lundi 25 janvier 2010

P. 201. Un commissaire de police et un médecin sauvèrent les Borowski

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Henri Gillot et
Louis Malécot
Justes parmi les Nations

Le carton d'invitation pour la cérémonie fixée au 18 janvier 2010 à La Baule, était ainsi libellé :

- "Yves Métaireau Maire de La Baulevous prie de bien vouloir honorer la cérémonie au cours de laquelle
un Diplomate de l’Ambassade d’Israël en France
ainsi que Élisabeth et Gérard Goldenberg, Délégués régionaux du Comité Français pour Yad Vashem
remettront, à titre posthume, la Médaille des Justes parmi les Nations

au Docteur Louis Malécot, représenté par Marie-Claude Lefebvre et Christian Malécot, ses petits-enfants,
et à Henri Gillot, représenté par Agnès Gilloy, sa belle-fille, et Pascal et Catherine Gillot, ses petits-enfants,
pour avoir sauvé la famille Borowski."

Echo d'Elisabeth et de Gérard Goldenberg, délégués du Comité Français pour Yad Vashem :

- "Nous avons été accueillis par Mr Métaireau, maire, et par ses collaborateurs, qui nous ont préparé une salle somptueus. La communauté de Nantes était représentée à 80%. En première ligne du public, on reconnaissait les élus locaux, les deux familles, les petits-enfants Gillot et Malécot. Magnifique cérémonie, remplie de générosité , d'émotion comme toujours."

Synthèse du dossier de Yad Vashem :

- "Henri Gillot était policier en Algérie. En 1934, il épouse une femme juive. Le couple aura deux fils.
En juin 1940, Henri Gillot est nommé commissaire de police à La Baule.

Wolf Borowski exerçait la profession de fourreur à Paris dans le 10e arrondissement. En 1940, les parents se réfugient à La Baule avec leurs fils. A partir du 6 juin 1942, les juifs de Loire-Atlantique sont contraints de porter l'étoile jaune.

En juillet 1942, alors qu'une grande rafle se prépare dans tout le département, le commissaire Gillot prévient les Juifs de La Baule.
Il connaît bien les Borowski. Il vient personnellement conseiller à Wolf de partir sans retard avec sa famille et pour les aider, les met en rapport avec le docteur Malécot. Celui-ci propose d'emmener la famille Borowski jusqu'à Angers (à l’exception de l'aîné des enfants, 10 ans, qui se trouve à Paris chez son oncle).

Aussitôt dit, aussitôt fait, la nuit même, le docteur Malécot transporte en ambulance les Borowski.
Ils passent les barrages de Saint-Nazaire et de Nantes sans encombre. En effet, l'ambulance est censée avoir à son bord un Wolf, grand malade alité dont la tête est bandée et Michel, 5 ans, qui a le bras dans un plâtre.
Arrivés ainsi à Angers. Le docteur Malécot les amène à la gare pour les mettre dans un train qui doit rejoindre la zone non occupée, via Lyon. Les Borowski arriveront dans la Creuse où ils sont accueillis par des amis de la famille et resteront cachés jusqu'à la fin de la guerre.

Après la Libération, Wolf Borowski revient avec sa famille à La Baule où il peut relancer son commerce de fourrures.
Naturellement, les Borowski resteront en relations étroites avec le commissaire Gillot qui avait pris sa retraite et avec le docteur Malécot, élu maire-adjoint d'Escoublic-La Baule de 1945 jusqu'en 1959."


De g. à dr. : Gérard et Elisabeth Goldenberg, au micro : Michel Borowski (DR).

Ouest France :

- "La cérémonie a permis à Michel Borowski de rappeler que le commissaire de police et le médecin, amis de la famille depuis, étaient des gens simples. Les deux héros de la famille étaient même très pudiques, ne parlant quasiment jamais de ces faits : en juillet 1942, le commissaire apprend qu’une rafle va se produire. Il prévient des familles bauloises d’origine juive (…). Entre le 14 et le 20 juillet, 52 membres d’origine juive sont arrêtés, dont 12 enfants, puis déportés le 20 juillet, à Auschwitz."
(18 janvier 2010).

A la tribune : Pascal Gillot, de g. à dr. : Elisabeth Goldenberg, Michel Borowski, Christian Malécot (DR).

