lundi 31 mai 2010

P. 232. Le Journal de Petr Ginz


Petr Ginz,
Journal (1941-1942),
Seuil, 2010, 184 p.

Ecrits d'un adolescent tchèque
avant Auschwitz...

4e de couverture :

- "Prague, 1941. Petr Ginz, un adolescent juif âgé de quatorze ans, entame un journal. Celui-ci, avec ses références sobres et concises, ponctuées de poèmes et de dessins, reflète un insatiable appétit de connaissances et de lectures et atteste de dons littéraires et artistiques très sûrs.
Avant tout, il capte avec une ironie et un sens aigu de l’absurde la texture de plus en plus précaire de la vie quotidienne, la tension palpable, la peur du « transport à l’Est ». Et il décrit comment la ville bien-aimée et familière se transforme peu à peu en un « ghetto sans murs », un espace en apparence ouvert mais délimité par un nombre croissant d’interdictions.
Le journal s’achève à l’été 1942, avec le départ de Petr au camp de Terezín. Pendant deux ans, il y déploie une grande force morale, crée et édite la revue clandestine Vedem (« Nous menons »), continue furieusement à dessiner, peindre, écrire et lire, se préparant avec un optimisme indéfectible à un avenir meilleur qu’il ne connaîtra jamais. Le 28 septembre 1944, il monte à bord d’un train à destination d’Auschwitz.


Cet ouvrage est un document historique d’une valeur inestimable, le témoignage candide et bouleversant d’une jeune vie pleine de promesses, brutalement interrompue par la barbarie nazie.

Edition établie et annotée par Chava Pressburger.
Préface de Saul Friedländer.
Traduit du tchèque par Barbora Faure."


Extrait de l’introduction :

- "Il ne s'agissait guère que de deux petits cahiers : l'un à couverture noire, souple, découpée dans un vieux cahier de classe, l'autre avec une couverture plus solide, cartonnée, tigrée de jaune et de noir, provenant peut-être d'un ancien livre de comptes dans lequel nos parents notaient les dépenses quotidiennes du ménage. Petr avait relié lui-même ces deux cahiers en utilisant de vieux papiers et il s'en servait pour écrire son journal. Il n'était guère facile de trouver quelque chose à acheter en ces temps de guerre et pour des enfants juifs un beau cahier neuf vendu en papeterie était tout à fait hors de portée.


Mais Petr avait pris plaisir à fabriquer ces cahiers, tout comme il appréciait chaque occasion d'être créatif. Il utilisait ces cahiers reliés à la main non seulement pour son journal, mais également pour ses oeuvres littéraires, pour ses manuscrits. Dans son imagination d'enfant, il se voyait relieur, homme de lettres, éditeur, reporter ou chercheur."
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Aperçu de l'écriture de Petr Ginz (BCFYV/DR).

Radio CZ :

- "Le premier train transportant des Juifs tchèques arrive à Terezin le 24 novembre 1941 (...). Ils sont mis dans l'ancienne forteresse de Terezin transformée par les nazis en ghetto juif.
De puissantes murailles en briques rouges, des casemates obscures, humides et froides, des fossés qui pouvaient à tout moment être remplis d'eau de la rivière Ohre dans laquelle étaient jetées les cendres des morts.
Terezin n'était pas un camp d'extermination, les gens ne mouraient pas ici dans des chambres à gaz. Pourtant 33.430 personnes, soit plus d'un quart des 140.000 prisonniers passés par Terezin, y sont mortes à la suite des mauvaises conditions d'hygiène, de sous-alimentation, de maladies, de souffrances physiques et psychiques."
{Terezin était une étape dans le système concentrationnaire. Nombre de déportés étaient ensuite envoyés vers les camps d'extermination d'Auschwitz, de Treblinka, de Bergen-Belsen...}

Tel a été le sort de Petr Ginz, né en 1928 dans une famille pragoise d'origine juive, déporté à l'âge de 14 ans à Terezin.

