vendredi 28 mars 2008

P. 26. Bibliothèque (2)

Livres cités sur ce blog en février et en mars 2008.

- Philippe Alméras, Les idées de Céline, Ed. Berg International, 1992 (P. 25).

Les "idées" de Céline ? Ses haines obsessionnelles, plus exactement.

- Aharon Appelfeld, La Chambre de Mariana, Editions de l'Olivier, 2008 (P. 22).

- J.-J. Bernard, Le Camp de la mort lente. Compiègne 1941-1942, coédition Fondation pour la Mémoire de la Shoah - Le Manuscrit, 2007 (P. 18).

- Collectif, Le Camp juif de Royallieu-Compiègne. 1941-1943, coédition Fondation pour la Mémoire de la Shoah - Le Manuscrit, 2006 (P. 18).

- Misha Defonseca, Survivre avec les loups, Pocket, 2007 (P. 22).

Une supercherie littéraire de A à Z... Par Monique De Wael, nullement juive, orpheline mais pas de parents juifs déportés raciaux, n'ayant jamais traversé l'Europe occupée à pieds, et en rien survivante grâce à des loups. Bref une fausse autobiographie.

Malgré quoi la FNAC, par exemple, s'obstine à le présenter (et à la recommander aux jeunes à partir de 12 ans) en ces termes trompeurs :

- "1941. Les parents de Misha, réfugiés en Belgique, sont déportés. La famille qui la cache étant sur le point de la livrer aux nazis, la petite fille décide de fuir. Vers l'Est. Là où, lui a-t-on dit, ses parents ont été emmenés... Allemagne, Pologne, Ukraine... D'un village à l'autre, Misha vole pour se nourrir et se vêtir. Dans la forêt, elle est recueillie par un couple... de loups. Elle va adopter leurs comportements et se faire accepter par la meute. Pendant quelques semaines, elle n'est plus seule... Durant ces quatre années d'errance à travers une Europe à feu et à sang, Misha découvre la violence des hommes et l'humanité des bêtes. Au terme de son périple, elle retrouve le monde de ses semblables. Parvenir à y vivre sera une nouvelle épreuve..."

- Saul Friedländer, Les Années d'Extermination. L'Allemagne nazie et les Juifs. 1939-1945, Seuil, 2008 (P. 20).

- Ernst Jünger, Journal. T. I. 1941-1943, Julliard, 1951 (P. 25).

- Rutka Laskier, Le Journal de Rutka, janvier - avril 1943, R. Laffont, 2008 (P. 21).

- Jean-Marie Pontaut, Eric Pelletier, Chronique d'une France occupée. Les rapports confidentiels de la gendarmerie. 1940-1945, M. Lafon, 2008 (P. 24).

- Paul Schaffer, Le Soleil Voilé, Société des Ecrivains, 2003 (P. 15).

- P. A. Taguieff, G. Kauffmann, M. Lenoire, L'antisémitisme de plume, 1940-1944, études et documents, Ed. Berg International, 1999 (P. 25).

NB : Blog en sommeil jusqu'au 7 avril.


mercredi 26 mars 2008

P. 25. Les "sympathies" de Céline

"Rendre hommage à Céline" ?!?

Très régulièrement se succèdent les tentatives de gommer, de rendre moins odieuses les multiples pages signées de Louis-Ferdinand Céline, pages qui persistent et signent un antisémitisme fondamental.
Dernier essai, celui de Mario Vargas Llosa.

Libération, Livres :

- "L'écrivain péruvien naturalisé espagnol Mario Vargas Llosa a rendu hommage à l'écrivain français Louis-Ferdinand Céline (1894-1961), qu'il considère comme le "dernier auteur maudit" produit par la France, dans l'édition dominicale du quotidien espagnol El Pais. Sous le titre "le dernier maudit", l'auteur de la "Fête au bouc", écrit que "beaucoup refusent de reconnaître le talent de Celine à cause de ses sympathies hitlériennes, mais personne n'a décrit aussi bien que lui, avec une intuition géniale, cette humanité obtuse et stupide".Vargas Llosa affirme dans l'article que "Voyage au bout de la nuit" et "Mort à crédit" ont été une "véritable révolution" de l'art narratif de l'époque." (23 mars 2008)

Et voilà ! En un tour de plume dans l'encrier de Mario Vargas Llosa, Céline n'avait qu'un tort : "ses sympathies hitlériennes"...
Celles et ceux qui se frottèrent scolairement au grec ancien, se souviennent de l'étymologie : sun = "avec" / pathos = "souffrance". La sympathie, c'est "souffrir avec"...
Céline en deviendrait un écrivain sensible. Seulement coupable d'avoir éprouvé de la compréhension et de l'empathie pour le nazisme.




