mardi 30 juin 2009

P. 155. La famille des Justes porte le deuil de Marguerite Farges

Titre de Sud Ouest (DR).

Le procès Papon connut de multiples moments forts. Mais le 6 février 1998, devant un accusé égal à sa suffisance et à son absence totale de remords, le témoignage d'Yvette Moch apprit à beaucoup l'incroyable sauvetage d'un garçon de 6 ans. Ce dernier avait été dénoncé et enfermé sous bonne garde avec un peu plus de 200 autres juifs dans la synagogue de Bordeaux. Avant un transfert sur Drancy.

Yvette Moch :
- "Il y avait un nouveau-né (1), ç'a été un des plus beaux souvenirs de cette époque, qu'une infirmière cachait sous sa cape. Elle a sauvé un enfant, car les enfants partaient et je me souviens d'un petit garçon qui disait "Mais qui s'occupera de moi puisque je n'ai plus personne ?" Je me souviens de ça. On essayait de les rassurer : "On va s'occuper de toi, là-bas." Et puis ils partaient les pauvres enfants, c'était tragique. Et il y a eu cet enfant qui a été sauvé. Je m'en souviens comme d'un miracle au milieu de toutes ces horreurs (...).
Me Gérard Boulanger :
- "Vous avez assisté au sauvetage de cet enfant..."
Yvette Moch :
- "Oui, caché sous la cape de l'infirmière."
Me Boulanger :
- "Il s'agit du cas du petit Boris qui est devenu très célèbre depuis." (2)

Cette infirmière, Mlle Descoubès confia le garçonnet à Marguerite Farges. C'était le début du sauvetage mouvementé de Boris Cyrulnik (sous la fausse identité de Jean Bordes).

Marguerite Farges vient de s'éteindre à 91 ans (Arch. Sud Ouest : DR).

Témoignage de Marguerite Farges, Juste parmi les Nations :

- " Bien sûr, j’avais conscience du danger. Mais j’ai puisé de la force en suivant l’exemple de mon père, un homme courageux. Il a aidé des gens qui fuyaient le nazisme à s’embarquer pour les Etats-Unis. Lorsque les Allemands ont essayé de le faire parler, il leur a répondu : “Quand je me rase le matin, je ne veux pas voir un lâche dans la glace.”

En juillet 1942, les parents de Boris, un de mes élèves (3), sont venus me demander si je connaissais quelqu’un à la campagne qui pourrait s’occuper de lui. Je les ai envoyés chez une nourrice en qui j’avais toute confiance.
La nuit suivante, ils étaient arrêtés. La mère a tout de suite été déportée à Auschwitz. Mais j’ai pu voir le père, qui avait été transféré à l’hôpital. Il m’a demandé de m’occuper de leur enfant. Ce que j’ai fait. J’ai alors été interrogée à la préfecture, aux Questions juives. Ils insistaient pour que je ramène le petit, me disant qu’ils s’occuperaient de lui faire rejoindre ses parents…
Leurs promesses me paraissaient trop vagues, j’ai gardé Boris. Il était très conscient, et d’une précocité extraordinaire. Je ne lui ai jamais mis l’étoile jaune et je le baladais avec moi sans complexe. Petit à petit, je me suis attachée à lui.

Le 10 janvier 1944, sur dénonciation d’un voisin, Boris a été arrêté et parqué dans une synagogue. Une infirmière l’a remarqué parce qu’il était seul dans son coin. Il ne comprenait pas pourquoi on l’avait arrêté : “Depuis que je suis chez Margot, je ne suis plus juif”, disait-il. L’infirmière m’a contactée et m’a dit qu’elle ferait tout pour le sauver. Elle a réussi à le sortir d’un autobus qui devait l’emmener à Drancy et l’a caché. Je l’ai récupéré puis confié aux uns et aux autres, jusqu’à ce qu’il retrouve une vie ordinaire, dans une ferme."
(Psychologies-com, janvier 2002).

Bernadette Dubourg :

- "Boris Cyrulnik, devenu psychiatre et éthologue, installé dans le Var, a longtemps tu son enfance bordelaise, l'arrestation et la déportation de ses parents en 1942, sa propre arrestation en janvier 1944, ou encore les familles quil l'ont caché dont celle de Marguerite Farges, qu'il a toujours appelé Margot. "Cela reste du domaine privé", répondait-il simplement.
Pourtant, en 1997, il a entamé les démarches pour que Marguerite Farges soit honorée par l'Institut Yad Vashem de Jérusalem (...).
Lors de la remise de la médaille des Justes, il avait emprunté ces mots à Elie Wiesel : "Il est interdit de me taire, il est impossible de parler." (4)
(Sud Ouest).

A la famille de cette Juste parmi les Nations, y compris Boris Cyrulnik (5), le Comité Français pour Yad Vashem présente ses condoléances les plus sincères. Puisse, sur la colline du Souvenir à Jérusalem, continuer à s'épanouir l'arbre de Marguerite Farges.

NOTES :

(1) Ce témoignage montre la fragilité des souvenirs, surtout sur une période tellement anxyogène et de par surcroît devant une Cour. En effet, Boris Cyrulnik est né en 1937. Mais la description de son sauvetage n'en perd rien de sa valeur historique.

(2) Le procès de Maurice Papon, Compte rendu sténographique, Tome II, Albin Michel, 1998, 973 p. (PP 353-355).

(3) Marguerite Farges était institutrice à l'école bordelaise de la rue du Pas-Saint-Georges.

(4) Nos remerciements à Albert Seifer, délégué du Comité pour l'Aquitaine, et à Corinne Melloul, chargée de mission et de la communication.

(5) Lire :

Boris Cyrulnik, Je me souviens, Ed. L'esprit du temps, mars 2009.



lundi 29 juin 2009

P. 154. Nouveaux Justes à St-Ouen en Belin et à Mirabel et Blacons

Simone et Léon Lefèbvre en 1942 (Photo Le Maine Libre, 23 juin 2009 / DR).


Ce dimanche 28 juin vient d'aboutir le dossier 11371 constitué par Yad Vashem en vue de la reconnaissance
comme Justes parmi les Nations
de Léon et de Simone Lefèbvre,
un couple de fermiers de Saint Ouen en Belin :

- "Israël Wolf et Léa Lindwasser sont venus de Pologne en 1930. Avant son immigration en France, le couple a déjà un enfant, Maurice, né en 1929.
A Malakoff, le couple ouvre un commerce de confection pour dames.
5 autres frères et soeur vont ensuite naître :

- Joseph, en 1933,
- Esther en 1935,
- Benjamin en 1936,
-Georges en 38 et
- Robert en 1940.

Israël, le père, est déporté de Pithiviers le 17 juillet 42, par le convoi n° 6.
Léa doit faire face à cette perte sans commune mesure. Elle sera employée de maison puis mécanicienne en fourrure.

Quant aux enfants, ils sont confiés au Père Devaux, qui les reçoit à Notre-Dame de Sion. Puis ils sont dispersés et cachés dans la Sarthe sous le nom de « Levasseur » :
- Joseph, Robert et Maurice sont cachés à Fay Saint Ouen en Belin, chez M. et Mme Lefèbvre, des fermiers ;
- Esther et Georges ne sont pas abrités bien loin puisqu’ils se retrouvent dans une ferme à près d’un km seulement des trois autres frères.
Tous les cinq sont réunis parfois le dimanche pour des retrouvailles qui leur font chaud au cœur.
Ils connaîtront une vraie vie de famille jusqu’à la libération. La fausse identité d’enfants « Levasseur » servit aussi à éviter qu’ils ne soient privés de scolarité…

Les deux familles Lindwasser et Lefèbvre sont restées en contact après la guerre."


De g. à dr. : Lewi Peleg, Représentant l'Ambassade d'Israël; Olicier Pannier, Maire de St-Ouen; Joseph Lindwasser, l'un des enfants cachés; André et Michel Lefèbvre, fils des Justes parmi les Nations.

Au cours de la cérémonie de remise de Diplômes et de Médailles de Justes parmi les Nations, la déléguée du Comité Français pour Yad Vashem, Nicole Caminade, a dans un discours sobre et précis, complété la synthèse du dossier retranscrit ci-avant.