La Baule.maville :

- "Les petits fils présents ignoraient ces actes héroïques de leur grand-père, tant du côté du commissaire que du médecin.
Christian Malécot a rendu hommage à son grand père médecin, qu’il a peu connu. Louis Malécot avait été maire durant quatre mandats d’une commune près d’Ancenis, Le Fresne-sur-Loire. Il fut après guerre élu au conseil municipal de La Baule et devint le premier adjoint du sénateur-maire René Dubois.
Quant à Pascal Gillot, un pianiste soliste âgé de 47 ans, il a décrit son grand père le commissaire comme un homme très discret et foncièrement bon. Enfant, Pascal a été victime d’un accident très grave qui lui a valu trois ans d’immobilisation chez lui. « Mon grand père venait le matin et l’après-midi pour faire le précepteur ».
Le musicien a émis le vœu que la paix se concrétise pour les deux communautés, israélienne et palestinienne, au Proche-Orient, en la mémoire des Justes."
(18 janvier 2010).

De g. à dr. : Gérard Goldenberg remettant médaille et diplôme de Juste parmi les Nations à Christian Malécot (DR).


NB : Notre reconnaissance à Elisabeth ainsi qu'à Gérard Goldenberg, délégués du Comité Français, pour notamment les illustrations de cette page.


lundi 18 janvier 2010

P. 200. Charlotte Barillet : enfant cachée.

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Charlotte Barillet-Storch lors d'un exposé en milieu scolaire (ArcH. C. Barillet / DR).

Témoignage auprès de Yad Vashem
de Charlotte Barillet
en mémoire d’Arthur, de Cécile

et de Marcelle Magnier.

Arthur et Cécile Magnier seront honorés à titre posthume comme Justes parmi les Nations au cours d'une cérémonie organisée par Paul Ejchenrand et par Viviane Saül, délégués du Comité Français pour Yad Vashem, en l'Ecole d'Orgemont à Argenteuil le 4 février.
Le dossier de reconnaissance de ces Justes contient le précieux témoignage de Charlotte Barillet qui en a permis cette publication et l'a enrichie de photographies protégées dans ses archives personnelles.

Charlotte Barillet :

- "Mon père, David Storch, est né en Pologne à Narol le 15 août 1901.
Son père se prénommait Chaim et sa mère Scheindel, née Arek.

Je ne sais pas grand’chose de sa famille, sinon qu’il a été orphelin très jeune.
Il semble qu’à ce moment-là, il ait quitté la Pologne pour venir retrouver un oncle en Autriche et que son enfance ait été très dure….
Il avait un frère aîné – beaucoup plus âgé que lui – qui vivait en Amérique et qu’il avait le projet de rejoindre lorsqu’il est arrivé en France à la fin des années 1920.
Mais il a rencontré ma mère en France et a abandonné ce projet.

Ma mère, Rifka Tepper, est née en Pologne à Jaroslaw le 7 novembre 1906.
Sa mère se prénommait Schifre.

Elle parlait rarement de sa famille.
Sa mère avait – d’un premier mariage – un ou deux enfants plus âgés qu’elle.
Ma mère disait avoir perdu son père (le second mari de sa mère) au moment de la guerre de 1914.
Elle avait – plus ou moins – été élevée dans un orphelinat.
Elle disait avoir plusieurs frères et sœurs mais – à ma connaissance – elle n’a jamais entretenu de relations suivies avec eux, à l’exception d’une demi-sœur qui était venue en France et qu’elle a rejointe vers la fin des années 1920, à Thonon-les-Bains.
Elle a vécu quelque temps chez cette sœur, en travaillant dans une usine (les papiers à cigarettes Zig-Zag) puis a dû rencontrer mon père.

Ils sont venus à Paris où ils se sont mariés le 18 avril 1931 à la mairie du 12ème arrondissement. Ils vivaient alors 35, rue Claude-Tillier.

Mon père était manœuvre et travaillait dans une usine où il occupait le poste de « placagiste ».
Il a appris à lire et écrire le français en suivant les cours du soir. Je crois qu’il avait à cœur de s’intégrer ; il était très attentif à ma scolarité et suivait de très près mon apprentissage de la lecture depuis la maternelle.

