normal signée par René Bousquet, Secrétaire Général à la police pour le gouvernement de Vichy datée du 15 juillet 1942 confirme que la police française est chargée des arrestations.
Une note circulaire sur papier à en tête normal signifie à 1568 gardiens en civil leurs tâches d'arrestation avec une précision pour le classement des fiches concernant les absents.
De même une fiche à en tête normal demandait la mise à disposition de 44 bus à partir de 5 heures du matin et jusqu'à la fin du service.

Papier à en tête, cachet des services, règlement tout est « normal ». Tout sauf la France, celle des Droits de l'Homme qui a disparu le 10 juillet 1940 par suite des pleins pouvoirs donnés au Maréchal Pétain. Car il était tout sauf normal d'arrêter des juifs hommes, femmes, vieillards, enfants parce qu'ils étaient juifs.
Chaque samedi dans toutes les synagogues de France nous faisons une Prière pour la République Française pour qu'y règne, la paix, l'ordre et la justice. Pour que ce qui s'est passé le 10 juillet 1940 ne se reproduise jamais. Accepter de perdre ses valeurs c'est rendre le pire possible. Accepter un seul jour l'inacceptable c'est déjà être prêt à l'accepter tous les jours.
Voilà pourquoi, inlassablement le Consistoire de France et toutes les Communautés de France, nous nous élevons avec vigueur contre toute dérive négationniste et son nouveau corollaire l'antisionisme. Etre négationniste, c'est nier au peuple juif le droit d'être reconnu comme victime d'un massacre aux dimensions jusque là inconnues. Etre antisioniste, c'est nier au peuple juif le droit à l'existence d'un Etat juif sur sa terre. L'irréparable a déjà a été commis. En parler sans respect c'est recommencer c'est insulter la Mémoire de nos six millions de frères et sœurs déportés et exterminés c'est impossible, inacceptable, insupportable.
Voilà pourquoi ces commémorations que certains pouvaient penser il y a quelques années inutiles sont plus que jamais indispensables. 4000 enfants ont été arrêtés le 16 juillet 1942. Une ou deux poupées sont conservées au Mémorial de la Shoah. Il n'existe qu'une seule photographie du Vel d'Hiv et les rares survivants chaque jour disparaissent. Notre travail de Mémoire est notre travail d'hommes et de femmes responsables qui rêvons pour nos enfants une vie d'hommes libres et dignes. Préserver la mémoire des victimes de la barbarie, c'est contribuer à leur rendre leur dignité d'hommes, à eux qui ont été privés de tout droit, même du droit à une sépulture.
Cette cérémonie aura peut-être fait prendre conscience à une personne de la fragilité de la démocratie et du nécessaire engagement citoyen pour préserver ses valeurs. Pour cette personne, où qu'elle soit, il était utile et indispensable que cette cérémonie ait lieu.
2 jours après le 14 juillet, par cette cérémonie, nous formons le vœu que la France soit et continue à être pour tous les pays du monde une terre de liberté et des droits de l'homme, de tous les hommes et de toutes les femmes.


Par cette cérémonie, nous souhaitons également rendre un vibrant hommage aux Justes de France, véritables héros de la Nation. Ils ont, par leur courage et par leur humanité, sauvés des Juifs d’une mort certaine au péril de leur propre vie. Eux seuls ont permis à la France de ne pas sombrer totalement. Nous ne saurons jamais assez les en remercier."


Lettre manuscrite (2) de la petite Marie Jelen. Elle écrit à son père, Icek Jelen, mis au travail forcé dans une colonie de la WOL à Frénois dans les Ardennes (Cadrage JEA/ DR).

- "Cher papa

On nous emmène au Velodrome
d'hiver mais faut pas nous
écrire maintenant parce que
c'edst pas sûr qu'on restera là.
Je t'embrasse bien
fort et maman
aussi
ta petite fille qui pense
toujours à toi
Marie"


Marie Jelen et sa mère, Estéra, seront transférées à Pithiviers d'où partira le convoi 35 du 21 septembre 1942 pour Auschwitz.

NOTES :

(1) Nos remerciements à Jacques Namer qui sut passer outre les blocages de la Préfecture sur la mémoire du Judenlager des Mazures (Ardennes) et sur les trois Justes reconnus dans l'histoire de cet unique camp pour juifs de Champagne-Ardenne.