Mai 1941. Conférence à l'Institut des Questions Juives. Un connaisseur : Louis-Ferdinand Céline (L. F. Destouches 1894 - 1961)

Pour ranimer des mémoires défaillantes voire complaisantes quand elles ne sont pas celles de négateurs actifs, voici quelques exemples concrets de la prose célininenne.

Avec toutes nos excuses pour les blessures que peuvent rouvrir ces passages insupportables de haine. Mais en l'état, il est préférable de revenir aux sources : écrits et autres publications de cet antisémite dont il ne suffit pas d'affirmer qu'il est ignoble. Il le prouve par lui-même.

Céline ? Un intellectuel volontairement collaborateur de la politique d'extermination de la Shoah !


Citations :

- "Je me sens très ami de Hitler, très ami de tous les Allemands, je trouve que ce sont des frères, qu'ils ont bien raison d'être racistes. Ca me ferait énormément de peine si jamais ils étaient battus. Je trouve que nos vrais ennemis c'est les Juif et les francs-maçons." (L'Ecole des cadavres, p. 198, novembre 1938).

- "Les juifs, racialement, sont des monstres, des hybrides, des loupés tiraillés qui doivent disparaître. […] Dans l’élevage humain, ce ne sont, tout bluff à part, que bâtards gangréneux, ravageurs, pourrisseurs. Le juif n’a jamais été persécuté par les aryens. Il s’est persécuté lui-même. Il est le damné des tiraillements de sa viande d’hybride." (Idem, p. 108).

- "Il {Céline} dit combien il était surpris, stupéfait, que nous, soldats, nous ne fusillions pas, ne pendions pas, n'exterminions pas les Juifs, - il est stupéfait que quelqu'un disposant d'une baïonnette n'en fasse pas un usage illimité." (7 décembre 1941) Ernst Jünger, Journal, T. I, 1941-1943, Julliard.

- "Chaque fois que Hitler prend la parole, il engage formellement la responsabilité des Juifs quant au déclenchement de la guerre européenne. Alors, pourquoi vous, qui voulez vous incorporer dans le National-Socialisme, n'engagez-vous pas également cette responsabilité ? Autre question. Etes-vous raciste comme tous les nationaux-socialistes dont Hitler fut, dès la première heure, le porte-parole, ou êtes-vous antiraciste ? Si vous êtes raciste, pourquoi n'en parlez-vous jamais ? "(Au Pilori, 11 décembre 1941).

- "Racisme fanatique total ou la mort !" ("Lettre à A. Laubreaux", Je suis partout, 22 novembre 1941).

- "Le Juif n'est pas tout mais il est le diable et c'est suffisant. Le Diable ne crée pas tous les vices mais il est capable d'engendrer un monde entièrement, totalement vicieux." ("Lettre à Lucien Combelle", in P. Alméras, Les idées de Céline, Berg).

- "Bouffer du juif, ça ne suffit pas, je le dis bien, ça tourne en rond, en rigolade, une façon de battre du tambour si on saisit pas les ficelles, qu'on les étrangle pas avec. Voilà le travail, voilà l'homme." (Les Beaux Draps, p. 115, 1941).

- "Volatiliser sa juiverie serait l'affaire d'une semaine pour une nation bien décidée." ("Lettre à J.Doriot", Cahiers de l'émancipation nationale, mars 1942).

- "Nous nous débarrasserons des Juifs, ou bien nous crèverons des Juifs, par guerres, hybridations burlesques, nègrifications mortelles. Le problème racial domine, efface, oblitère tous les autres." (L' Ecole des cadavres, p. 216).

- "Distinction entre les bons Juifs et les mauvais Juifs ? Ca rime à rien ! Les Juifs possibles, les patriotes, et les Juifs impossibles, pas patriotes ? Rigolade ! Séparer l'ivraie du bon grain !... Le chirurgien fait-il une distinction entre les bons et les mauvais microbes ?" (L'Ecole des cadavres, p. 260).



Fac-simile de "Notre Combat pour la Nouvelle France Socialiste", 4 septembre 1941. In : P-A Taguieff, G. Kauffmann, M. Lenoire, "L'antisémitisme de plume. 1940-1944, études et documents", Berg Int. Ed., 1999.

vendredi 21 mars 2008

P. 24. Rapports Gendarmerie et Juifs en France.

Jean-Marie Pontaut & Eric Pelletier, "Chronique d'une France occupée. Les rapports confidentiels de la gendarmerie. 1940-1945", Ed. Michel Lafon, 2008.