Il avait également certainement des activités syndicales ; j’ai le souvenir de réunions et surtout de l’occupation de son usine au moment du Front Populaire.
Je revois, en particulier, une visite à l’usine occupée ; ma mère apportant de la nourriture …. Je l’accompagnais, ainsi que ma petite sœur.

Ma mère a travaillé au début de son mariage dans une épicerie juive de la rue de la Forge Royale et s’est arrêtée à ma naissance pour élever ses enfants :

- Charlotte, née le 5 février 1933,
- Paulette, née le 28 avril 1935,
- André, né le 20 mai 1939.

Nous vivions dans le 12ème, dans un logement de deux pièces cuisine, avec gaz et électricité, mais sans eau courante (l’eau et les toilettes étaient sur le palier ….)
Mes parents parlaient le polonais entre eux. Je ne savais pas que nous étions juifs et je ne me souviens pas de fête ou de célébration religieuse quelconque."


1933. David Storch, Charlotte, Rifka Storch-Tepper (Arch. C. Barillet / DR).

- "A la déclaration de la guerre, mon père a voulu s’engager dans l’armée étrangère, mais il a été réformé ; il avait eu un accident de travail et avait perdu une (ou deux) phalange(s) à un doigt.

Au début de la guerre, mon père est resté travailler à Paris mais ma mère avec ses trois enfants a été évacuée (ce que l’on a appelé l’exode) dans la Nièvre, dans un petit village du nom de Poiseux.
J’étais scolarisée à l’école communale de Poiseux et nous avons été logés dans un pavillon de gardien du « château » de Poiseux.

Mon père est venu nous voir au moment de Noël, il a fait le trajet Paris Poiseux aller et retour en bicyclette et je me souviens qu’il avait sur son porte-bagages une grosse valise à l’arrivée contenant sans doute des vêtements d’hiver mais aussi des cadeaux de Noël.

Nous avons vu arriver les Allemands à Poiseux, et le « château » a été occupé.
Je me souviens qu’un soldat allemand logeait même au premier étage de notre pavillon.

Nous sommes rentrés à Paris vraisemblablement au moment de l’armistice.

Les documents que nous avons obtenus il y a quelques années et provenant du fichier familial de la Préfecture de Police de la Seine comportent :
- la fiche familiale de recensement mentionnant pour mon père : « recherché février 1941 » et « serait arrêté » ;
- un document extrait du fichier du camp de Beaune-la-Rolande mentionnant la date d’arrivée de mon père : 14 mai 1941, le motif d’internement : « en surnombre dans l’économie nationale », et la date de mutation : « 27 juin 1942 ».

Entre la date d’arrestation de mon père : 14 mai 1941, et celle de sa déportation pour Auschwitz : 27 juin 1942 (convoi n°5), j’ai le souvenir de quelques cartes de correspondance censurées, de colis que ma mère envoyait à Beaune-la-Rolande, et de cadeaux que mon père nous a fait parvenir vraisemblablement pour Noël 1941 : un manteau entièrement cousu main pour ma mère (mon père avait appris le métier de tailleur avant de venir en France et j’ai toujours connu à la maison une machine à coudre dont il se servait pour confectionner certains de nos vêtements d’enfants) et un livre illustré pour moi ; curieusement, il s’agissait d’un livre catholique pour enfants, je suppose que mon père n’avait pas eu d’autre choix ….

J’ai aussi le souvenir d’un voyage à Beaune-la-Rolande, vraisemblablement quelques semaines avant la déportation, car il faisait très chaud.
De nombreuses familles comme la nôtre avaient eu l’autorisation de venir voir leur prisonnier.
Mon père et ses camarades sont sortis du camp pour cette visite et sont restés avec nous toute la journée. Mais ils avaient été prévenus que s’ils tentaient de se sauver, leurs familles seraient arrêtées...

J’ai des souvenirs assez vagues de notre vie avec notre mère après l’arrestation de mon père. Nous n’avions pas beaucoup d’argent et je me souviens que nous allions assez souvent – avec deux ou trois familles juives de notre rue – prendre un repas chaud et gratuit dans une institution juive (je pense qu’il devait s’agir du dispensaire de la rue Amelot).

A partir de juin 1942, ma mère et moi avons porté l’étoile jaune.