Un grand talent littéraire et pictural, comme en témoignent ses notes, ses dessins et son journal qu'il a écrit depuis le mois de septembre 1941 jusqu'au mois d'août 1942.
Ces documents ont été retrouvés par un concours de circonstances exceptionnelles 60 ans seulement plus tard.
Comme nous l'avons déjà signalé, l'un des dessins de Petr Ginz (...) sauvegardés à Terezin, "La planète Terre vue depuis la Lune" a été emporté dans l'espace à bord de la navette spatiale Columbia, par le cosmonaute israélien Ilan Ramon, pour accomplir symboliquement son rêve.
Quelques semaines après la tragédie de la navette Columbia, en 2002, une famille de Prague a contacté le musée Yad Vashem de Jérusalem pour lui annoncer la trouvaille, au grenier de sa maison, d'autres objets personnels de Petr Ginz : six cahiers et ses dessins, en majeure partie les illustrations des romans de Jules Verne, son auteur préféré, ainsi que la première partie de l'un de ses romans, deux autres cahiers comprenant ses articles et une liste de travaux littéraires qu'il a rédigés.
Cet héritage est devenu une propriété du musée Yad Vashem de Jérusalem, à l'exception de quelques dessins et du journal qui appartiennent à la soeur de Petr, Chava Pressburger, installée en Israël."

Vladislav Zadrobilek, éditeur tchèque :

- "La dernière note dans son journal écrite encore avant sa déportation, à Prague, sa ville natale tant aimée, porte la date du 9 août 1942. C'est un dimanche, et Petr écrit :
"La matinée, je suis à la maison", ignorant ce qui allait arriver.
Selon la classification des lois de Nuremberg, l'enfant de mère non juive et de père juif ne leur appartient plus, après avoir atteint l'âge de 14 ans : il est une propriété des autorités nazies, du Reich. Petr Ginz est emmené en Pologne, et il n'est plus...
C'est triste, car la navette spatiale qui a porté son dessin dans le cosmos s'est décomposée le jour de l'anniversaire de Petr, voilà la fin la plus triste de toute cette histoire..."
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Petr Ginz, adolescent que va emporter la Shoah (BCFYV / DR).

André Burguière :

- "Anne Frank n'est pas la seule jeune victime de la Shoah à avoir laissé le récit de ses peurs et de son espoir.
C'est le cas de Petr Ginz. Jeune Praguois, juif par son père, il porte l'étoile jaune à 14 ans.
«L'avenue Dlouhá [artère du quartier juif] est devenue la Voie lactée », note-t-il avec humour en septembre 1941.
Un an après, il est déporté au camp de Terezin. Graveur, aquarelliste, écrivain, il a tous les dons, qu'il accumule pour résister à la barbarie. Elle finira par l'engloutir à Auschwitz, en septembre 1944."
(Le Nouvel Observateur, 13 mai 2010).



mardi 25 mai 2010

P. 231. Maurice Winnykamen, enfant caché

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Maurice Winnykamen,
Hommage. Récit d'un enfant caché,
Editions des Ecrivains, 2001, 145 p.


Au fil des pages,
les Pegaz, Justes
au Montcel (Savoie)
et leur petit Boris-Marcel...


4e de couverture (extrait) :