Nicole Caminade :

- "Nous sommes réunis ici ce matin pour honorer le courage de ce couple de fermiers, Léon et Mireille Lefèbvre, qui résidaient dans cette commune durant l’Occupation nazie et qui n’hésitèrent pas à accueillir chez eux, cacher et sauver trois petits garçons juifs, Maurice, Robert & Joseph Lindwasser (...).

Fuyant une crise économique sévère et un antisémitisme virulent, Israël et Léa, sa jeune épouse, étaient arrivés à Paris en 1930. A Malakoff, dans la proche banlieue parisienne, Israël s’occupait d’un commerce de confection pour dames, alors que Léa s’occupait d’élever leurs six enfants : cinq garçons et une fille.

Après la déportation de son mari, la maman a pu se cacher chez une voisine et a cherché par tous les moyens à mettre ses enfants à l’abri ; c’est ainsi qu’elle conduit Joseph chez sa patronne, Avenue Bosquet, où elle est employée de maison et qu’elle est mise en contact avec le réseau de sauvetage mis en place par le Père Devaux, de Notre-Dame de Sion, qui conduit et répartit les enfants dans la Sarthe.

Si un certain nombre d’enfants furent ainsi sauvés, certains – comme 23 petits à Tuffé – furent raflés…."




Mirabel et Blacons (DR).

Le 26 juin, la mémoire d'Elie et de Marie-Louise Richaud est venue officiellement enrichir la belle et longue liste de tous les Justes parmi les Nations ayant sauvé des juifs persécutés par la Shoah en France.


M. Mizrahi avait été délégué par le Comité Français pour Yad Vashem pour cette cérémonie qui se déroula à Mirabel et Blacons.

vendredi 26 juin 2009

P. 153. Cérémonie pour 7 nouveaux Justes à Paris

(DR).

Ce 25 juin, la Mairie du 12e arrondissement de Paris a servi de cadre prestigieux à la reconnaissance comme Justes parmi les Nations de :
- Gaston Girousse,
- Auguste et Marie Jeager,
- Jean-Marie Lapeyre et ses filles, Nathalie et Marie,
- Trieulet Antoinette.

Leurs dossiers à l'Institut Yad Vashem de Jérusalem précise les motifs profonds pour lesquels tous se sont vus attribuer Médailles et Diplômes de Justes.

Gaston Girousse, dossier 11400 :

- "La famille NETTER compte dans ses membres le célèbre professeur Arnold NETTER (1855-1936). Les NETTER sont d’origine juive alsacienne. Ils sont venus à Paris en 1870 pour ne pas devenir Allemands.

Le témoignage en faveur du Juste, M. Gaston GIROUSSE, a été mis en forme en 1979, par Léon NETTER (1897-1989). Il est authentifié par son fils, Alain-Pierre NETTER.

Maître Léon NETTER est avocat à la cour de Paris. Grâce à ses qualités professionnelles, il fait partie des 14 avocats autorisés à rester inscrits au Barreau après l'occupation (mais il en sera exclu le 12 février 42). Il est notamment l’avocat de diverses compagnies d’électricité présidées par M. GIROUSSE.

Le 21 août 41, Me NETTER est interné à Drancy. M. GIROUSSE met à disposition de Mme NETTER une somme qui pourrait assurer la sortie du camp de son époux. Le 25 octobre 41, un médecin chef français établit une liste de sortie pour raison médicale. Très affaibli, Léon NETTER sort ainsi de Drancy.

M. GIROUSSE lui établit une carte d’agent de l’électricité, lui conférant la qualité d’ingénieur électricien. Le 5 janvier 42, une voiture de l’Union Electrique lui fait franchir un poste allemand afin de réparer une panne de secteur (!) située sur la ligne de démarcation. Tout est organisé pour qu’il puisse franchir cette ligne. Une autre voiture de la société d’Electricité le prend ensuite en charge pour le conduire en zone libre (à Loches, en Indre-et-Loire).

Avec sa femme et sa belle-sœur, Me NETTER franchira la frontière suisse au village de Douvaine.

M. GIROUSSE, en signant de fausses cartes d’agents de l’Electricité et de faux ordres de mission a permis à des Juifs mais aussi à des communistes et à des résistants de passer en zone libre (environ 3 à 400 personnes).
Au nombre des résistants, MM. BAUMGARTNER et LENIEZ feront l’éloge de M. GIROUSSE dans une lettre datée de 1948.

De plus, M. GIROUSSE a également procuré de la nourriture à Louis CAHEN, un camarade de Polytechnique caché dans un grenier. Il a aussi aidé la famille DURKHEIM.

En résumé, M. Gaston GIROUSSE incarne l’intelligence, le courage et la droiture dans une France officiellement pétainiste donc antisémite et liberticide."


Auguste et Marie Jaeger, dossier 11349 :

- "Le couple JAEGER dirigeait depuis 1935 l'orphelinat protestant du Bon Secours, situé à Paris 20è. Ils y recevaient non seulement des orphelins mais encore des enfants dont les parents ne pouvaient plus assurer leur éducation.

En 39, tous les enfants (sauf un qui n’avait aucune famille) furent envoyés à l'abri loin des risques de bombardement sur Paris.

En novembre 42, une jeune femme demande au couple de garder, pour quelques jours seulement, un petit garçon d’environ 8 ans. Puis, ensuite, elle revient avec d’autres enfants qu’elle reprend au bout de quelques jours.

En fait, il s’agit d’enfants juifs qu’elle attend à la sortie de leur école lorsqu’elle est informée que les parents ont été arrêtés. Elle les amène donc à l’orphelinat pour quelques jours, le temps de leur faire établir des faux papiers et de leur trouver un refuge. Cette femme – qui ne révéla jamais son nom – fut arrêtée ensuite et probablement déportée.

Marie JAEGER prenait soin des enfants et elle leur confectionnait souvent des vêtements.
Son fils, André, a pu procurer à certains des cartes d’identité. En outre, par son poste au Ministère de l’Agriculture, il réussit à obtenir de « vraies fausses cartes d’alimentation » pour les nourrir en complément de la nourriture rapportée de Touraine par sa femme, Hélène.

Entre novembre 42 et juin 45, Auguste et Marie JAEGER accueillirent ainsi une quarantaine de petits juifs (d’après le Pasteur Vergara). A la libération, une quinzaine d’enfants se trouvaient encore à l'abri des murs de l'orphelinat.

Depuis cette époque si sombre, un fils d’André et Hélène JAEGER, José-Marie, a réussi à retrouver l’un des enfants accueilli par sa famille. Il s’agit de Robert FRANCK.
Celui-ci se rappelle s’être rendu dans l’orphelinat et y être resté une quinzaine de jours. Il a appris par la suite que c’était par l’intermédiaire d’une organisation clandestine, « l’entraide temporaire ».

Il est le seul survivant de sa famille. Il a lancé un avis de rechercher pour tenter de retrouver la trace d’autres enfants ayant séjourné à l’orphelinat. Sans succès jusqu’à présent."


Jean-Marie Lapeyre et ses deux filles, Nathalie et Marie (dossier 11301) :

- "M. et Mme HAFON, originaires de Turquie, ont émigré en France respectivement en 1905 et en 1920. Ils ont habité 95 rue des Boulets (11è) et ont eu deux enfants :
- Sarah (née 32)
- et Roland (né en 38).
Le père était vendeur.


Fin 1943, les parents ont décidé de mettre leurs enfants à l’abri dans une famille du sud-ouest de la France, famille honorablement connue par l'un de leurs amis.
Accompagnés d’une parente non juive, les gosses sont arrivés chez M. LAPEYRE, veuf, et ses deux filles, Nathalie et Germaine, célibataires.
M. LAPEYRE et une de ses filles tenaient une épicerie de la localité. A noter que les hôtes habitaient près de la Kommandatur à St Sever...

Sarah et Roland HAFON ont été très bien traités. Ils allaient à l’école et à la messe, passant pour des enfants adoptés. Aucune pension n’a jamais été demandée et la famille LAPEYRE a inlassablement témoigné attention et affection aux deux enfants juifs qu’ils ont sauvés.