Je garde précieusement en mémoire la réaction d’une petite amie de mon âge, Suzanne, avec qui je partais chaque matin à l’école. Lorsque, pour la première fois, elle m’a vue avec cette étoile elle m’a dit « Tu restes avec moi dans la cour de l’école et la première qui te dit quelque chose aura affaire à moi …. » Tout s’est bien passé à l’école et je n’ai pas eu à souffrir de remarque ou brimade quelconque."

1942 : André, Charlotte et Paulette (Arch. C. Barillet / DR).

- "A la veille de la rafle du Vel’d’Hiv,ma mère et les autres mères de famille de notre rue ont été prévenues par un voisin travaillant au Commissariat de Police du 12ème, Monsieur Souche, qu’il allait se passer quelque chose de grave pour nous.
Effectivement, dans la nuit du 16 juillet (ou peut-être au petit matin) des camions sont arrivés dans la rue (l’impasse) où nous habitions.
C’est ce bruit qui m’a réveillée, ma mère se tenait derrière les volets fermés. Les policiers ne sont pas montés dans les étages et se sont contentés d’appeler les noms des familles …
Plusieurs familles sont descendues et les camions sont repartis.

Immédiatement, ma mère nous a pris tous les trois et est descendue se réfugier chez une amie polonaise, non juive, Catherine, qui habitait à côté dans une pièce unique, sans eau et sans W.C.
Catherine travaillait toute la journée – son mari était prisonnier – et il n’était pas question que nous fassions du bruit en son absence, de peur que les voisins puissent nous dénoncer …

J’avais 9 ans, ma sœur 7 et mon frère 3….

Le lendemain matin, deux ou trois mères qui – comme la mienne – n’avaient pas répondu à l’appel de leur nom se sont retrouvées dans la rue pour se concerter, et cela juste sous la fenêtre de Catherine qui habitait au premier étage.
Sans argent, parlant mal le français, dans l’impossibilité de rester dans leurs logements et effrayées de leur désobéissance, elles ont décidé de prendre leurs enfants et d’aller volontairement se constituer prisonnières...

Elles ont appelé maman... qui n’a pas répondu, nous sauvant ainsi d’une mort certaine. J’ai retrouvé dans le Mémorial de Serge Klarsfeld les dates de déportation de ces femmes et celles de leurs enfants quelques semaines plus tard……

Mais nous ne pouvions rester cachés chez Catherine.
Celle-ci avait une cousine, en banlieue, qui a bien voulu nous prendre ma sœur et moi pendant quelques jours.
Catherine est revenue nous chercher pour nous conduire avec notre frère dans la maison d’enfants de l’U.G.I.F., rue Lamarck. Grâce aux archives du Mémorial, j’ai pu retrouver des documents indiquant la date précise de notre arrivée : 21 juillet 1942 et celle de notre départ : 7 août 1942 pour la Cité d’Orgemont.

De ce passage rue Lamarck, je n’ai que de vagues souvenirs, sauf qu’une monitrice m’a demandé si j’accepterais de partir avec mon frère et ma sœur chez une nourrice où nous serions très bien. J’ai dit oui, échappant ainsi avec Paulette et André à une rafle d’enfants rue Lamarck quelques semaines plus tard.


Le 7 août 1942, nous étions une vingtaine d’enfants juifs à partir de la rue Lamarck pour la Cité d’Orgemont.
Nous avons été « réceptionnés » au Centre de la Croix-Rouge de la Cité d’Orgemont à Argenteuil et des nourrices sont venues prendre les enfants qu’elles s’étaient engagées à accueillir.
La Cité d’Orgemont était une cité ouvrière avec beaucoup de femmes au foyer qui accueillaient traditionnellement des enfants en nourrice.
Il existait un lien particulier entre l’U.G.I.F. et ce Centre de la Croix-Rouge mais aucun document ne permet de l’identifier….

Mon frère a immédiatement été accueilli dans la famille Delcloy qui l’a gardé pendant toute la guerre.

Ma sœur et moi ne nous sommes jamais quittées.
Nous avons d’abord été accueillies par la famille Garau qui, après un mois, nous a rendues au Centre.
Nous sommes ensuite allées dans la famille Poch pendant deux mois, puis retour au Centre …

Enfin, nous sommes arrivées dans la famille Magnier où nous sommes restées jusqu’à la fin."


(Photo Arch. C. Barillet / DR).