(2) Lire le courrier d'une gamine prise dans les engrenages de la Shoah sur le site :
"Mémoire juive et éducation" de D. Natanson.


jeudi 16 juillet 2009

P. 157. Le Pasteur Funé, son épouse et leur fille, Justes parmi les Nations

Ph. : Le Collet de Dèze (DR).

Trois enfants de la famille Draï :
Paul, Nelly et Pierre
furent cachés au Collet de Dèze

Le 12 juillet 2009, trois nouveaux Justes parmi les Nations ont enrichi la liste toujours plus longue de celles et de ceux qui, en France, prirent le risque de perdre leur vie pour sauver celles de gosses poursuivis dans le cadre de la Shoah.

Constitué par Yad Vashem, le dossier prouvant l'authenticité de cette histoire, peut se résumer comme suit :

- "A la base de cette reconnaissance, se détache la figure du témoin principal : Pierre Draï.
Il est né à Paris en 1940, cadet d’une fratrie de cinq frères et d’une sœur. Son père, Isaac, exerçait la profession de boucher tandis que sa mère, Zahri, était couturière. Venant d'Oran en Algérie, tous deux avaient rejoint la métropole à la recherche de travail stable. Ils s'étaient fixés dans le 18e arrondissement au 150 du boulevard Ney.

Un jour de septembre 1943, Zahri apprend qu’elle a été dénoncée comme juive. Isaac, qui travaillait dans une boucherie cachère et qui était donc très exposé, part aussitôt se réfugier chez des amis en province. Il sera néanmoins déporté sans retour le 3 février 1944.

Zahri, elle, pensait à tort, que son statut de mère de famille nombreuse la placerait à l'abri de la haine raciale. Mais bien vite, confirmation lui parvient de ce que la Gestapo et la Gendarmerie vont venir l'appréhender de même que les enfants. Les trois frères aînés de Pierre sont alors en classe, dans une école située près de l’église protestante du Tabernacle, dans le 18e arrondissement.

La mère demande à M. Eugène Charlet, Pasteur de cette église, de garder les trois petits le temps pour elle d’aller retirer les trois grands de leur école. Mais les Allemands y sont déjà qui l’arrêtent avec les trois aînés. Après Drancy, le convoi n° 59 les emportera vers Auschwitz le 2 septembre 1943.

Ne la voyant pas revenir, le Pasteur comprend qu’il s’est passé un malheur. Il cache les trois petits dans l’église protestante. Puis il les confie André Funé, également Pasteur, et à sa femme, Alice. Le couple a une fille de 14 ans, Jeanne. Les enfants Draï sont emmenés dans une colonie de l’Aube, Le Nid Fleuri, d’autres enfants juifs, mais aussi arméniens et catholiques sont protégés, autant que possible, de la guerre.

Malgré toutes les privations, les époux Funé ont finalement sauvé les petits persécutés. Jeanne s’occupe plus particulièrement de Paul et de Nelly. Elle leur apprend à lire et à écrire. Elle les console autant que faire se peut. Et lorsque Paul tombe gravement malade, le couple Fune se bat pour le garder en vie."
A titre posthume, le Pasteur Funé et son épouse Alice sont dorénavant Justes parmi les Nations. Encore vivante, leur fille, Jeanne a reçu également le Diplôme et la Médaille qu'elle mérita pleinement.

Le Comité Français pour Yad Vashem avait délégué Edith Moskovic et Robert Mizrahi pour cette cérémonie au Collet de Dèze.

Le Pasteur Funé et son épouse Alice (Arch. fam./BCFYV/DR).


lundi 13 juillet 2009

P. 156. Les soeurs Josse, deux Justes parmi les Nations à St-Brieuc

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Cérémonie du 5 juillet 2009 à St-Brieuc.
De g. à dr. : Gérard et Elisabeth Goldenberg, délégués du Comité Français pour Yad Vashem; les trois cousins de Marie et d'Elisa Josse : Yves Josse, Guy Josse et Hélène Le Balch (d'après une photo d'Ouest-France / DR).