A la fin de la guerre, M. HAFON père est venu chercher ses enfants mais depuis, les deux familles sont restées en relation (comme en témoigne par exemple une lettre du 3/1/89).


Antoinette Trieulet, dossier 11312 :

- "Aron LUKSENBERG et son épouse Chalda vivaient à Lodz, en Pologne. Dans les années 20, le climat devenant trop malsain pour les Juifs, ils décident de se rendre en Palestine. Ils s’y installent et y font de l’élevage de bovins.
Mais leur exploitation périclite et ils émigrent de nouveau. Cette fois-ci direction la France.

Avec leur 4 filles :
- Rivka (née en 1917),
- Adja (née en 1919),
- Zlata (en 1926) et
- Balfouria (en 1926),
ils habitent à Paris, avenue d’Italie. Le père ouvre un magasin de maroquinerie.

En 1942, la famille quitte Paris pour Pau, où se trouvent déjà Rivka et son mari. En 1943, Ajda se marie en 1943 avec David SVARTMAN.

La situation devenant préoccupante, Aron LUKSENBERG envisage de quitter Pau pour Grenoble. Entre-temps, il a fait la connaissance d’Antoinette TRIEULET, femme du maire, qui possède une grande ferme à Gaillon (Pyrénées). Elle a trois filles et un fils et elle exploite ses terres, venant vendre fruits et légumes à Pau.

Elle héberge Rivka, Ajda enceinte et leurs maris pendant 9 mois à partir de 1944, assurant leur subsistance, sans aucune compensation financière.
Antoinette TRIEULET a également hébergé Daniel JACOBS et ses parents ainsi que 7 autres familles juives, dont la trace est perdue.

Entre les LUKSENBERG et la famille TRIEULET les liens ont perduré après la guerre."

NB :

- Cette cérémonie a été préparée et menée à bien par Jean Claude Roos, délégué du Comité Français pour Yad Vashem.

P. 152. Mémoire des Justes à Fougerolles

Souvenirs des deux expositions complémentaires sur les Justes de France mais aussi sur les enfants juifs et leurs familles cachés dans le canton de Fougerolles.
A g. : Echo dans Ouest France et discours d'inauguration. A dr. : gros plans de panneaux.
(Mont. JEA / DR).

Fougerolles perpétue la mémoire des Justes du canton ainsi qu'en témoigne la pierre du souvenir élevée sur place par les juifs abrités dans ce coin de terre en Mayenne.
Ce mois de juin, une double exposition a été proposée au public dans l'ancienne mairie :

- 18 panneaux provenant du Mémorial de la Shoah à Paris et rappellent celles et ceux qui sont Justes parmi les Nations, le pourquoi et le comment de leur reconnaissance par Yad Vashem ;

- des documents, photos et témoignages rassemblés patiemment par l'Association "Mémoire et patrimoine de Fougerolles" et qui permettent de mieux comprendre le sauvetage de persécutés ayant trouvé leur salut en Mayenne.

Julien Belaud :

- "La commune a offert un refuge à 33 enfants. A côté, ils étaient 42. Soit plus de 80 dans tout le canton."
(Ouest France, 20 juin 2009).


Dévouements spontanés, engagements profonds : l'initiative prise à Fougerolles relève et participe d'un travail de mémoire toujours renouvelé, amplifié... (DR).

lundi 22 juin 2009

P. 151. Les 101 bougies d'un Juste parmi les Nations

Tout le Comité Français pour Yad Vashem
et ses sympathisants
allument 101 bougies
pour l'anniversaire de Maurice Arnoult

- Juste parmi les Nations -
né le 23 juin 1908...


Cordonnier émérite, Maurice Arnoult (Arch. CFYV / DR).

Enfant puis adolescent, la vie ne lui réserve pas de cadeaux. Sa mère est tôt emportée par la tuberculose. Le père ne revient pas des tranchées de 14-18. La santé de Maurice Arnoult se confirme de très grande fragilité. Il est privé de scolarité.

Et le voici à 101 ans. Décoré de la Légion d'Honneur car reconnu Juste parmi les Nations. Autodidacte, toujours fier artisan et modeste sauveteur d'un petit juif dont la famille fut emportée sans retour vers Auschwitz. Homme de coeur à gauche. Honnête homme...

Cette page, grâce à Maurice Arnoult, est exemplaire de ces Français qui ne courbèrent pas le dos devant le nazisme, qui ne marchèrent point au pas en chantant "Maréchal, nous voilà." Cette minorité de Français qui ne se complurent pas dans le fatalisme, qui ne hurlèrent pas avec les loups, qui ne profitèrent pas des malheurs accumulés par la guerre. Ces Français qui ne donnèrent pas la priorité à leur égoïsme mais préférèrent sauver la vie de persécutés en mettant en grand danger leur propre existence.

L'histoire de ce Juste est ainsi résumée par lui-même (1) :

- "Né le 23 juin 1908, le début du siècle disons, je suis venu au monde dans une famille non pas très pauvre mais qui le devient pendant la guerre de 14-18. Mes aïeux, des fermiers, de petits fermiers, avaient une terre en Seine-et-Marne depuis peut-être 400 ans car ma généalogie remonte à ce moment-là. De sorte que je vois la guerre (…). Nous attendions mon père qui avait été mobilisé mais il n’est pas revenu, ma mère meurt en 1916 donc ma grand mère me prend sous son aile jusqu’à l’âge de 13 ans.
(…)
La question avait été posée au niveau de la famille qu’est ce qu’on fait de ce gosse ? Alors il y a un démobilisé (…), il a dit j’ai ce qu’il faut pour lui, j’ai un ami à Paris qui est dans la chaussure (…). Alors voilà Maurice qui arrive à Paris - il a 13 ans, ne sachant ni lire ni écrire - chez un monsieur qui va lui apprendre le début, le tout début du métier qu’on appelle cordonnier. Cordonnier, ce ne veut pas dire réparer vos chaussures non, cordonnier ça veut dire « couardonnier » en vieux français : la personne qui sait faire des chaussures, en utilisant le cuir de Cordoue. Là je suis très pointilleux là-dessus. Je ne suis pas un colleur de talon ni de semelle, c’est comme si vous mélangiez vous confondiez un médecin, un professeur en médecine avec celui qui va faire votre lit : ça va pas ça, mais souvent, il se produit dans l’esprit des gens une déformation. Ca, ça ne me plaît pas.
(…)
Je m’étais donc établi deux ans avant la déclaration de guerre. J’avais embauché une jeune fille, une femme comme ça qui cherchait du travail, qui avait certainement mon âge : 31 ans, Alice (…). J’avais remarqué qu’on pouvait lui confier n’importe quoi, c’était fait avec intelligence, qu’on pouvait lui faire confiance, une personne droite (…).
Je devais partir le deuxième jour de la guerre, un petit commandement que j’avais dans l’armée de réserve, un peu d’instruction, un peu de galon et vous êtes les premiers."

Le Belleville que Maurice Arnoult découvrit à l'âge de 13 ans (DR).

Maurice Arnould :

- "Je me suis évadé. Je suis arrivé là, j’ai retrouvé Alice et la petite boîte marchait bien. C’était au début de 41 et c’est là que je l’ai regardé avec un autre oeil parce que c’est drôle je ne m’étais pas aperçu de ça mais elle est pas mal du tout cette jeune femme dans le fond (rire) (…). Enfin, bref, voilà la connaissance que j’ai fait d’Alice avec qui du reste, je ne me suis pas marié (2) mais je suis resté 60 ans avec elle." (1)

La suite se retrouve dans le dossier 6132 de Yad Vashem (résumé) :

- "En 1933, la famille Krolik, des réfugiés juifs de Pologne, s’installe à Paris. Le père, tailleur, avait un modeste atelier dans son appartement à Belleville. A l’été 42, la famille comptait trois enfants de plus. Tous les locataires { du 83 de la rue de Belleville } étaient étrangers à l’exception de Maurice Arnoult. Ce dernier avait quitté son village pour s’installer en ville. En 1937, ce bottier, fils de cordonnier, pour ses 29 ans, avait loué un atelier dans la cour du bâtiment.
C’est donc le seul Français de l’immeuble. Il vivait en excellents termes avec ses voisins qui faisaient appel à lui quand, par exemple, il fallait remplir des formulaires et autres papiers administratifs.
Maurice Arnould avait vu avec sympathie la famille Krolik s’agrandir.