- "Arthur, Cécile Magnier et leur fille Marcelle nous ont non seulement accueillies et hébergées mais nous ont donné toute la tendresse, l’attention et la protection dont nous n’osions même pas rêver... Nous étions vraiment comme leurs enfants…
Nous qui n’avions pas –en dehors de notre cellule familiale – connu d’autres parents, nous avons vraiment été adoptées par les grands parents, les oncles, les tantes, les cousins et cousines...

J’ai découvert, petite parisienne, les joies du jardin, du potager, des cabanes à lapins, de la balançoire, des acacias et des lilas en fleurs …

D’autres enfants juifs placés chez d’autres nourrices n’avaient pas trouvé cette qualité d’accueil et je mesurais à chaque instant la chance qui était la nôtre, d’autant plus que notre petit frère lui non plus n’était pas très choyé dans sa famille d’accueil.

A partir de notre arrivée à la Cité d’Orgemont, nous n’avons plus porté l’étoile jaune.
Nous avons été scolarisés dans les écoles : maternelle pour mon frère, primaire pour ma sœur et moi.
Je savais que je ne devais jamais dire que j’étais juive ni parler de ce qui nous était arrivé… et surtout pas de ma mère qui se cachait de son côté et qui est venue nous voir, deux ou trois fois, malgré tous les risques que cela comportait pour elle.

Et pourtant, les voisins, les enseignants, tout le monde savait qui nous étions et jamais il n’y a eu de dénonciation...

A plusieurs reprises, il y a eu des perquisitions dans certains pavillons (on recherchait des résistants).

Il y a même eu (au moins deux fois dans mes souvenirs) des alertes sérieuses et l’assistante sociale a prévenu nos nourrices qu’il serait bon de nous mettre à l’abri pour quelques jours (ou semaines …)

Une fois, nous avons été placés tous les trois dans un centre pour enfants. Je me souviens seulement que nous devions dire, si nous étions interrogés, que nous nous appelions « Torcher » au lieu de « Storch » et que nous étions nés à Saint-Omer (ville très bombardée qui n’avait plus d’archives …)

Une autre fois, ma nourrice et celle d’André sont allées voir ma mère (dont elles avaient les coordonnées et qui se cachait à Romainville chez une directrice d’école).

Cette directrice, Madame Clément, a accepté de nous recevoir tous les trois pendant quelque temps ….jusqu’à ce que le danger soit passé.

Ma mère nous a très peu parlé de tout ce qu’elle avait vécu pendant la guerre. Je sais qu’elle est restée peu de temps cachée chez Catherine, qu’elle est même remontée vivre dans notre logement. Dénoncée par une concierge habitant en face, elle n’a dû son salut qu’à sa fuite précipitée. Les policiers, en arrivant dans le logement ont compris – son petit déjeuner était encore chaud sur la table – qu’elle n’était pas loin…
Ils sont descendus et ont fouillé tous les escaliers. Maman était cachée dans le couloir de notre cave. Ils sont descendus et se sont contentés de balayer le couloir de leur lampe électrique. S’ils s’étaient avancés, ils auraient trouvé ma mère cachée dans un renfoncement.
Je crois qu’ensuite – et grâce sans doute au réseau d’organisations juives – elle est allée de cache en cache, jusqu’à son arrivée dans la famille Clément à Romainville où elle est restée jusqu’à la fin de la guerre.

Elle est passée plusieurs fois très près de l’arrestation.
Elle est venue nous voir, rue Lamarck dans la maison d’enfants de l’U.G.I.F., alors que nous n’y étions déjà plus …. et que des policiers étaient en train d’arrêter des enfants. Elle n’a dû son salut qu’à sa fuite.

Une autre fois, elle est allée voir sa sœur malade hospitalisée à l’hôpital Rothschild. A l’entrée, le concierge l’a prévenue que des policiers arrêtaient tout le monde à l’intérieur ; une fois encore, elle a pu échapper à la souricière.

Maman a toujours bravé tous les dangers pour nous suivre – même de loin – et pour faire face en cas de besoin, ce qui s’est produit lorsque nous l’avons rejointe à Romainville, dans la famille Clément.