- "Boris se souvient. Sa vie en dépendait. Il avait huit ans.
En ce temps-là, il s'appelait Marcel. Il était Montcellois. Un petit Savoyard entre Aix-les-Bains et le Revard. Il avait une nouvelle famille - les Pegaz - et des amis de son âge - Albert et Berthe - qui, comme lui, vivaient cachés. Il y avait, aussi, un instituteur, une institutrice, un curé et la pauvre vieille Céline. Il était heureux.
Pourtant, en bas, dans la ville que sa mère et son père, Résistants, lui avaient fait quitter, c'était l'enfer de la "zone libre" avec son "Statut des Juifs". Et tout alentour, il y avait le maquis.
Un petit matin, des hommes vêtus de noir et la tête couverte d'un chapeau à large bord, entraînèrent Albert et sa famille d'accueil dans leurs autos, portant sur l'aile, un fanion marqué de la croix gammée. Albert est parti vers un lieu dont on ne revient pas.
Depuis, Marcel, redevenu Boris après la libération, se sent coupable :
"Lui et moi étions des enfants cachés. Nous avions le même âge. Moi, je ne me savais pas Juif, je voulais devenir curé, c'est lui qui m'a appris que nous étions Juifs tous les deux."
Et vient la question qui me taraude :
"Pourquoi lui et pas moi, de quoi suis-je fautif ?"

Le Montcel :

- "Le Montcel, c'est le village des Pegaz. Il est, dorénavant, le sien, également. Son nouveau nom, c'est Pegaz. Marcel Pegaz.

Quel crime ai-je commis, pour vivre hors la loi entre huit et douze ans ? Mon crime a été de naître Juif. Moi-même je l'ignorais mais les bourreaux, eux, le savaient depuis toujours (...).

Marcel aime aussitôt le Montcel, il y trouve une autre maman : Lili, un autre papa : Raymond, une autre mémé qu'il n'appellera jamais autrement que Mémé, une grande soeur, Renée que la famille appelle Nénette."
(P. 14).

- "C'est grâce aux pommes de terre, au blé, au foin, aux légumes et aux fruits, que Marcel a appris que tout ce qui pousse demande un effort. Que la nature ne donne rien pour rien et que, si cela parait arriver, parfois, ce n'est q'une illusion :
"Quand la nature nous donne c't'illusion, dit Lili, c'est juste pour nous donner l'goût d'elle-même, pas. Ainsi d'la noisette et d'la fraise des bois. D'la myrtille et d'la mûre. Ainsi d'la plus belle des fleurs qui pousse s'l'fumier. Et quand la nature nous a donné, une fois, rin qu'une seule, envie d'elle-même, nous la sauvergardons. Non, la nature n'donne rin pour rin, mais tout ce qu'elle donne est récompense, pas !"
(P. 19).

Maurice et Renée Pegaz, reconnue depuis Juste parmi les Nations (Arch. fam. M. Winnykamen / BCFYV / Droits Réservés).

Baptisé ?!?

- Marcel ne sait trop ce qu'ils disent Monsieur le Curé et sa grande dame brune de mère, quand ils sont assis à la table des Pegaz. Le prêtre voudrait qu'elle lui procure un acte de baptême. C'est évidemment impossible. Il en tremble. Monsieur le curé l'a si souvent interrogé à ce propos :
- "Dis-moi mon petit, tu as bien été baptisé, n'est-ce pas ?
- Oh ! oui, mon Père.
- Sais-tu où tu as été baptisé ?
- Je ne sais pas , mon Père.
- Mais tu es sûr que tu as été baptisé, au moins ?
- Oh ! oui, mon Père.
- Et tu ne sais vraiment pas où ? En quelle église ? Dans quelle ville ?
- Non, mon Père. Je ne me souviens plus.
- Où étais-tu avant de venir chez ta tante Pegaz ? (...) Et pourquoi es-tu venu au Montcel ?
- Je suis malade.
- Alors, il faut que l'on en parle à Monseigneur l'évêque. Tu n'es pas juif, au moins ?
- Oh ! mon Père, bien sûr que non !"
(PP 57-58).