Le mercredi 15 juillet 1942, Maurice Arnoult vint voir ses voisins, les Krolik, pour leur proposer de mettre les enfants en sûreté chez ses parents à Savigny-sur-Orge. Le soir même, ayant décousu l’étoile jaune, il conduisit un premier enfant, Joël, chez ses parents. Tous deux empruntèrent les transports en commun malgré les dangers des contrôles et des rafles.
Maurice Arnoult avait prévu de revenir le lendemain pour les autres enfants à mettre à l'abri loin de Belleville. Malheureusement, la grande rafle de Paris fut déclenchée à 4 h cette nuit-là. Les parents Krolik et leurs deux autres enfants furent arrêtés (3). Quand Maurice Arnoult rentra dans la matinée, il ne trouva plus personne. Ses parents s’occupèrent du petit Joël Krolik avec dévouement et ce, jusqu'à la libération." (4)

Souvenir très précis de Maurice Arnoult quand les parents Krolik se séparèrent volontairement de Joël :

- {Il y avait} "Papa, Maman Krolik, deux enfants en bas âge et deux autres plus âgés, c'est-à-dire Joël et sa sœur Rosette. Je l’appelle comme l’appelait son père il ne pouvait pas dire "Ro" : "Rasette", il appelait "Rasette" (…).
Enfin voilà : le père descend. "Là, je vais t’apporter Joël tout à l’heure" et il sort son porte monnaie. Il me donne 250 francs et je lui dis : « Non, tu peux en avoir besoin toi… ». C’était un homme qui travaillait 12 à 14 h par jour derrière une machine et sa femme à côté de lui, pas de lois sociales, pas de reconnaissance des patrons qui les exploitaient, qui leur donnaient le minimum, des heures et des heures , pas de chômage pour eux, des inconnus. Ca mérite respect ça !
Je lui ai dit : « Je ne veux pas de ton argent ». Et c’est là que ça me fait mal, là… Il se met à pleurer. Un homme de 40 ans qui pleure, ça fait drôle." (1)

Joël Krolic (5) auquel Maurice Arnoult retira son étoile avant de l'emmener loin des rafles parisiennes (DR).

NOTES :

(1) Retranscription d'extraits de son interview par Corynne Melloul, chargée de mission au Comité Français pour Yad Vashem. Travail mené à bien en partenariat avec Radio France et dans le cadre du projet « L’Allée des Justes » : premier corpus européen d’archives sonores sur les Justes. Quelques passages de cette interview sont proposés sur le site du Comité. Cliquer : ICI .
Corynne Melloul recueillit aussi les souvenirs de Maurice Arnoult pour le documentaire : Les Justes. Un film en partenariat avec INJAM Production, réalisation Nicolas Ribowski (2007).

(2) Maurice Arnoult fut brièvement marié avant guerre, son épouse étant emportée par la tuberculose.

(3) Habitant le 83 rue de Belleville, les Krolik ont été d'abord enfermés à Drancy. Le convoi 22 du 21 août 1942 les déporta vers Auschwitz.

(4) Paul (son père) et Fernande Arnoult ont été reconnus comme Justes parmi les Nations pour avoir pris le relais de Maurice.

(5) Une version pour les jeunes de l'histoire de Joël Krolik a été soutenue par la Fondation pour la Mémoire de la Shoah. Lire : Béatrice Guthart, Histoires Vraies, Les Justes, Fleurus Presse, novembre 2006, n° 156.

mercredi 17 juin 2009

P. 150. 1500 jeunes juives sauvées à Abstadt dans les Sudètes

Invitation à la cérémonie du 15 juin 2009 (Doc. Didier Cerf).

Pierre Nicolini et
Georges Pierrot
Justes parmi les Nations
honorés à Sarreguemines.

La page 107 de ce blog était entièrement consacrée à la figure de Pierre Nicolini. Le 12 février dernier, il devait recevoir son Diplôme et sa Médaille de Juste lors d'une belle et brillante cérémonie organisée à la Mairie du XIe arrondissement de Paris par Madeleine Feltin-Meyer et par Viviane Saül, toutes deux déléguées du Comité Français pour Yad Vashem.
Empêché, le récipiendaire vient de recevoir en mains propres les marques de sa reconnaissance par l'Institut Yad Vashem. A cette cérémonie fut également associé un autre Lorrain, Georges Pierrot. Ce dernier empêcha lui aussi le massacre de 1.500 jeunes femmes, survivantes du ghetto de Lodz (Pologne) et mises au travail forcé à Abstadt (Sudètes).

Dossier de Yad Vashem :

- "Le récit qui va suivre est une immersion au cœur même de la barbarie nazie.
Cela se passait en Pologne en octobre 1944. Les derniers survivants du ghetto de Lodz, où régnaient la faim, la maladie, et la misère, étaient transférés à Auschwitz. Un groupe de jeunes filles, de 16 à 18 ans, fut envoyé à Abstadt dans les Sudètes, pour travailler à l’usine Messap, qui fabriquait des bombes à retardement. Leurs conditions de vie étaient inhumaines. Logées à même l’usine, affamées et maltraitées, elles se savaient condamnées à brève échéance dans ce camp de travail forcé.
Ruth Eldar est l’une des 1500 jeunes filles qui subissaient ce traitement infernal, surveillées par des gardiennes SS dont la responsable était particulièrement cruelle. Elle se souvient que dans cette usine travaillaient également des prisonniers politiques français venus de Lorraine. Ceux-ci étaient logés avec leur famille à l’extérieur du camp et recevaient plus de nourriture, mais il leur était interdit de donner quoi que ce soit aux détenues juives."

Pierre Nicolini (Doc. Viviane Saül / DR 1).

- "Cette interdiction fut transgressée à maintes reprises. Ruth Eldar se souvient que Pierre Nicolini et 14 autres Lorrains glissaient une partie de leur maigre ration de pain dans les tiroirs des jeunes filles, risquant de féroces représailles. Un jour, ce fut une même pluie de bonbons lancés par la fenêtre. De plus, ils s’arrangeaient pour informer les jeunes filles de l’avance des troupes alliées. Ce soutien moral était aussi important que la nourriture. Au mépris du danger, les prisonniers n’hésitaient pas à saboter les machines pour ralentir la production, prolongeant le temps nécessaire pour les réparer.
Survient la bataille de Stalingrad où les allemands sont battus. Enragés devant cet évènement, les SS décident en représailles de ne donner aucune nourriture durant 3 jours aux femmes détenues qui tombent évanouies les unes après les autres devant leur machine. Elles sont alors traînées par terre et jetées dans un autre local.
Les prisonniers ne supportent pas ces atrocités. Risquant leur vie, ils se mettent en grève. Les SS veulent les abattre, mais le chef de l’usine, qui n’est pas un nazi, leur démontre que si les ouvriers sont abattus, il ne reste plus qu’à fermer l’usine.
Finalement, ces héros obtiennent gain de cause. Les prisonnières sont nourries, et les hommes acceptent de reprendre le travail, après cette victoire extraordinaire.
Ruth et ses compagnes leur vouent une immense gratitude.
En mai 1945, l’arrivée des troupes soviétiques est imminente, mais les nazis continuent à sévir. Avant de s’enfuir, ils décident de faire sauter l’usine avec ces 1500 prisonnières. Ils verrouillent les portes et placent des cartouches de dynamite. C’est alors que les Français et le Directeur de l’usine, n’écoutant que leur courage, entreprennent de sauver les malheureuses.
Ils parviennent à découvrir et à éteindre les mèches enflammées par les SS, et à forcer les portes, libérant enfin les prisonnières.
Ruth et ses compagnes n’ont jamais oublié l’héroïsme de ces 15 Français et de Pierre Nicolini qui était l’âme de leur groupe, ainsi que cet industriel allemand au grand cœur. 1500 jeunes femmes leur doivent la vie."