Toutes les nourrices de la Cité d’Orgemont qui cachaient des enfants juifs recevaient, chaque mois, la somme de 500 francs par enfant. On imagine bien que ces familles ouvrières n’avaient pas les moyens de nous héberger, nous nourrir, nous vêtir et, à mon avis, en tout cas pour ma famille d’accueil, cette somme ne couvrait pas ce que nous coûtions.
Par exemple, lorsque nous trouvions du beurre au marché noir, il fallait le payer 500 francs la livre. Chaque fois que cela arrivait, ma sœur et moi en bénéficiions comme tous les autres membres de la famille. Cela était valable pour toute les produits alimentaires achetés au marché noir : pain, huile, sucre, oeufs...

De plus, nous participions à toutes les sorties : cinéma, excursions, ….et, malgré les restrictions, notre nourrice faisait des prodiges pour nous offrir des petits présents à Noël et à nos anniversaires…

La famille Magnier écoutait Radio-Londres tous les soirs et suivait sur une carte d’Europe fixée sur le mur de la salle à manger les mouvements des troupes russes sur le front de l’Est, et après le débarquement les batailles et les progrès des troupes alliées sur le front de Normandie.

Ils n’ont jamais été dupes de la propagande de Vichy, et malgré tous les risques continuaient à écouter Radio-Londres… les messages « personnels » hermétiques pour nous, mais sachant ce qu’ils recouvraient de résistance et d’espoir, en admirant le courage du général de Gaulle, l’humour de Pierre Dac et en puisant du courage dans toutes les nouvelles qui leur permettaient de savoir ce qui se passait réellement : les actes de résistance, les attentats, le débarquement…

La Cité d’Orgemont a connu quelques bombardements, comme toute la région parisienne… mais je ne me souviens pas avoir eu peur. Arthur, Cécile et Marcelle nous donnaient l’exemple d’un courage simple mais constant. Pendant les alertes, ils étaient toujours calmes et il nous arrivait de suivre les passages des avions alliés en nous réjouissant de les voir passer au travers des tirs d’obus des canons allemands.

Nous avons vécu la Libération dans une atmosphère extraordinaire de joie et de délivrance... Je me souviens des premiers camions de soldats américains descendant notre rue, du chocolat, des cigarettes et des chewing-gums que nous recevions à la volée... Je me souviens des drapeaux tricolores qui jaillissaient de partout et fleurissaient à toutes les fenêtres... Je me souviens des bals populaires improvisés et de l’allégresse générale...

Mais je me souviens aussi, hélas ! des jeunes femmes que l’on a tondues sur la place de l’église d’Epinay, et que l’on a promenées dans les rues, hagardes, avec des croix gammées peintes en noir sur leurs crânes, sous les huées et les injures, parce qu’elles étaient – soi-disant – « allées » avec des allemands...


1945 : Rifka et ses trois enfants (Arch. C. Barillet / DR).




mardi 12 janvier 2010

P. 199. "Annette Muller, la petite fille du Vel d'Hiv"

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Aux Editions CERCIL :

"Le récit d'Annette Muller
et de Manek, son père :

du Camp d'internement
de Beaune-la-Rolande (1942)
à la Maison d'enfants du Mans (1947."

Le Centre d'Etude et de Recherche sur les Camps d'internement dans le Loiret (Beaune-la-Rolande, Pithiviers et Jargeau) et la déportation juive : CERCIL
est exemplaire pour sa rigueur et par sa détermination, pour la richesse de ses travaux et pour leur diffusion (conférences, journées, publications etc)... En résumé : pour la part originale et complémentaire que ce Centre assume dans le travail - à long terme et jamais abouti - de la mémoire de la Shoah.

Voici le dernier ouvrage des Editions du Cercil : ce récit d'une gamine, Annette Muller dont la mère a été déportée sans retour. La fillette est âgée de 9 ans quand en 1942 commence pour elle ce cauchemar vécu partant du Vel d'Hiv, se prolongeant à Beaune-la-Rolande, passant par Drancy, puis se poursuivant d'asile en orphelinat... Parallèle à ce récit d'autant plus déchirant qu'il reste dans le registre d'une entière sobriété, celui de son père, Manek, venu des environs de Biecz, en Pologne, et pour qui la France avait le visage d'une terre d'accueil. Ses enfants cachés, lui ne cessera de fuir devant les Allemands persécuteurs.