Journalistes à "L'Express", les deux auteurs consacrent 734 pages à un dépouillement de rapports de gendarmerie portant sur les sujets suivants :

- les Juifs (p. 15 à 104),

- la Résistance (105 à 320),

- la vie quotidienne et le marché noir (321 à 538),

- la Libération (539 à 706),

- Pétain (707 à 720).


Les lecteurs de ce blog comprendront qu'ici, le premier septième de ce livre retienne toute notre attention. Non pour y découvrir des "révélations" mais plutôt des confirmations. Ou comment dans le vocabulaire administratif propre à la gendarmerie est retranscrite une part active prise en France dans la Shoah. Soit par des uniformes qui obéissent sans autre état d'âme aux ordres, soit encore par des gendarmes au racisme pouvant s'exprimer à visage découvert, soit enfin et bien plus rarement, par des hommes qui sont loin d'idolâtrer Vichy et sa politique antisémite.

A titre d'exemples, voici quelques extraits significatifs de rapports cités dans ce livre.

- Limoges, 28 mai 1941, Rapport du chef d'escadron Jérôme : "juif 100%..."

" On signale le cas d'un commissaire de police de Limoges, un nommé Schwartz, juif 100 %, et les gens se demandent comment ce fonctionnaire peut librement opérer lorsqu'il est obligé d'intervenir contre un de ses coreligionnaires...

Ce qui provoque le malaise que l'on constate à Limoges, c'est que les Juifs sont partout et que sous le manteau ils désirent ardemment la victoire anglaise, qui serait une victoire juive."

- Tulle, 28 octobre 1941, Rapport du chef d'escadron Carrot : "la race juive..."

"On observe deux courants d'opinion à l'égard de la race juive. Les uns se demandent pourquoi le gouvernement ne se débarrasse pas de ces "malfaiteurs publics", qui hier nous ont conduits à la défaite et qui aujourd'hui se livrent au marché noir, capables par ailleurs de faire collusion avec les communistes et les francs-maçons pour renverser le gouvernement. Les autres estiment au contraire qu'ils ont le droit de vivre comme tout le monde. Il faut noter d'ailleurs que bon nombre de paysans et de commerçants sont de connivence avec eux pour leur réserver produits et denrées à des prix particulièrement élevés."

- Limoges, 28 janvier 1942, Rapport du chef d'escadron Rebour : "la ligne..."

"Le franchissement de la ligne de démarcation par les Juifs étrangers a beaucoup diminué; en revanche, on peut évaluer à une moyenne de dix par jour les Juifs français qui passent de zone occupée en zone libre et arrivent en Charente.

Les passeurs de la ligne abusent de la situation; un d'entre eux a violé une femme avant de l'emmener en zone libre."

- Tulle, 29 janvier 1942 : "en être débarrassé..."

"Dans les villes, ils sont considérés, avec juste raison, comme des parasites. Tout le monde souhaite en être débarrassé, soit par leur incorporation dans des formations spéciales, soit par leur internement dans des camps."

- Guéret, 24 août 1942, Rapport du capitaine Chaumet : "le Dr M."

"En juillet dernier, un Juif du nom de Salsebert David, sujet naturalisé français, venu passer des vacances à Châtelux, a dû quitter cette localité, le Dr M. ayant réussi, pour ainsi dire, à l'expulser du pays. A deux reprises, M. aurait foncé avec sa voiture automobile et le Juif n'aurait dû son salut qu'à sa promptitude à se garer.

Au commandant de la brigade de Châtelux-Malvaleix qui lui demandait pourquoi il fonçait sur cet Israélite avec sa voiture, le Dr M. a répondu qu'il s'était renseigné auprès de son beau-frère, substitut du procureur d'Etat à Périgueux, afin de connaître les pénalités qu'il encourait s'il tuait un Juif et qu'il lui avait été répondu que la peine ne serait pas grave. Dans ces conditions, le Dr M. aurait estimé qu'il ne risquait rien."

- 5e Légion (Loiret et Loir-et-Cher), 11 août 1942, Rapport du général Balley : "la juxtaposition d'uniformes français et allemands pour ces opérations de transplantation..."

"Les gendarmes français escortent les internés jusqu'à la frontière allemande, sous les ordres d'un officier et de gendarmes allemands. Il est regrettable qu'ils soient chargés de ces services en compagnie de Feldgendarmes, car la juxtaposition d'uniformes français et allemands pour ces opérations de transplantation d'office de familles dissociées provoque la réprobation muette de la population française. Un officier de la légion, qui a effectué ces services jusqu'à la gare frontière, m'a déclaré que plus on avançait vers l'est, plus on constatait, au passage dans les gares, cette désapprobation manifeste du public français."

- Tulle, 26 août 1942 : "opération de ramassage..."