Dans son numéro d'Avril-Mai 2009, N°30, p. 4, Yad Vashem, Le Lien Francophone, publie un article complet sur Pierre Nicolini. Avec en conclusion cette lettre du Juste Lorrain au Président de Yad Vashem, Avner Shalev :

- "De savoir que mon nom sera gravé dans le jardin des Justes, sur le site de Yad Vashem à Jérusalem, est pour moi un immense bonheur (…). A travers cette remise de médaille, comme pour la cérémonie des Justes au Panthéon à Paris en janvier 2007, Israël montre que son peuple a la mémoire longue et prouve qu’évoquer le passé permet de mieux préparer l’avenir."

Yad Vashem, Le Lien Francophone, Avril-Mai 2009, N°30, p. 4 (DR).

Au nombre des prisonniers politiques français évoqués dans le dossier de Yad Vashem, figure Georges Pierrot. Malheureusement décédé en 1995, il n'aura pas connu l'immense gratitude concrétisée par sa reconnaissance comme Juste parmi les Nations.

Délégué du Comité Français pour Yad Vashem, Didier Cerf remit Diplôme et Médaille à la veuve du défunt, Angèle Pierrot.

NOTE :

(1) Pour rappel : ce portrait, comme tant d'autres documents de ce blog, a ses droits réservés (DR). Cette photo a été remise pour publication par Viviane Saül, Déléguée du Comité Français. Lors de la confection de cette page, le cliché original a été recadré et transposé en noir et blanc.

Si les mots ont encore un sens, les droits réservés impliquent au minimum de ne pas la reproduire sans au moins citer la source (ce blog) à défaut d'en demander l'autorisation préalable ce qui serait la démarche attendue en l'espèce.

lundi 15 juin 2009

P. 149. 12 Justes ont sauvé la famille Sajovic à Coulounieix

En bas à g. : Paulette Claude recevant son Diplôme de Juste parmi les Nations. En haut à dr. : Jean-Pierre Roussarie, maire de Coulounieix. (Montage JEA / DR).

A Coulounieix ce 14 juin 2009,
Cérémonie exceptionnelle par le nombre de Justes reconnus ensemble pour un même acte d'héroïsme en faveur de juifs persécutés.

Reportage par Alain Bernard :

- «Je suis fier et ému», a déclaré hier à la mairie de Coulounieix-Chamiers Kenny Jean-Marie, directeur de cabinet de la préfète, résumant un sentiment général : "c'est dans la France profonde qu'a été sauvé l'honneur de celle de Vichy. Celle qui, hélas, alla au-devant des exigences allemandes pour livrer à la mort 76 000 juifs français, dont 11 000 enfants (sur 6 millions de juifs massacrés, dont 1,5 million de petits)."

À Coulounieix-Chamiers, non moins de 12 Justes ont été à l'honneur :
- Hélène Ségurel-Bissou,
- Louise et Jean-Bernard Bissou,
- Léontine et Louis Chamon,
- Joséphine, Joseph et Marcel Dalesme,
- Louis et François Doche,
- Jean Ripoche,
- Paulette Claude.

- "Cette dernière, octogénaire vive et enjouée, était la seule médaillée et diplômée vivante (les autres l'étant à titre posthume) de cette cérémonie voulue par l'Institut Yad Vashem qui, à Jérusalem, grave dans le marbre le nom de ceux qui, « en sauvant une vie, ont sauvé l'humanité ». Comité représenté hier par Albert Seifer et Nathan Holchaker.

En l'occurrence, il s'est agi, comme le rappela le maire Jean-Pierre Roussarie en présence du consul d'Israël à Marseille Sivan Chemouel, du grand rabbin de Bordeaux Claude Maman et des parlementaires Pascal Deguilhem et Claude Bérit-Debat, de cacher au nez et à la barbe des occupants la famille Sajovic traquée.
Ces réfugiés juifs d'Alsace d'origine tchèque, repliés en Périgord, furent soustraits aux rafles par leurs voisins périgourdins, cachés dans des granges, des bois voire des latrines, et aidés clandestinement à la mairie.

Parmi les témoignages, on entendit ceux, dignes et reconnaissants, de trois des filles Sajovic, Esther, Hélène et Blanche, et de deux des trois garçons, Élie et Marcel (les autres enfants, Fernand et Jeannette, habitent l'Australie !).
Les petits-enfants étaient là aussi. L'un d'eux, Bernard, souhaitant qu'un jour Périgueux signale plus explicitement l'ancienne synagogue de la rue Thiers.

Bien des larmes ont été écrasées, des yeux se sont humectés. Après les hymnes israélien et français, allusion fut faite à l'orchestre israélo-arabe de Daniel Barenboïm, symbole de tant d'espoirs."
(Sud Ouest, 15 juin 2009).

Dr Natan Holcaker, délégué du Comité Français pour Yad Vashem :

- "A Couloumieix-Chamiers nous étions dans la proche banlieue d'une grande ville préfecture de la Dordogne, Périgueux.
Cette manifestation avait un caractère officiel grâce à la présence d'un représentant du préfet, Mr Kenny Jean-Marie, Directeur de cabinet de Mme Béatrice Abolevier, Préfète de Dordogne. Mr Kenny prononça un discours plein de sensibilité qui fit résonnance en chacun.
Le nombre exceptionnel de remises de médailles de Justes signait l'implication de tout un village dans les sauvetages de familles juives.
Cette même densité donnait aussi un caractère de kermesse de village dans la joie de retrouvailles ou de reconnaissance des familles qui avaient maintenu et/ou tissé des liens depuis cette période tragique.
Parmi les personnalités il fallait noter aussi la présence de :
- Mr Claude Berit-Debat, Sénateur de Dordogne,
- Mr Bernard Cazeau, Président du Conseil Général de la Dordogne,
- Mr Jean-Pierre Roussarie, Maire de Coulounieix-Chamiers.
- Mr Claude Maman, Grand-Rabbin de Bordeaux.
Cette cérémonie très animée, en présence d'une unique survivante : Paulette Granger Claude, s'est achevée par les chants de l'Hatikva et de la Marseillaise a capella, entonnés par l'ensemble de l'assistance."

P. 148. Les Justes de Vaylats, de St-Mamert et d'Excideuil


Vaylats (Montage JEA / DR).

Ce 12 juin 2009, le Diplôme d'Honneur de Juste parmi les Nations a été remis - à titre posthume - à Lucie Nonorgues. En religion soeur Emilia, elle vécut sa vocation au couvent de Vaylats.

De 1942 à 1944, cette religieuse a protégé de la Shoah Denise Kandel et Jean-Claude Bystrin. Après guerre, ces deux enfants cachés ont émigré vers les Etats-Unis. Ils y décrochèrent chacun, et très brillamment, un doctorat respectivement en sociologie et en dermatologie. Ce sont leurs démarches et le dossier constitué grâce à leurs soins qui ont abouti cette cérémonie de Vaylats.

Synthèse du dossier Yad Vashem :

- "Lucie Nonorgues, sœur Émilia en religion, fut la Supérieure de l'Institut Sainte-Jeanne d'Arc à Cahors.
Tandis que Denise Bystryn est la fille d’Iser Bystryn et de Sara Wolsky. Elle est née à Paris le 27 février, 1933 et son jeune frère, Jean-Claude, le 8 mai 1938.
Né le 12 décembre 1901 à Drohiczyn, Iser avait immigré en France au milieu des années 1920 pour étudier à l'Université de Caen. Bien qu'il ait souhaité être rabbin, il suivit des études d’ingénieur en mécanique. Avant la guerre, il était le chef mécanicien dans une usine de fabrication de camions.
Sara, son épouse, née à Brest-Litovsk le 18 décembre 1906, vint à Paris à la fin des années 1920 pour étudier l’artisanat des chapeaux et des corsets.
Sara et Iser se sont mariés en 1930.