Ce volume de 248 pages, s'ouvre sur une préface intitulée : "La page la plus noire de l'histoire de France".
Serge Klarsfeld :

- "La Shoah lui {Annette Muller} a fait traverser, comme à beaucoup d'autres orphelins, des enfers dont ceux qui ont retrouvé leurs parents ou qui ne les ont pas quittés n'ont pas idée. Même ceux qui ont survécu à l'enfer des camps ne se rendent pas compte de l'intensité du choc brutal et prolongé qui a frappé jusqu'à leur dernier souffle les orphelins de la Shoah."

Suit une introduction par la présidente du CERCIL : "Je voulais juste qu'on parle des enfants..."
Hélène Mouchard-Zay :

- "Nous avons souhaité publier l'intégralité du récit d'Annette. Le texte de La petite fille du Vel d'Hiv, repris tel qu'il a été publié en 1991 [Denoël, ouvrage épuisé}, est suivi de son récit sur l'asile Lamarck, puis sur l'orphelinat catholique où elle a été cachée jusqu'en 1945, enfin sur la maison d'enfants où elle est restée jusqu'en 1947.
Nous présentons également les souvenirs de son père, Manek, tels qu'ils ont été recueillis par Annette elle-même, sous la dictée de son père (...).
C'est donc toute l'histoire d'une famille juive polonaise, décimée au cours de la seconde guerre mondiale qui se dessine : la vie d'autrefois en Pologne l'antisémitisme et la misère qui les ont chassés de ce pays, le drame qui a tué ceux qui y sont restés, l'émigration à Paris, la persécution qui les y a rejoints, et aussi la difficulté de vivre à nouveau, après..."

Beaune-la-Rolande, juillet 1942 (DR CERCIL).

Annette Muller :

- "Le camp était entouré de fil de fer barbelé épais. Aux quatre coins, des gendarmes dans des miradors braquaient jour et nuit des fusils. Au-delà, on apercevait le clocher de l'église du village tout proche. Il y avait une vingtaine de baraques de bois. Devant certaines, des bandes de ciment étroites avec des trous espacés. Les latrines. Dans la journée, les gens, accroupis et culotte baissée, faisaient leurs besoins aux yeux de tous. Nous avions peur d'y aller. D'énormes vers blancs y grouillaient.
Dès notre arrivée, on se précipita vers une baraque où, dans des lavabos de zinc, coulait un maigre filet d'eau. Certains avaient arraché leurs vêtements sales et se bousculaient dans le désordre et l'affolement pour pouvoir enfin laver leurs corps qui avaient croupi de longues heures au Vel d'Hiv.
Je regardais ces femmes aux corps nus, malodorants, grotesques, se poussant et s'injuriant. Les grandes personnes ! J'apprenais le mépris, la haine, j'apprenais la pitié aussi."
(P. 49).

Photo prise au printemps 1944 (Arch. fam. Muller / DR CERCIL).

Sortie de Drancy décrite par Annette Muller :

- "Un homme derrière une table a dit : "Vous allez partir du camp, les gendarmes vont vous emmener." On nous a fait monter dans un car de police, quatre gendarmes nous accompagnaient. Quand la voiture a démarré, Michel {son frère} et moi, on a crié de joie. On n'arrêtait pas de parler, fébriles, chacun interrompant l'autre.
"On va rentrer à la maison !"

On imaginait tout haut notre retour : si on demandait la clé à la concierge. On se cacherait sous la table et on surpendrait tout à coup papa et maman, Henri et Jean {autres frères}. Ca en ferait une bonne surprise. On était sûr de retrouver tout le monde à la maison.

A un moment donné, j'ai tourné la tête vers les gendarmes assis derrière nous. Ils nous écoutaient parler et, silencieusement, ils pleuraient.
J'ai compris qu'on ne retournerait pas chez nous, alors, moi aussi, j'ai pleuré."

(P. 58).


Manek Muller, Toulouse, 1944 (Arch. fam. Muller / DR CERCIL).