Une des soeurs jumelles commence par insulter Darlan
et toutes deux continuent en sauvant un enfant juif persécuté...

Jacques Shuldkraut avait 13 ans. Orphelin de père, il connaît les rigueurs du camp d'Aincourt avec sa mère, Madeleine. Tous deux sont ensuite séparés. L'adolescent se retrouve dans un centre d'hébergement de l'UGIF à Paris tandis que sa mère est transférée à Drancy. Non sans avoir insisté auprès de son fils pour qu'il n'hésite pas à envoyer un appel au secours à une certaine Marie Josse, habitant à St-Brieuc.

Jacques prend donc sa plume : " Mademoiselle Josse, ma maman est partie à Drancy pour une destination inconnue. Elle m'a dit de vous écrire..."

La suite dans Ouest France :

- "Marie a la langue bien pendue, un sentiment anti-allemand bien ancré et un sens décomplexé du patriotisme. Lors de la visite du chef du gouvernement du régime de Vichy, l'amiral Darlan, à Saint-Charles où il avait été élève, Marie l'insulte.

Aussitôt arrêtée, elle est internée deux mois au camp de prisonniers de Châteaubriant. Là, elle se lie d'amitié avec Madeleine, juive et maman d'un adolescent prénommé Jacques. Madeleine sera transférée à Drancy, puis à Auschwitz...

Avant qu'elle ne soit déportée, Marie lui promet de s'occuper de son fils. Elle et sa soeur récupèrent Jacques dans un centre pour enfants juifs. Elles arrivent à convaincre le directeur de laisser partir leur neveu (sic !) avec elles et donnent une fausse adresse. Arrivées en Bretagne en octobre, les soeurs Josse décousent son étoile jaune et lui procurent de faux papiers."

Les soeurs Josse, Justes parmi les Nations (BCFYV/DR).

Puis dans le Télégramme de Brest :

- "Jacques partage leur quotidien dans leur café-restaurant. Pour tous, c'est le neveu. Grâce à la Résistance, Jacques Shuldkraut a désormais des papiers au nom de Sylvestre Jacques, né à Oran, en Algérie. Et il est scolarisé chez les frères, à l'école du Sacré-Coeur, où il apprend le catéchisme au cas où on lui poserait quelques questions.

"J'étais heureux d'avoir un toit, un foyer. Je pensais que ma mère était partie travailler pour le IIIe Reich, et qu'on se retrouverait à la fin de la guerre".

Il ne reverra jamais Madeleine, déportée de Drancy à Auschwitz...

Marie Josse, elle, a toujours la langue bien pendue. Elle ne cache guère ses opinions. "Elle marmonnait en vitesse "M..., encore les Boches?", quand des soldats entraient dans son café."
D'ailleurs, les deux soeurs jumelles sont informées que les Allemands et la milice vont arrêter les anciens internés et ceux qui ne cachent pas leur sympathie pour De Gaulle. Elles se réfugient en vitesse, avec Jacques, chez des cousins cultivateurs, et ne reviendront à Saint-Brieuc qu'à la Libération.

Jacques quittera la ville en 1949 pour faire son service militaire, avant d'émigrer au Canada, en 1951."

Décédées en 1973 et en 1974, Elisa et Marie Josse ont été honorées ce 5 juillet 2009. Jacques Shuldkraut était revenu du Canada pour cette cérémonie de remise de Diplôme ainsi que de Médaille de Justes parmi les Nations.

Bruno Joncour, Maire de Saint-Brieuc :

- "Cette cérémonie s'inscrit dans la préservation du patrimoine héroïque lié à notre ville. C'est dire si sa signification est un hommage solidaire à l'égard d'Elisa et Marie et en même temps un signe d'espoir...".

Le Maire projette de dénommer un site de Saint-Brieuc : "Allée des Justes". Le conseil municipal le décidera en fin d'année.

Elisabeth et Gérard Goldenberg, délégués du Comité Français pour Yad Vashem :

- "Il faut rappeler la grandeur d'âme et le courage des Justes qui, en sauvant des Juifs de la barbarie nazie, ont sauvé l'honneur de l'humanité tout entière. Trois mille médailles des Justes ont été décernées à ce jour en France, dont 156 l'année dernière."

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