Avant la guerre, la famille vivait à Colombes, en banlieue parisienne. Denise était inscrite en primaire à l'école des Filles.
Survient la guerre. Le 14 mai 1941, Iser Bystryn est arrêté lors des premières rafles des Juifs étrangers et emmené au camp de Beaune-la-Rolande.
Denise, Jean-Claude et leur mère Sara restent à Colombes et se rendent au camp de Beaune-la-Rolande une fois par mois pour y voir Iser. Sara communiquait aussi avec son mari par courrier et lui envoyait des paquets. L'un d'entre eux contenait un gâteau avec... un plan d'évasion.
Puis, des policiers français viennent à l’appartement de Colombes et conseillent à Sara de partir. Elle comprend aussitôt qu’Iser s’est échappé du camp de Beaune-la-Rolande et la maman prend la fuite la nuit-même avec ses enfants.
Tous trois arrivent à rejoindre le Lot puis s'installent à Cahors. Iser les y rejoindra.

Atteint par un ulcère, Iser est hospitalisé pendant six semaines. Le médecin qui le soigne est un résistant. Sachant que son patient est juif, il le garde à l'hôpital plus longtemps que nécessaire pour le protéger. En parallèle, il fait placer les enfants, Denise et Jean-Claude, dans un couvent.
C'est une jeune (19 ans) enseignante à l'Institution Sainte-Jeanne d'Arc de Cahors, Yvonne Féraud, qui fait admettre les deux gosses par la Supérieure, Lucie Nonorgues (Sœur Émilia).
Denise Bystryn, qui a 10 ans, restera au couvent jusqu'en avril 1944 sous son vrai nom de Bystryn (sans que jamais les religieuses ne cherchent à la convertir). Elle verra la fin de l'occupation à Palaminy-sur-Cazères auprès de Gabriel et de Maria Féraud.
Jean-Claude, qui a quatre ans à l'époque, ne peut passer la nuit dans ce couvent parce que c'est... un garçon. En 1943, Alfred et Louise Aymard l'accueillent à Escamps. Il y restera à l’abri jusqu’à la fin de la guerre.

Tous ont survécu à la Shoah.
Iser vécut de cache en cche d’endroits, jusqu’à se fixer dans une ferme où il fabriqua de faux papiers pour d'autres juifs persécutés.
Sara connut elle aussi une vie sans sécurité, y compris dans les bois.
En 1949, la famille reconstituée émigra vers les États-Unis. Denise décrocha un Doctorat en médecine de l’Université de Colombia et épousa en 1956 Éric Kandel, futur prix Nobel de médecine en 2000."


Depuis le 14 juin,
Saint-Mamert, plus petite commune du Rhône,
compte deux Justes :
Louis et Léa Petit.

Ph. 1 : Accueil du Maire de St-Mamert, Pierre Thillet.
De g. à dr. : Daniel Saada, représentant l'Ambassade d'Israël; Bernard Perrut, député maire du Rhône; Annie Karo, déléguée du Comité Français pour Yad Vashem; Pierre Thillet, maire et président de la Communauté des Communes du Haut Beaujolais. (Doc. CFYV / DR).

Unique dans les annales du village, cette cérémonie s’est déroulée dans la salle communale de St- Mamert, la plus petite commune du Rhône avec 66 habitants. Bien plus de 80 personnes se sont rassemblées pour partager ce moment si exceptionnel.

Dans son message délivré au nom du Comité Français pour Yad Vashem, Annie Karo a retracé les circonstances qui ont conduit à honorer les époux Petit. Leur fille, Irène Karayan-Petit était revenue des Etats-Unis pour recevoir à titre posthume les Médailles et les Diplômes de ses parents.

Annie Karo :

- "L’implantation en France de la famille Levy de Souza remonte à plusieurs siècles mais ayant dû quitter l’Alsace après son annexion par l’Allemagne en 1871, un aïeul s’expatria au Brésil où le patronyme de Levy fut complété par « de Souza »
Revenu en France, il garda l’intégralité du nom.
En 1939, Albert et Simone Levy de Souza habitent à Paris avec leurs 2 enfants Bertrand et Olivier respectivement âgés de 11 ans et 7 ans.
Albert Lévy de Souza dirige l’entreprise familiale de textiles à Paris, rue d’Aboukir.


A la déclaration de la guerre la famille fuit Paris, et après un certain nombre de déplacements elle s’installe en juillet 1941 dans sa maison de campagne près de Montargis dans le Loiret, où Bertrand et Olivier vont à l’école sous le nom de Souza.
Tandis que l’entreprise familiale est mise sous la coupe d’un administrateur désigné par Vichy.
Mais début 1942, la situation se dégrade : la chasse aux juifs a commencé en zone occupée.
Prévenue d’une menace d’arrestation, la famille de Souza gagne la zone libre cachée dans un camion de marchandises.
Ils louent une maison dans la proche banlieue de Lyon, à Oullins.
De très bonnes relations se nouent avec les propriétaires M et Mme Colet, et, en 1943 lorsque les menaces s’aggravent encore pour les juifs, ce sont eux qui adressent Albert de Souza et sa famille à Louis et Léa Petit à Saint Mamert.


Louis et Léa Petit sont agriculteurs, âgés d’une quarantaine d'années, ils sont les parents de Roger 18 ans, et d’Irène 5 ans, et abritent déjà une petite réfugiée de 3 ans Elise (dont la trace n’a pas été retrouvée).
Ils accueillent chaleureusement Albert et Simone et leurs 2 fils.
Ils mettent à leur disposition une grande pièce vide dans l’enceinte de la ferme loin de tout passage et leur fournissent gracieusement le matériel de la vie courante.
Les Petit savent qu’ils hébergent une famille juive et risquent une dénonciation, d’autant que dans les alentours vivent des collaborateurs et des miliciens.
La vie s’organise dans la plus grande discrétion : Bertrand ,Olivier et leur père aident aux travaux des champs et souvent le soir les familles se retrouvent."

Ph. 2 : A la mi-guerre, les Petit et les Levy de Souza aux foins.
De g. à dr. en avant-plan : Simone Levy de Souza, Roget Petit, Olivier Levy de Souza, Léa Petit, Irène Petit, Bertrand Levy de Souza. (doc. CFYV / DR).

- "Grâce à l’aide et à la protection de Louis et Léa Petit, la famille de Souza ne sera pas inquiétée. Cette « vie paisible », comme la qualifie Olivier de Souza dans son témoignage, durera jusqu’en septembre 1944.
Après la guerre, cette belle et solide amitié s’est poursuivie entre les 2 familles. Et même si Irène Karayan habite maintenant aux Etats Unis, la distance n’a pas réduit les liens qui unissent les 2 familles comme le prouve aujourd’hui, la présence auprès d’elle de toute la famille de Souza :
- Bertrand de Souza, accompagné de son fils Didier et de sa petite fille Dana et qui ont fait tout spécialement le déplacement d’Israël ;
- Olivier et Jacqueline de Souza entourés de leurs 4 enfants Martine, Thierry, Pascal et Jérôme et de leur petite fille Camille.
Merci à tous d’être là pour partager ce moment d’émotion et de mémoire.
Louis et Léa Petit connaissaient parfaitement les risques qu’ils encouraient en aidant une famille juive mais ils n’ont écouté que leur conscience
Leur générosité, leur action courageuse et désintéressée ont permis à la famille de Souza d’échapper à la barbarie nazie et à la déportation dans les camps de la mort."

Ph. 3 : Louis, Irène, Léa et Roger Petit en 1956. (Doc CFYV / DR).

- "Ils sont dans cette période obscure une lueur de réconfort et d’espoir
En dépit du danger pour eux-mêmes et leur famille, ils ont refusé la logique de l’inhumanité et incarnent les valeurs auxquels nous sommes attachés : solidarité, compassion, générosité, courage de refuser l’inacceptable.
L’hommage qui leur est rendu aujourd’hui, revêt aussi une signification éducative et morale,
En cette période où l’antisémitisme, le racisme, la barbarie et l’inhumanité poursuivent leur oeuvre et tentent de déstabiliser la société, leurs actions prouvent que l’on peut et que l’on doit refuser l’inacceptable.
Que leur action soit un exemple pour les générations futures !