Son ami Albert :

- "C'est à l'aube d'un joli matin (...) que, dans leurs tractions noires, les hommes de la Gestapo vinrent le chercher. Un enfant de dix ans, Albert et avec lui sa famille adoptante. Ils déculottèrent Albert et constatèrent sa circoncision... Les Massonat d'en haut manquent à l'appel (...).
Albert, mon ami ! Que serais-tu devenu ? Peintre comme Modigliani ou Chagall, écrivain comme Péguy ou Spire, poète comme Peretz, Rosenfeld, Steinbarg, Ejchenrand, Aleikhem, Bialik, Lutzki, Rontch, Manguer, Spiegel, Reisen, Rabon, Sutzkever, Verguelis, Gebirtig, Glik ou Dobdzynski, cinéaste comme Eisenstein, Chaplin, Linder, les frères Marx ou Woody Allen, savant comme Einstein, Copernic, Charpak ou Sakarov, médecin comme Freud ou Bettelheim, musicien comme Menuhin, Rubinstein, Heifetz, Bernstein, Bruch, Gershwin, Horowitz, Malher ou Mendelsshon, penseur comme Marx, Hertzl, Lewin ou Levi-Strauss, politicien comme Blum ou Trotsky, militaire comme le capitaine Dreyfus ou le général Koenig, meneur de peuple comme Moïse ou Ben Gourion, faiseur de paix comme Rabin et Perez, banquier comme Rothschild, tailleur comme ton père, maroquinier comme le "lieutenant Julien", le mien ?"
(PP. 62-63).

Signature de Maurice Winnykamen (Arch. JEA / DR).

Les parents de l'enfant caché sont donc juifs, résistants et communistes... Leur fils, descendu du Montcel, se trouve à Lyon, leur ville de clandestinité, quand il est confronté au danger.

On frappe à la porte :

- "Voilà que se trouvant seul dans l'appartement, on frappe à la porte. Il ouvre, et se trouve nez à nez avec le releveur du gaz :
"Bonjour gone (garçon). Comment t'appelles-tu ?
- Bronzin, Monsieur. Marcel Bronzin.
- Quel âge as-tu ?
- J'ai dix ans et demi, Monsieur."
Le type cherche dans ses papiers, et dit :
"Bronzin, hein ! Je ne trouve pas de Bronzin dans mes fiches. Tu es certain de ne pas t'appeler autrement ? (...) Parce que, si tu as un autre nom, tu peux me le dire, à moi. Ce sera un secret entre nous deux...
- Mais, Monsieur, je m'appel...
- Tu es un grand garçon, allons ! Fais un petit effort, comment t'appelles-du ? (...) Tu as bien deux noms, n'est-ce pas ? Ecoute, tout le monde a deux noms. Moi aussi, j'ai deux noms. Alors, quel est ton deuxième nom ?
- Non, Monsieur, j'ai point deux noms. Je m'appelle Bronzin et pas autrement.
- Bon ! Tu es un brave garçon. Mais dis-moi ton nom d'avant ? C'était comment ?
- Mon nom d'avant ? Je n'ai jamais eu d'autre nom., Monsieur. Et puis vous commencez à m'embêter. Je m'appelle Bronzin. Un point c'est tout. Et comme le dit Monsieur le Curé : cherchez et vous trouverez".
(...)
On m'a dit depuis que j'avais rencontré un agent de la Gestapo (...). Je sais maintenant, que rien ne permet de distinguer un malfaisant et que les agents de la Gestapo peuvent avoir l'air de n'importe quel honnête homme. Même d'un releveur de gaz.
(...)
L'alerte a été chaude. Très vite, mes parents me font réintégrer le Montcel. Je retrouve, avec une joie non dissimulée, ma famille Pegaz."
(PP. 72-73).

Amélie Pegaz, Juste parmi les Nations (Arch. fam. M. Winnykamen / BCFYV / DR).

Survivants :

- "Comment le dire ? Mon enfance fut heureuse, merveilleuse, même. Elle se déroula, pourtant, dans un monde programmé pour aller au-delà du meurtre, au-delà de l'exécution de masse. Dans un monde super organisé. Une société méthodique, intelligente, dans laquelle chaque acte, même le plus anodin, participait du malheur absolu. Ces actes étaient ceux d'hommes et de femmes qui nous ressemblaient. Des humains aussi. Consciemment ou non, du plus petit gardien d'immeuble au cadre supérieur du "parti national socialiste", en Allemagne comme dans les pays conquis, ils oeuvraient pour le crime. Pour le collectif de souffrances et de mort.
Je suis passé, grâce à la résistance, grâce aux Savoyards, au travers du filet. Mais ce n'est pas parce qu'il y eut des survivants que le crime n'exista pas. Qu'il y eut des survivants n'était pas dans les intentions des criminels ! (...) Et personne ne peut nier que le crime ait eu lieu."
(P. 123).