"J'ai l'honneur de vous rendre compte que, en exécution d'une réquisition délivrée le 25 août 1942 par monsieur le préfet de Corrèze, la compagnie de la Corrèze a procédé ce jour, à partir de 5 heures :

- à une opération de ramassage de certaines catégories d'Israélites étrangers, exécutée sur l'ensemble du territoire en conformité avec des instructions gouvernementales récentes..."

- Lyon, 23 septembre 1943. Rapport du chef d'escadron Bariod : "un profond mouvement de pitié..."

"La plupart des Israélites de Lyon ont d'ailleurs bénéficié de nombreuses complicités, non pas que la population manifeste de l'attachement à leur égard. Le Juif est toujours considéré comme l'être cupide qui, abondamment pourvu d'argent, n'hésite pas à se servir du marché noir pour s'assurer le ravitaillement qu'il convoite, voire même pour chercher à s'enrichir davantage.

Mais la nouvelle des traitements inhumains qui ont été infligés à ceux appréhendés par les autorités allemandes en zone occupée, et la perspective de voir abandonner au même sort, malgré les précautions prises par le gouvernement français, ceux provenant de la zone non occupée ont donné naissance à un profond mouvement de pitié à leur égard."

- Limoges, 23 mars 1943. Rapport du chef d'escadron Terry : "une véritable terreur..."

"Les Juifs étrangers vivent dans la crainte d'un nouveau ramassage. Les dernières opérations ont fait naître parmi eux une véritable terreur. Certains ont déclaré qu'ils aimaient mieux la mort que le transfert en Allemagne."

- Lons-le-Saunier, 21 septembre 1943, Rapport de l'adjudant-chef Tissot : "jeunes gens de bonnes familles..."

"L'arrestation dans la section de jeunes soi-disant juifs a créé un certain mécontentement parmi la population, étant donné que ceux-ci ont été relâchés aussitôt leur arrivée à Lons-le-Saunier. Il s'agissait en réalité de jeunes gens de bonnes familles, catholiques les plus pratiquantes. Cela aurait pu être évité si, avant de lancer des réquisitions, on avait pris des renseignements sur les intéressés."

- Bourg, 28 avril 1944. Rapport du chef d'escadron Lanaud : in extenso

"Le 6 à Izieu, quatre personnes dirigeantes et trente-deux jeunes de la colonie d'enfants réfugiés ont été arrêtés par les troupes d'opérations. Motif : la plupart des enfants seraient de confession juive."


mercredi 19 mars 2008

P. 23. "Mémoire de la Shoah"



La Chancelière allemande Angela Merkel avait déjà été reçue officiellement en Israël après son élection en 2005 puis en 2007.

Pour saluer le 60e anniversaire de l'Etat d'Israël, la Chancelière a voulu que sa délégation (dont sept ministres) soit la première à se recueillir au Mémorial de Yad Vashem.

Vidéo : cliquer ici.




Au terme de son séjour, Mme Merkel a prononcé un discours qui est une première. Par la forme : la prise de parole d'un premier ministre étranger devant les députés alors que sur la Knesset flottait un drapeau aux couleurs allemandes. Mais pour le fond surtout.


Angela Merkel à la Knesset :

La Chancelière entame son discours et le conclut en Hébreu : cliquer ici.

- «Nous autres, Allemands, la Shoah nous emplit de honte. Je m’incline devant ses victimes, ses survivants et ceux qui les ont aidés à survivre...

Allemands et Israéliens sont et seront toujours liés d’une manière particulière par la mémoire de la Shoah.»

Résumé vidéo du "Monde" : cliquer ici.


L'hommage aux Justes parmi les Nations n'a pas été oublié : "Je m'incline devant ceux qui les ont aidés à survivre".

samedi 15 mars 2008

P. 22. Aharon Appelfeld essaie toujours...

"La chambre de Mariana", Ed. de l'Olivier.




Présentation de l’Editeur :

- "Avant de fuir le ghetto et la déportation, la mère d'Hugo l'a confié à une femme, Mariana, qui travaille dans une maison close. Elle le cache dans un réduit glacial d'où il ne doit sortir sous aucun prétexte. Toute son existence est suspendue aux bruits qui l'entourent et aux scènes qu'il devine à travers la cloison. Hugo a peur, et parfois une sorte de plaisir étrange accompagne sa peur. Dans un monde en pleine destruction, il prend conscience à la fois des massacres en train de se perpétrer et des mystères de la sexualité.

Renouant avec le thème de l'enfant recueilli par une prostituée (présent dans Histoire d'une vie et Tsili), Aharon Appelfeld mêle l'onirisme et le réalisme dans ce roman doué d'une force hypnotique.