L’Institut Yad Vashem de Jérusalem a décerné le titre de Justes parmi les Nations à Louis et Léa Petit, leurs noms seront gravés sur le Mur d’Honneur des Justes à Jérusalem et sur celui du Mémorial de la Shoah à Paris.
(s) Annie Karo, Déléguée régionale."

Ph. 4 : Représentant de l'Ambassade d'Israël, Daniel Saada remet à Irène Karayan-Petit les précieux documents de reconnaissance de ses parents. (Doc CFYV / DR).

Ph. 5 : Irène Karayan-Petit fleurie par les enfants de l'école de St-Mamert. (Doc. CFYV / DR).

Ph. 6 : un des souvenirs les plus émouvants, les enfants Petit et Levy de Souza encore et toujours réunis.
De g. à dr. : Annie Karo, déléguée; Olivier de Souza; Irène Karayan-Petit; Bertrand de Souza (venu, lui d'Israël). (Doc. CFYV / DR).

Tous nos remerciements à la déléguée du Comitié Français pour Yad Vashem, Annie Karo qui a non seulement veillé à donner un lustre exceptionnel à cette cérémonie mais a veillé à enrichir cette page du blog avec une documentation complète.


Excideuil veille tout particulièrement sur la mémoire d'Albert Faurel, Juste parmi les Nations.

- "Depuis plusieurs années, l’Amicale des Anciens Elèves de la Cité Scolaire militait pour la reconnaissance d’Albert Faurel (1896– 1967), Directeur de l’École Primaire Supérieure (E.P.S.) et du Collège d’Excideuil de 1937 à 1956, en tant que « Juste parmi les Nations » pour avoir, avec courage et à ses risques et périls, sauvé de nombreux élèves juifs pourchassées pendant l’Occupation.
Ces efforts ont enfin abouti et Albert Faurel a été reconnu, à titre posthume le 10 mai 2009, « Juste parmi les Nations » par Yad Vashem.

Un diplôme et une médaille ont été remis à sa descendance lors d’une cérémonie officielle le dimanche 14 juin, à la Mairie, en présence de nombreuses personnalités et des représentants de l’Etat d’Israël ainsi que du Comité Français pour Yad Vashem.


Suite à cette reconnaissance officielle, l’Amicale a décidé d’honorer Albert Faurel lors de sa prochaine assemblée générale prévue pour le dimanche 27 septembre, par la pose d’une plaque commémorative afin que perdure son souvenir.

Le conseil municipal devrait attribuer, à cette date, l’appellation de « Square Albert Faurel » au passage d'accès à la Mairie et autres parties administratives ainsi que le parking arboré.
Ce square, à sa naissance, aura déjà un passé car il s’agit de la cour de récréation de l’E.P.S. et Collège, mais comprendra également une des façades, donnant sur le square, qui abritait les bureaux et l’appartement de fonction directorial."

(Sources : site municipal, Amicale des anciens élèves de la cité scolaire).

Portrait d'Albert Faurel, Juste parmi les Nations (DR).
 

mardi 9 juin 2009

P. 147. "Juste risquer sa vie"

Françaises Justes parmi les Nations (Montage JEA / DR).

Irena Steinfeldt,
Directrice du Département des Justes parmi les Nations à Jérusalem :

- "Quand Yad Vashem a été créé pour entretenir le souvenir des six millions de Juifs assassinés pendant la Shoah, la Knesset a ajouté une tâche à la mission de l'Autorité du Souvenir de la Shoah : honorer les Justes parmi les Nations, ces non-Juifs qui ont pris des risques considérables pour sauver des Juifs. Il s'agit-là d'une tentative sans précédent, de la part des victimes d'une catastrophe unique, de singulariser, parmi des nations entières de coupables, de collaborateurs et d'indifférents, les individus qui ont lutté contre le courant.

Aujourd'hui, une seconde dimension s'y est ajoutée. Dans un monde où Auschwitz est redevenu possible, le peuple juif et les survivants ont eu besoin de garder un espoir en l'humanité, un point d'ancrage qui leur permette de ne pas désespérer des valeurs humaines et de se reconstruire après avoir assisté à un effondrement moral sans précédent."



Français Justes parmi les Nations (Montage JEA / DR).

- "Pendant la Shoah, l'immense majorité a regardé ses voisins se faire arrêter et tuer. Certains ont collaboré avec les bourreaux, d'autres ont tiré profit de l'expropriation des Juifs. Seule une infime minorité a estimé qu'il était de leur devoir d'agir. L'assistance aux Juifs a pris de multiples formes et exigé divers degrés d'engagement et de sacrifices. Parmi les formes d'aide que décrivent les survivants dans leurs témoignages, figurent des manifestations de compassion, la sauvegarde de liens sociaux avec les proscrits, les encouragements moraux, le don de nourriture ou d'argent, l'hébergement, le fait de prévenir de vagues d'arrestations, des conseils sur de meilleures cachettes, etc. Si ces actions généreuses se révélaient souvent déterminantes pour la survie de Juifs, le règlement de Yad Vashem se fonde néanmoins sur des critères plus restrictifs. Et définit le Juste comme celui "qui a sauvé des Juifs au péril de sa vie".
A savoir, des individus qui ne se sont pas contentés d'aider des Juifs, mais ont été prêts à abandonner leur confort, à payer le prix de leurs convictions en allant jusqu'à partager le sort des victimes ; des individus qui sentaient que ce crime sans précédent exigeait une attitude hors du commun et que, face au Mal suprême, la compassion ne suffisait pas ; des individus qui estimaient que la situation imposait de faire davantage que ce qui était juste et qu'on ne pouvait plus faire passer sa propre sécurité avant le reste."


(Montage JEA / DR).

- "La Commission de désignation des Justes se trouve confrontée à une difficulté de taille : tracer une ligne bien nette sur un spectre de situations et de comportements humains fait de multiples facettes. Ainsi, lorsque la Commission a été établie, en 1962, ses pères fondateurs ont-ils compris, sans doute, que cette nouvelle structure aurait des questions très complexes à résoudre. Ce qui les a incités à prévoir, à sa tête, un juge de la Cour suprême. Au cours de ses 47 années d'existence, la Commission a ainsi pu observer une très stricte indépendance sous ses présidences successives."

(Montage JEA / DR).

- "Avant de passer devant la Commission, chaque dossier est constitué avec soin. La Commission entreprend ensuite de le réexaminer, afin de déterminer si le sauvetage en question impliquait des risques et répondait aux autres critères retenus au fil des ans. Telle a donc été la procédure suivie pour le dossier de Khaled Abdelwahhab, citoyen tunisien, soumis à la décision de la Commission.
Selon les témoignages recueillis, Abdelwahhab a hébergé deux larges familles, les Boukris et les Ouzzan, dans sa propriété pendant l'occupation allemande en Tunisie. Annie Boukris évoque sa gentillesse et la précieuse protection qu'il a offerte à sa famille en l'installant dans sa ferme quand la maison des Boukris a été réquisitionnée et la famille expédiée sans ménagement dans une fabrique d'huile. Un geste très généreux de la part d'Abdelwahhab, qui a pris cette famille juive en pitié et lui a offert l'hospitalité.
Une étude plus approfondie révèle cependant que, aussi admirable qu'ait été cette action, Abdelwahhab n'a enfreint aucune loi en agissant ainsi et que les Allemands n'ignoraient en rien la présence de Juifs dans la ferme. Selon Annie Boukris, les hommes de sa famille poursuivaient leur service de travaux forcés sous supervision allemande et, le jeudi, pour préparer le Shabbat, toute la famille rejoignait les autres Juifs de Mahdia, chassés de la ville et regroupés dans une ferme de Sidi Alouan située non loin de chez Abdelwahhab.
Edmee Masliah (née Ouzzan), le second témoin, a gardé des souvenirs très nets de cette période. Elle décrit Abdelwahhab comme un homme noble et généreux, qui a soutenu sa famille quand on l'a privée de ses droits et de ses biens. Comme Annie Boukris, elle relate les peurs et les difficultés pendant l'occupation allemande, mais explique aussi que, de temps à autre, les Allemands faisaient irruption dans la propriété d'Abdelwahhab pour vérifier qu'aucun Juif ne manquait. Elle se souvient qu'en les voyant approcher, ils s'empressaient de mettre leur étoile jaune et attendaient l'appel.