- Embrasse papa :

- "Une traction avant noire, avec l'inscription "F.T.P." peinte en blanc sur les portes et un drapeau tricolore fiché en haut du gazogène, quitte la route et s'arrête devant la porte de la ferme. Marcel et Nénette l'avaient vue arriver de loin par la fenêtre de la cuisine. Tous, Raymond, Lili, Mémé et eux, attendaient, étonnés, sur le seuil. Plusieurs hommes, jeunes, mal rasés, assez joyeux mais attentifs au moindre bruit, l'oeil aux aguets, l'arme à la bretelle, mettent pied à terre. L'un d'eux appuie sa mitraillette contre l'aile du véhicule et prend Marcel dans ses bras. Il le lève au ciel et le fixe un bon moment. Puis il lui dit : "Boris, je suis ton père, tu te souviens ? Embrasse papa."
Lui, il couvre son fils de baisers. Gauchement, Marcel se débat.
(...)
Les autres pressent leur chef :
"Laisse, Jilien ! Il est encore qué ounè kind. Il faut lé comprondre. Plis tard, til' verras ça s'arrongera sirement."
(...)
Ces métèques, qui composent l'un des groupes lyonnais de la M.O.I., ont poursuivi le combat, avec, au coeur, encore plus de rage, encore un peu plus de certitude. Parce que, eux, contrairement à leurs frères qui tiennent les barricades, en ville, ils ont vu un gamin juif survivant."
(PP. 125-127).

Hommage :

- "Valeureux parmi les braves, vous fûtes l'honneur de mon pays. Vous, les oubliés, les "sans médaille", les simples, vous, à qui je dois d'être encore vivant et par qui ce témoignage peut, aujourd'hui, près de soixante ans après, voir le jour, il me vient pour vous un seul mot : HOMMAGE. Hommage aux Justes !"
(P. 131).

Amélie Pegaz, Raymond, Marie-Thérèse et Renée ont été reconnus Justes parmi les Nations.
Amélie Pegaz : rencontre avec Maurice Winnykamen et ses petits-enfants (Arch. fam. M. Winnykamen / BCFYV / DR).

vendredi 21 mai 2010

P 230. La liste des Justes ne cesse de s'allonger au Chambon sur Lignon

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Exceptionnellement, la Commune elle-même de Chambon-sur-Lignon porte le titre de Juste parmi les Nations. Des milliers de juifs lui doivent la vie. Cette plaque commémorative porte leur reconnaissance indéfectible (Ph. A. Karo / BCFYV/ Droits réservés).

Histoire d'une amitié
plus forte que la Shoah :
celle de Jean Brottes
et d'Yvon Herschowitz.


Ce 10 mai 2010, plus de deux cents personnes entouraient Jean Brottes à la Mairie du Chambon sur Lignon.
Haut dans les Cévennes, là où s'enracina le Protestantisme victime de tant d'intolérances, Jean Brottes vient de rejoindre non seulement sa Commune mais aussi toutes celles et ceux qui y portent déjà le titre de Justes parmi les Nations.

Synthèse du dossier Yad Vashem :

- "En 1933, M. et Mme Arthur Herschkowitz, juifs d’origine polonaise, et leur trois fils, Yvon, Marcel et Félix, fuient l’Allemagne nazie pour la France.
Arthur Herschkowitz ouvre un commerce de confection à Paris. En 1939, il exploite quatre boutiques dans Paris.