Aharon Appelfeld est né en 1932 à Czernowitz en Bucovine, une région située entre les Carpates et le Dniestr, d'une richesse ethnoculturelle, religieuse et linguistique unique. Ses parents, des juifs assimilés influents, parlaient l'allemand, le ruthène, le français et le roumain. Quand la guerre éclate, sa famille est envoyée dans un ghetto. En 1940 sa mère est tuée, son père et lui sont séparés et déportés. À l'automne 1942, Aharon Appelfeld s'évade du camp de Transnistrie. Il a dix ans. Il erre dans la forêt ukrainienne pendant trois ans, «seul, recueilli par les marginaux, les voleurs et les prostituées», se faisant passer pour un petit Ukrainien et se taisant pour ne pas se trahir. «Je n'avais plus de langue."


Extrait :

- "Hugo aura onze ans demain. Anna et Otto viendront pour son anniversaire. La plupart des amis d'Hugo ont été expédiés dans des villages lointains, et les rares autres le seront bientôt. La tension dans le ghetto est vive, mais personne ne pleure. Les enfants devinent au fond d'eux-mêmes ce qui les attend. Les parents contiennent leurs émotions afin de ne pas semer la peur, mais les portes et les fenêtres n'ont pas cette retenue, elles sont claquées, ou poussées nerveusement. Le vent s'engouffre partout.
Il y a quelques jours, Hugo a failli partir à la montagne, mais le paysan qui devait l'emmener n'est pas venu. Son anni­versaire approchant, sa mère a décidé d'organiser une fête, pour qu'Hugo se souvienne de sa maison et de ses parents. Qui sait ce qui nous attend ? Qui sait quand nous nous retrou­verons ? Telles sont les pensées qui traversent l'esprit de la mère.
Pour faire plaisir à Hugo, elle a acheté trois romans de Jules Verne et un livre de Karl May à une famille désignée pour le prochain convoi de déportation. Il pourra emporter ces cadeaux à la montagne. Elle a l'intention d'y ajouter des dominos, le jeu d'échecs, et le livre dont elle lui lit un passage chaque soir au coucher.
Hugo ne cesse de promettre qu'à la montagne il lira, fera ses exercices de calcul, et qu'il lui écrira le soir. Sa mère retient ses larmes et s'oblige à lui parler avec sa voix habituelle.
Les parents d'Anna et ceux d'Otto ont été invités pour la fête, ainsi que des parents dont les enfants ont déjà été envoyés dans la montagne. Quelqu'un a apporté son accordéon.
Chacun s'efforce de dissimuler ses craintes et ses peurs, de faire bonne figure, comme si de rien n'était. Otto a apporté un cadeau d'une grande valeur, un stylo à plume recouvert de nacre; Anna, elle, une tablette de chocolat et du halva. Ces confiseries réjouissent les enfants et adoucissent un instant la peine des parents. Mais l'accordéon, curieusement, n'allège en rien l'atmosphère. L'accordéoniste a beau tout faire pour l'égayer, les sons qui sortent de son instrument ne font qu'ac­croître la tristesse.
Pourtant, chacun évite soigneusement d'évoquer les rafles et les camps de travail, l'orphelinat et l'hospice dont les pensionnaires ont été déportés sans préavis. Personne, bien sûr, ne mentionne le père d'Hugo, raflé il y a un mois et dont on reste sans nouvelles."


Interview par Bernard Loupias, publication sur BibliObs :

BibliObs. - Dans «Histoire d'une vie», votre autobiographie, vous dites que, si vous avez déjà écrit nombre de livres sur ce qui vous est arrivé pendant la guerre, vous avez aussi le sentiment de n'avoir «jamais vraiment réellement commencé» à le faire. «La Chambre de Mariana» est-il une nouvelle tentative pour y parvenir?

Aharon Appelfeld. - Un écrivain essaie toujours, et encore... La Seconde Guerre mondiale a été une expérience tellement énorme que ce que vous écrivez, et la forme que vous lui donnez, ne semble jamais à la hauteur. Alors, j'essaie encore.

BibliObs. - Hugo, le petit héros de votre nouveau livre, vous ressemble beaucoup, comme Mariana ressemble terriblement à la Maria de votre enfance...

A. Appelfeld. - Tous mes livres sont autobiographiques, tous. Je n'écris que sur mon expérience personnelle. Pendant la guerre, j'ai effectivement vécu un temps chez des prostituées.

Interview complète : cliquer.


Dominique Quinno, La Croix, 15 mars 2008 :

- "Certains s’inventent des destins qu’ils n’ont pas vécus et mystifient le monde (1). D’autres, au contraire, ont vécu tant de vies dans leur vie, et tant d’horreurs, qu’il leur est impensable de les raconter, d’écrire le moindre récit qui ressemblerait à une autobiographie.