Manek Muller à la recherche de ses enfants :

- "J'ai appris que les enfants avaient été transférés de Beaune-la-Rolande à Drancy. Là-bas, j'ai pu savoir par un gendarme qu'ils venaient de partir pour l'asile Lamarck. J'y suis allé, il y avait des gosses dans la cour, la tête rasée, maigres, cherchant un bout de pain en grattant dans la terre. J'avais tellement pitié. Des petits enfants ! Le directeur, un homme froid, m'a à peine laissé entrer. Il m'a dit : "Soyez heureux qu'ils soient là."
J'ai dû poser sur une table, dehors le colis que j'avais préparé. Il a refusé quatégoriquement de me remettre les enfants qui, venant de Drancy, restaient sous contrôle allemand.
Je suis retourné voir la Soeur Clotilde {Juste parmi les Nations, 1995} pour qu'elle m'aide. C'est grâce à elle que les enfants ont pu sortir de l'asile Lamarck fin novembre 1942 pour être cachés en orphelinat catholique à Neuilly-sur-Seine où Henri et Jean les ont rejoints plus tard.
J'ai alors commencé à avoir peur pour moi-même."
(PP. 157-158).

En complément de ces deux récits porteurs de la vision d'une fillette et de celle son père, ce volume particulièrement bien illustré, contient plus de cinquante pages d'études historiques :
- La famille Muller dans les archives.
- Les familles du Vel d'Hiv dans les camps de Beaune-la-Rolande et de Pithiviers, par Catherine Thion et Benoît Verny.
- Orphelinats catholiques et maisons d'enfants, par Katy Hazan.
- Le destin de milliers de Juifs polonais en France, par Henri Minczeles.

Ce livre a été publié sous la direction éditoriale de Nathalie Grenon.
Il a reçu le soutien financier de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, du ministère de la Défense-DMPA, du ministrère de la Culture-Drac région Centre, de l'Union Européenne, de la ville d'Orléans.

Pou toute commande au CERCIL, cliquer : ICI .

mardi 5 janvier 2010

P. 198. Sauvetage de la famille Sinaï à Genestelle

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Château de Genestelle (DR).


Alphonse et Noémie Mazoyer
ainsi que leur fils Firmin
Justes parmi les Nations.
Par un courrier parti de Jérusalem le 30 juillet 2009, Irena Steinfeld, Directrice à Yad Vashem (Département des Justes) annonçait à Firmin Mazoyer que lui-même et ses parents hélas décédés, allaient avoir leurs noms gravés sur le Mur d’Honneur dans le Jardin des Justes parmi les Nations.

En novembre 2009, cette reconnaissance s’est également concrétisée par une cérémonie de remise de Médaille et de Diplôme à Genestelle.

Le Dauphiné Libéré :

- « A Bise (Genestelle), Alphonse et Noémie Mazoyer et leur fils Firmin, de 1942 à 1944, ont accueilli et assuré de leur protection Richard et Edith Sinaï et leurs enfants Yvette (16 ans) et Jean (10 ans).
Originaire de Marseille, la famille Sinaï comme d’autres familles a trouvé refuge en Ardèche, plus particulièrement à Vals-les-Bains. Le répit est de courte durée. La pression allemande appuyée par une milice zélée est mise en place avec des contrôles quotidiens. Plusieurs fois retenus, notamment sans leurs enfants, Richard et Edith Sinaï échappent par miracle aux convois en direction du camp de Drancy. Ils devront par deux fois leur vie à un heureux concours de circonstances.

Monsieur Bon, hôtelier à Vals, alerte son ami Alphonse Mazoyer sur la situation de la famille Sinaï. Ils sont prêts à accueillir les époux Sinaï et leurs deux enfants. Alors qu’ils rejoignent Bise, le soir même les dernières familles Juives réfugiées à Vals-les-Bains son arrêtées par la milice pour la destination que l’on connaît.
Durant deux années, Richard, Edith et leurs enfants bénéficieront de l’hospitalité de la famille Mazoyer mais aussi de tout le village sans défection. »
(10/11/2009).

La Tribune :

- « Moments d’émotion pendant l’allocution de France Moulin, maire de Genestelle et lors de l’intervention de Robert Mizrahi, tous deux rappelant les jours noirs de la collaboration du gouvernement de Vichy avec le nazisme hitlérien : les rafles, parmi ceux qui portaient l’étoile jaune, la déportation, les chambres à gaz…
Moments d’émotion encore lorsque Firmin lui-même, Jean, Yvette et Claire, enfants et petits-enfants des époux Sinaï, s’exprimèrent sobrement mais avec cœur. Les liens noués en 1942 ne se sont pas défaits. »
(12/11/2009).

Robert Mizrahi représentait le Comité Français pour Yad Vashem à cette cérémonie à laquelle participa également une délégation de la communauté juive de Valence.