En 1940 la famille se réfugie en zone dite "libre".
Yvon, lui, n’a qu’une idée en tête : rejoindre la vraie France Libre. En Février 1941, il parvient à quitter clandestinement Marseille pour l’Algérie, mais il est arrêté et incarcéré.
Libéré après quatre mois de détention, Yvon est appelé avec Marcel, son frère jumeau, aux Chantiers de la Jeunesse Française à Cavaillon (ces CJF sont un substitut du service militaire et destinés à des travaux d’intérêt général).
C’est là qu’Yvon et Marcel Herschkowitz se lient d’amitiés avec Jean Brottes et Raoul Mazoyer.

Jean Brottes est né au Chambon sur Lignon en 1921 et est l’aîné de six enfants. Il vient d’obtenir un baccalauréat technique en mécanique générale quand il est affecté aux Chantiers de la Jeunesse Française.
Les quatre jeunes gens deviennent vite inséparables, s’épaulant mutuellement.
En Juillet 1942, ils se quittent avec « une certaine nostalgie » comme en témoigne Jean Brottes. Il retourne à Intres en Ardèche chez ses parents, tandis qu’Yvon regagne Paris.

L’étau se resserre autour des juifs, les rafles s’intensifient.
C’est ainsi qu’à l’automne 1942, Jean Brottes reçoit la visite d’Yvon qui lui demande de lui « prêter » ses papiers d’identité et ses papiers d’incorporation aux Chantiers de la Jeunesse. Yvon espère ainsi pouvoir circuler plus librement et poursuivre son activité de résistant. Il sera d'ailleurs décoré de la Légion d’Honneur pour ses actions.
Jean donne sans aucune hésitation et dans la plus grand secret tous ses papiers à son ami.
Mais le risque est grand pour ce Cévenol, qui n’a plus la possibilité de justifier de son identité en cas de contrôle et qui refuse de partir pour le STO.
Jean décide alors de rejoindre le maquis avec lequel il se battra jusqu’à la fin de la guerre."


Jean Brottes, Juste parmi les Nations (Ph. A. Karo / BCFYV / DR).

Suite de la synthèse du dossier Yad Vashem :

- "Jean Brottes a également aidé ses parents, Charles et Célina, à cacher le Grand Rabbin de France Isaï Schwartz et sa famille, dans leur maison de Champignac en Ardèche (le Rabbin Schwartz sera ensuite hébergé chez la sœur de Célina Brottes. Judith Picot et son mari ont été honoré du titre de Justes parmi les Nations en 1999.

Jean Brottes se marie en 1953 avec Marcelle Barbereux au Temple d’Intres. Ils élèveront leurs cinq enfants dans la foi protestante.
Aujourd’hui, Jean Brottes est grand-père de onze petits enfants, il est huit fois arrière grand-père et assiste avec grand dévouement, son épouse Marcelle, dans sa maladie.

Les liens noués entre les quatre amis pendant cette période difficile ont perduré.
Toute sa vie, Yvon Herschowitz, qui a pris le nom de Hervais en 1952, a été reconnaissant à Jean Brottes de lui avoir sauvé la vie.
Les deux amis n’ont pas cessé de correspondre et comme le dit Jean Brottes :
« Il n’y a que la mort qui a interrompu notre correspondance ».

De g. à dr. : Annie Karo, Déléguée et Paul Schaffer, Président du Comité Français pour Yad Vashem (Ph. A. Karo / BCFYV / DR).

Discours de Paul Schaffer, Président du Comité Français pour Yad Vashem :

- "Merci Madame Eliane Wauquiez-Motte, Maire de Chambon sur Lignon, de nous avoir conviés à cette cérémonie qui honore à la fois les Justes de votre ville et Israël.

Yad Vashem a pour mission principale d’honorer et de transmettre le souvenir des six millions de Juifs, dont un million cinq cent mille enfants, exterminés durant la dernière guerre et aussi de conserver la mémoire des milliers de communautés juives détruites à jamais.