C’est ainsi qu’Aharon Appelfeld ne cesse de tourner autour de la vérité de son enfance.

Peut-on d’ailleurs parler d’enfance pour un jeune garçon juif dans une ville d’Europe centrale, quand se déchaîne l’Allemagne nazie ? Cet enfant connaîtra le ghetto, la mort de sa mère, la déportation avec son père. Il s’évadera de son camp à l’âge de 10 ans et se cachera pendant trois longues années dans les forêts ukrainiennes, trouvant asile chez des paysans. Puis l’adolescent juif sans famille émigrera en Israël."


Marine Landrot, Télérama, 15 mars :

- "Parce qu'« on ne sait pas que faire de sa vie sauve », Aharon Appelfeld sème les épisodes de la sienne dans des livres limpides et dépouillés, pleins de douleur et de douceur. Il définit son oeuvre comme la « saga de la tristesse juive » et dit de son écriture qu'elle n'a qu'une source d'énergie : l'amour infini de ses parents, victimes de la barbarie nazie."


Note :

(1) Allusion à la supercherie littéraire de "Survivre avec les loups". La vraie identité de l'auteure, non pas "Misha Defonseca" mais Monique De Wael a été retrouvée en Belgique. Il a été prouvé que contrairement à ses affirmations elle n'était pas juive, n'avait pas 7 ans en 1941, n'avait pas eu des parents juifs morts en déportation, n'avait jamais traversé l'Europe à pied pour être sauvée par des loups, etc, etc...

Lire le blog du Judenlager des Mazures, des pages 215 à 219.



mercredi 12 mars 2008

P. 21. Rutka Laskier.



Elle avait 14 ans. Avec sa famille, elle était enfermée dans le ghetto de Bedzin. Son "Journal" couvre les quatre premiers mois de 1943. Avant Auschwitz.

Présentation par les Ed. Laffont :

- "1943. Dans le ghetto de Bedzin, en Pologne, une jeune fille de quatorze ans tient son Journal… Comme beaucoup d’adolescentes, elle y relate ses premiers émois, les petites histoires intimes et troublantes d’une jeune fille. Mais malgré son jeune âge, Rutka est très consciente de la situation générale. Avec une incroyable lucidité elle raconte aussi la vie dans une communauté dont les membres, amis et parents, disparaissent peu à peu. Elle parle, entre autres horreurs, de l’existence des chambres à gaz et pressent qu’au bout de la route l’attend la mort. En août 1943 les nazis liquident le ghetto de Bedzin. Rutka périt un mois plus tard à Auschwitz.
Avant d’être déportée, Rutka a eu le temps de glisser son cahier sous le plancher de sa maison. Dans une cachette qu’elle avait révélée à Stanislawa, son amie polonaise catholique. La jeune femme le retrouvera et le gardera dans un tiroir sans en parler à personne… Jusqu’à ce que, soixante-cinq ans plus tard, elle le fasse lire à son neveu après une discussion animée sur la Shoah. Le jeune homme comprend que ce journal appartient à l’Histoire et encourage la vieille dame à le donner pour publication au musée de Yad Vashem.
Ce journal est un récit poignant en même temps qu’un témoignage historique unique, enrichi par une passionnante préface de Marek Halter. Né à Varsovie, celui-ci a toujours été impressionné par la relation complexe que les Polonais ont entretenue avec les millions de juifs qui ont partagé leur histoire depuis plus de dix siècles. En une soixantaine de pages il raconte cette relation, faite d’amour et de haine. Une exceptionnelle réflexion sur ce « monde d’hier » et sur la mémoire judéo-polonaise qui habite son œuvre."

Extraits. 5 février 1943 :

- "Rutka, tu as dû devenir complètement folle: tu en appelles à Dieu comme s'il existait ! La parcelle de foi que j'avais jadis s'est complètement brisée. Si Dieu existait, il ne permettrait pas que l'on jette les gens vivants dans des fours. Ou que l'on fasse exploser la tête des petits enfants avec des carabines. Ou qu'on les mette dans des sacs pour les gazer... On pourrait penser que ce sont des histoires de bonnes femmes quand on entend cela. Les gens qui ne l'on pas vu de leurs yeux ne le croiront pas. Et pourtant, ce ne sont pas des histoires, mais la vérité! Rien que, par exemple, ce vieillard qu'ils ont battu jusqu'à ce qu'il perde conscience juste parce qu'il avait mal traversé la rue... Ce qui est drôle, c'est que tout cela n'est rien tant qu'il n'est pas question d'Auschwitz... de la carte verte... de la fin... Quand arrivera-t-elle...?"