Verdict : absence de risques !"

(Montage JEA / DR).

- "Le tableau qui se dégage de ces témoignages correspond à la réalité historique. Dès lors, la Commission de Désignation des Justes fait remarquer que le risque encouru en portant secours à des Juifs était variable d'un lieu à l'autre et d'une période à l'autre. En Europe de l'Est, les Allemands exécutaient la personne qui prenait la responsabilité de protéger des Juifs, ainsi que toute sa famille. La punition se révélait moins sévère en Europe occidentale, même si, là aussi, cacher des Juifs pouvait avoir de terribles conséquences : certains de ceux qui l'ont fait ont été arrêtés et exécutés. Si l'occupation allemande avait duré plus longtemps, les Juifs de Tunisie auraient sans doute partagé le sort de leurs frères d'Europe. Walter Rauff fut d'ailleurs envoyé en Afrique du Nord pour y organiser la Solution finale, mais l'occupation allemande n'ayant duré que six mois, son programme d'extermination n'est jamais entré en vigueur.
Aucune loi ni aucun règlement n'a non plus interdit à Abdelwahhab d'héberger des Juifs chez lui. Même s'il a été, de toute évidence, l'un des rares individus à manifester grandeur d'âme et générosité en son temps, la Commission a conclu qu'en l'absence d'éléments de risque, il n'était pas éligible au titre de Juste parmi les Nations.Cette décision reflète l'engagement de la Commission à se prononcer en dehors de tout préjugé et sans céder à des pressions ou considérations extérieures. Devons-nous pour autant clore l'affaire et l'oublier ? Ce n'est en aucun cas l'intention de Yad Vashem. Les émouvants témoignages recueillis sur la solidarité manifestée par cet estimable Tunisien méritent notre plus profonde considération. Cet épisode ne doit pas tomber dans l'oubli et il inspirera certainement des individus à travers le monde. Yad Vashem prend à cœur la préservation et la transmission de souvenirs comme celui-ci et continuera à rechercher les quelques rares moments d'humanité qui ont éclairé, çà et là, les ténèbres de la Shoah."


(S) Irena Steinfeldt,
Directrice du Département des Justes parmi les Nations à Jérusalem.

Article publié dans le Jerusalem Post du 25 mai 2009.

jeudi 4 juin 2009

P. 146. A eux seuls, les époux Baccary et leur fille ont sauvé 10 enfants.

Clémence et André Baccary, Justes parmi les Nations (Arch. Nicole Ballais, leur petite-fille / DR).

"Nous enfants cachés...
n'oublions ni la mort des enfants juifs,
ni la souffrance que nous avons vécue,
mais nous gardons à jamais en mémoire
le bien qui nous été prodigué
par des femmes et des hommes
tels que les époux Baccary."
AMEJD 10e

Le 26 mai 2009, a été inaugurée cette plaque destinée au hall d'entrée de l'Ecole de la rue Martel (10e Arrondissement) :

"Monsieur l'instituteur, les enfants juifs ne vous oublieront jamais" (Photo : Arch. Nicole Ballais / DR).

L'Association pour la mémoire des enfants juifs déportés du 10e Arrondissement a porté l'initiative de cette plaque :

- "Mr André Baccary a été instituteur à l'Ecole de la rue Martel, dans le 10e Arrondissement, de 1933 à 1947. Mobilisé pendant la Guerre de 14-18, son courage lui a valu la Croix de Guerre.

En 1936, pour permettre à des enfants de la capitale de partir parfois au grand air, il a créé, à Montigny-le-Gannelon, sa commune d'origine, une colonie de vacances.
Au cours de la 2de Guerre mondiale, avec sa femme, il a utilisé cette "colonie de vacances" pour cacher 10 élèves juifs de l'Ecole de la rue Martel.

Pour cette action, et à la demande de 7 survivants des enfants qu'il a cachés, la médaille de Juste parmi les Nations lui a été attribuée à titre posthume (1) le 16 novembre 2008, et remise à sa fille (2).
En son honneur, l'Association pour la mémoire des enfants juifs déportés du 10e Arrondissement, a obtenu qu'une plaque soit apposée dans le hall d'entrée de cette Ecole.

Nous, enfants cachés, survivants de la Shoah, n'oublions ni la mort des enfants juifs, ni la souffrance que nous avons vécue, mais nous gardons à jamais en mémoire le bien qui nous a été prodigué par des femmes et des hommes tels que les époux Baccary."

Discours de Bruno Baccary devant le Président de l'Association pour la mémoire des enfants juifs déportés du 10e Ar.-AMEJD (Photo : Arch. Nicole Ballais / DR).

Le 8 mai 2009, une autre plaque avait été dévoilée à Montigny-le-Gannelon pour y perpétuer cette "colonie de vacances" qui, en vérité, camoufla le sauvetage (lucide et courageux) de 10 gosses persécutés parce que juifs :

- "A la mémoire de la famille d'André BACCARY.

Au numéro 11 de cette rue, fut créée en 1935, à l'initiative d'André BACCARY, instituteur
socialiste, une colonie de vacances réservée aux élèves de l'école MARTEL
du Xème arrondissement de Paris.
A l'école, l'instituteur est connu pour son dévouement et sa droiture.
Sous l'occupation allemande, il organise la protection des enfants Juifs."

(Photo : Arch. Nicole Ballais / DR).

- "Début 1943, aidé de sa femme Clémence et de leur fille Yvonne, André BACCARY cache
ici 10 enfants Juifs.
Henri BRONES - Pierre CANETTI - Roger FRIEDMANN
Albert, Henri et Renée OSYNSKY - Henri PECHTER
Edith, Renée et Roger ZAVARO.
Ils reçurent l'aide de l'institutrice et secrétaire de Mairie de Montigny, Mme VERON.
Grâce au respect dont jouissait André BACCARY dans le village, aucune dénonciation
n'eut lieu et tous les enfants furent sauvés.
Pour ces actes au péril de leur vie, André et Clémence, à titre posthume, et
Yvonne Baccary reçurent le Dimanche 16 novembre 2008,
la médaille des Justes parmi les Nations."

A Montigny-le-Gannelon, ils échappèrent à la Shoah (Photo : Arch. Nicole Ballais).

Le même jour, la Légion d'Honneur a été remise officiellement à Yvonne Baccary en sa qualité de Juste parmi les Nations.
Le discours complet prononcé alors par Mme Margot Thieux est consultable sur la page 138 de ce blog. Cet extrait le résume :

- "Avec Clémence votre Maman, André-Alexandre votre Papa, votre parenté, vous avez Madame Yvonne Guillaume Baccary, sauvé des vies de la déportation, de l’extermination quasi-certaine par une politique officielle s’alignant sur les exigences de l’autorité d’occupation. La propagande de l’appareil d’épouvante nazi n’a pas anesthésié les initiatives de tolérance contraires à cette politique de nouvelles lois raciales. Ceux qui ont choisi de ne pas obéir à la législation imposée de ces années de tourmente ont gardé leur équilibre humain et social en protégeant les pourchassés sans recherche d'avantages d'ordre matériel ou autre, aux heures de terreur les plus inquiétantes de l’histoire récente. Madame Yvonne Guillaume Baccary votre vie personnelle et professionnelle, celles de vos chers parents, de feu votre mari, incarnent les valeurs qui fondent la Nation et la République."

De g. à dr. : Yvonne Baccary et Margot Thieux (Photo : Arch. Nicole Ballais).

NOTES :

(1) Lire les pages 86 et 138 et de ce blog.
(2) Non seulement André Baccary a-t-il été reconnu comme Juste parmi les Nations mais également son épouse Clémence et leur fille Yvonne.
(3) Nos remerciements à Nicole Ballais qui a permis d'illustrer la présente page.