Il a aussi deux autres missions importantes :

Rappeler et honorer l’héroïsme des Juifs qui ont combattu sur tous les fronts, durant cette période tragique.

Et enfin rendre hommage aux « Justes parmi les Nations ».

Tout cela incombe à l’Institution de YAD VASHEM, créée et édifiée sur le mont du Souvenir à Jérusalem, à la suite d’une décision prise dès 1953 par le parlement Israélien. Le nom de YAD VASHEM repose sur le verset du prophète ISAÏE :

« Et je leur donnerai dans ma maison et dans mes murs un mémorial YAD et un nom SHEM qui ne seront pas effacés ».

Nul autre lieu de mémoire au monde ne constitue une aussi importante sépulture virtuelle pour ses martyrs.

Jamais et en aucun lieu, on a élevé à un degré si haut, la noblesse et la reconnaissance à des femmes et des hommes qui ont su spontanément, en toute simplicité, au péril de leur vie et de celle de leur famille, porter secours à d’autres hommes et femmes. Ils ont su sauver des enfants dans la détresse, persécutés parce que juifs, qui sans leur aide, étaient voués à la mort.

Ils ont fait preuve de bonté, de civisme et d’abnégation. Israël les a nommés :

« Justes parmi les Nations ».

Leur dignité durant ces années noires nous a permis de garder une lueur d’espoir dans l’humanité. Ils ont aidé la civilisation occidentale qui a sombré dans le néant, à renaître des cendres d’Auschwitz.

Et ce n’est ne pas seulement en ma qualité de président du Comité Français, mais aussi et surtout en tant que rescapé de cet enfer que je tiens à vous assurer que si nous ne pourrons jamais oublier le mal qui nous a été infligé, nous ne pourrons pas d’avantage oublier ces 3 158 Justes que nous honorons à travers la France. 3158 parmi les 23 226 de tous les pays, qui ont subi le joug de l’occupation nazi.

Nous savons que si la mémoire est la racine de la délivrance, l’oubli est celle de l’exil !

Chambon sur Lignon, en tant que ville de France est la seule à partager avec 3 autres lieux en Europe, la reconnaissance du peuple juif sous la forme d’une plaque commémorative, située dans les jardins et parmi les arbres plantés à la mémoire des justes, à Jérusalem.

Sous le texte en hébreux on peut lire en français sur cette plaque :

AUX HABITANTS DU CHAMBON SUR LIGNON
ET DES COMMUNES VOISINES
QUI ONT SAUVE LA VIE DE NOMBREUX JUIFS


La lumière que vos habitants, Madame le Maire, ont fait briller sur votre commune, marquera à jamais notre mémoire. Elle restera aussi inoubliable comme symbole de la résistance de toute la région.

Avec le souvenir de ce passé, vous forgerez sans aucun doute, le meilleur des avenirs.

Chambon sur Lignon fait honneur à la France.

Aucun homme, qu’il soit chef d’Etat, personnalité religieuse ou politique, ne peut visiter Yad Vashem sans s’incliner avec respect devant ce sanctuaire et en sortir indifférent.
Comme le président de la République, Monsieur Nicolas Sarkozy l’a souligné : « J’ai changé quand j’ai visité ce mémorial »

Quant à vous Monsieur Jean BROTTES, permettez-moi d’évoquer en quelques mots seulement votre immense mérite.
Vous avez sauvé la vie à Yvon Herschkowitz, qui ayant entendu l’appel du général de Gaulle quitte clandestinement Marseille le 28 février 1941, caché dans la cale d’un bateau. Mais arrêté, il est transféré à la prison de Toulon. Libéré, il est appelé à rejoindre le chantier de jeunesse, où il a la chance de vous rencontrer. Le sachant en danger, vous lui avez donné vos papiers d’identité.
Restant vous même sans papiers, ce qui était évidemment très risqué, vous ne le dite jamais à vos parents, pour ne pas les inquiéter.