20 février 1943 :

- "J’ai le sentiment que j'écris pour la dernière fois. Il y a une rafle en ville. Je n’ai pas le droit de sortir et je deviens folle : emprisonnée dans ma propre maison ! Toute la ville suspend son souffle et attend. Cette attente est pire que tout et je souhaite que cela finisse vite ! Ce supplice est infernal. J'essaye de chasser ces pensées, mais le lendemain elles continuent de me harceler comme des mouches."


Page du manuscrit en date du 19.I.1943

Le Nouvel Observateur :

- "Le cahier s'arrête un jour d'avril, quand la famille doit déménager dans le ghetto fermé de Kamionka, dernière étape avant la déportation. Rutka voulait que ces pages lui survivent: elle avait chargé une amie de le récupérer, sous la dernière marche de l'escalier. A l'automne, Stanislawa Sapinska trouva le journal à la place dite. Rutka, elle, était morte à Auschwitz, comme son petit frère, sa mère et sa grand-mère. Son père, seul survivant, partit s'installer en Israël. "(6 mars 2008)


Libération :

- Pr Robert Szuchta : « On a récemment retrouvé à l’Institut historique juif (ZIH) de Varsovie un récittragique de ses derniers moments.
C’est Zofia Minc, une codétenue arrivée à Auschwitz, le 16 décembre 1943, qui rédige ces lignes, en 1946, dans un orphelinat pour enfants juifs : « Dans notre block, je dormais à côté de mon amie, Rutka Laskier, de Bedzin. Elle était tellement belle, que même le Dr Mengele l’avait remarquée. Une épidémie de typhus et de choléra a alors éclaté. Rutka a attrapé le choléra. En quelques heures, elle est devenue méconnaissable. Elle n’était plus qu’une ombre pitoyable. Je l’ai moi-même transportée dans une brouette au crématoire. Elle me suppliait de l’amener jusqu’aux barbelés pour se jeter dessus et mourir électrocutée, mais un SS marchait derrière moi avec un fusil et il ne m’a pas laissé faire.» (10 mars 2000, Enquête)


Marek Halter dans sa postface "Les Juifs et la Pologne" :

- "Le texte est publié par Yad Vachem en 2007. Ce témoignage-là nous surprend soixante-cinq ans après la Shoah, tel un cri retenu ou bloqué dans la gorge de l'Histoire. Le père de Rutka, qui a survécu, ignorait l'existence du Journal. Il est mort en Israël en 1986.

Comment se fait-il que Stanislawa Sapinska ait rangé le cahier de son amie Rutka sans en parler à quiconque soixante-cinq ans durant ? N'a-t-elle pas compris qu'il s'agissait de la dernière lettre d'un condamné ? N'a-t-elle pas pensé que la famille, ou ce qu'il en restait, aurait souhaité y avoir accès ? A-t-elle cherché à savoir si quelque parent de Rutka avait survécu ? Apparemment non.

Les rapports de Stanislawa et de Rutka disent à eux seuls la relation complexe qu'entretiennent, à de rares exceptions près, les Polonais avec les juifs polonais. Indifférence ? Haine ? Honte ? Donc censure. Pour le régime, les Polonais juifs sont juifs avant tout. C'est-à-dire en marge, extérieurs, comme en exode. Morts, en revanche, ils sont priés d'être polonais et d'incarner la souffrance nationale."


jeudi 6 mars 2008

P. 20. "Les Années d'Extermination..."




Saul Friedländer, "L'Allemagne nazie et les Juifs, T. 2. Les Années d'Extermination. 1939- 1945." Seuil.


Mot de l’éditeur :


- "La littérature consacrée au génocide des Juifs dans l’Allemagne nazie est abondante. Pourtant
aucun historien ne s’était jusqu’alors attelé à une analyse de cette ampleur mêlant le point de vue des bourreaux et celui des victimes. C’est le premier tour de force que réalise Saul Friedlander.
Fondé sur de nombreuses archives inédites, nourri de voix innombrables (journaux intimes, lettres, mémoires), ce second volume de L’Allemagne nazie et les Juifs est magistral : implacablement et sobrement, il déroule l’effroyable scénario qui mène à la « solution finale » et à sa mise en oeuvre.
Complicité des autorités locales, soutien actif des forces de police, passivité des populations et
notamment des élites, mais aussi promptitude des victimes à se soumettre aux ordres dans l’espoir d’améliorer leur sort : c’est cette histoire d’une extrême complexité qui est ici racontée avec une maîtrise rare."

Extrait :

- "Les juifs, aux yeux de Hitler, étaient d'abord et avant tout une menace active (et, en définitive, mortelle). Pourtant, dans le sillage de la campagne de Pologne, c'est le dégoût et le mépris absolu qui dominèrent presque aussitôt dans les réactions viscérales des Allemands face aux Ostjuden . Le 19 septembre (1939), Hitler visita le quartier juif de Kielce ; son chef de presse, Otto Dietrich, décrivit l'impression que leur fit la visite dans une brochure publiée à la fin de cette même année : « Si nous avions cru jadis connaître les juifs, nous avons vite été détrompés [...]. L'apparence de ces êtres humains passe l'imagination. La répulsion physique nous a empêchés d'accomplir notre enquête de journaliste [...]. Les juifs de Pologne sont loin d'être pauvres, mais ils vivent dans une crasse inconcevable, dans des cabanes où aucun vagabond (Landstreicher) en Allemagne ne passerait la nuit. » Le 7 octobre, évoquant la description par Hitler de ses impressions de Pologne, Joseph Goebbels, le ministre de la Propagande, ajouta : « Le problème juif sera le plus difficile à résoudre. Ces juifs ne sont plus des êtres humains. [Ce sont] des prédateurs équipés d'une intelligence froide et qu'il faut rendre inoffensifs."

Olivier Wieviorka :

- "La force du livre exemplaire de Saul Friedländer tient bien entendu à la synthèse exhaustive qu’il consacre aux années d’extermination, offrant de sûrs repères aux lecteurs que pourrait effrayer l’abondance des ouvrages. Mais elle tient tout autant aux voix qui se font entendre. Commentaires glaçants des bourreaux notant l’excellence de leur repas avant de se livrer à des exécutions de masse, notes profondément humaines des victimes qui s’acharnent, malgré l’adversité, à consigner par écrit les étapes de leur calvaire composent un récit polyphonique qui restitue, du haut au bas de l’échelle, et dans la pluralités des rôles, les multiples ressorts de la Shoah. Débarrassé de tout jargon et d’une grande simplicité d’écriture, ce très grand livre permet, mieux que tout traité savant, de comprendre en se plaçant au plus près des individus, les logiques d’une tragédie qui provoqua des millions de victimes coupables d’être nées."
(Libération, 28 février)

Laurent Theis :

- "Le délire antijuif propre à Hitler n'aurait sans doute pas été porté à une incandescence meurtrière fatale aux juifs d'Europe si les courants antilibéraux et anticommunistes n'avaient pas, depuis la fin du XIXe siècle et surtout la Grande Guerre, nourri et généralisé en Occident un antisémitisme ordinaire qui, rejoignant l'imprégnation traditionnelle de larges segments des Eglises chrétiennes, facilita l'entreprise nazie. Reste que, souligne l'auteur, l'indifférence, le silence, voire la complaisance, à de belles et très rares exceptions près, des institutions et des élites européennes civiles et religieuses, en particulier du Saint-Siège mais aussi en France, demeurent un sujet de stupéfaction. Au fond, rien, de 1933 à 1945, ne vint réellement s'opposer à la persécution puis à la destruction des juifs d'Europe, que personne, au plus tard dans le courant de 1943, ne pouvait complètement ignorer. Les juifs eux-mêmes, que la propagande nazie, et aussi une opinion générale assez répandue, décrivaient comme si puissants et influents, se révélèrent complètement démunis et vulnérables, et leurs tentatives pour atténuer les persécutions, au travers des conseils dans les ghettos - « avec une centaine de victimes, je sauve un millier de gens ; avec un millier, j'en sauve dix mille » , déclarait le chef du Judenrat de Vilna -, ou pour se révolter, à Varsovie, Treblinka ou Auschwitz, n'étaient plus que des sursauts de survie qui se retournèrent contre eux. La victoire de l'Allemagne aurait signé leur disparition complète, ses défaites l'accélérèrent, car les nazis, se déclarant convaincus que les juifs en étaient la cause, étaient de plus en plus pressés de terminer leur besogne. Dès 1940, il ne restait aux juifs aucune issue ; dès 1942, aucune illusion."
(Le Point, 21 février)

Gilles Heuré :

- "Dans le premier volume de L'Allemagne nazie et les Juifs, paru en 1997 et aujourd'hui réédité (1), Friedländer récapitulait la lente et inexorable montée de l'antisémitisme en Allemagne entre 1933 et 1939, recensait tous les leviers qui avaient contribué à la mécanique de l'extermination. Dans ce second volet, somme de plus de mille pages, il suit mois après mois, entre 1939 et 1945, l'extermination des Juifs, les lieux, les responsables, les modes opératoires et les protocoles du crime. On croit connaître tout cela. Mais l'accumulation des faits proprement dits ne cesse de redonner une vérité humaine au nombre presque abstrait des millions de Juifs exterminés."
(Télérama, 1 mars)

(1) "L'Allemagne nazie et les Juifs, Tome 1. Les années de persécution. 1933-1939", Seuil.