Votre geste lui a permis de circuler librement, de poursuivre son activité de résistant et de monter au maquis dans le sud de la France. A ce titre il a été décoré en 1999 de la Légion d’honneur.

Monsieur Jean Brottes, vous lui avez non seulement sauvé la vie, vous lui avez donné la liberté de faire son devoir.

Son Excellence Monsieur Daniel Shek, Ambassadeur de l’Etat
d’ Israël vous remettra tout à l’heure le diplôme et la médaille de JUSTE."

De g. à dr. : Madame Eliane Wauquiez-Motte, Maire de Chambon sur Lignon et S. E. Monsieur Daniel Shek, Ambassadeur d'Israël en France (Ph. A. Karo / BCFYV / DR).

Madame le Maire Éliane Wauquiez-Motte :

- "Cette cérémonie qui vient de rappeler l'histoire de la montagne protestante, doit aussi rappeler, à chaque instant, combien chacun devra garder à jamais le souci permanent de préserver la paix, la liberté et la fraternité, indispensables à l'évolution de nos enfants et à l'équilibre de notre monde fragile."

Au premier rang de l'assistance, à g. : les époux Brottes (Ph. A. Karo / BCFYV / DR).

Jean Brottes au 19/20 :

NB :

- Cette page a été rédigée avec le concours d'Annie Karo, Déléguée régionale du Comité Français pour Yad Vashem.

- A propos du Chambon-sur-Lignon, lire aussi la page 113 de ce blog.

mercredi 19 mai 2010

P. 229. Mère Ardoin, Juste parmi les Nations

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De g. à dr. : Régine Sigal, Déléguée ; Louis Grobart, Vice-Président du Comité Français pour Yad Vashem ; Soeur Evelyne Franc ; Madeleine Kahn (Doc. R. Sigal / BCFYV / Droits réservés).


Madeleine Kahn-Woloch
une petite Française rattrapée par la Shoah
en Roumanie...

En présence de M. Grobart, Vice-Président du Comité Français pour Yad Vashem, une cérémonie de reconnaissance de Juste s'est tenue ce 11 mai à la Maison-mère parisienne des Filles de la Charité de Saint-Vincent-de-Paul. Le Diplôme et la Médaille de Soeur Ardoin y furent déposés en sa mémoire et pour marquer la part essentielle qu'elle assuma dans le sauvetage d'une petite juive persécutée : Madeleine Woloch.

Madeleine Kahn (Ph. arch. fam MK/BCFYV/DR).

Synthèse du dossier Yad Vashem :

- "Abraham Joseph Woloch, d’origine polonaise, et Rosa Sontag, née en Roumanie, habitaient rue Caffarelli dans le 3e arrondissement. Ils étaient commerçants.
Leur fille Madeleine naît en 1933.
En juin 1939, Madeleine part chez sa grand-mère à Stanesti-de-Jos en Bucovine, une province roumaine. Mais conséquence du Pacte Germano-Soviétique, les frontières roumaines sont alors fermées et Madeleine ne peut revenir en France.

Dès l’entrée des troupes allemandes en Roumanie, des massacres de masse visent les juifs et son oncle, présent à Stanesti, est assassiné.
Survivent Madeleine, sa grand-mère, et sa tante avec son enfant âgé d’un an.
Après un passage par Czenovitz, capitale de la Bucovine, tous sont déportés en Transnistrie, à l’est du Dniepr. Ils sont pourchassés de camps en camps, dans ce que les autorités roumaines ont appelé des "migrations forcées" : sans manger, sans boire, sans savoir où ils seront quelques heures plus tard.
Après des jours de marche, ils seront affectés au camp de Cernivitsi. La grand-mère décède de tuberculose et de chagrin, l’assassinat de son gendre l’a minée.

Mais Madeleine, née à Paris est Française; elle a un passeport français.
En 1942, avec l’aide du Consul de France à Galatz, Monsieur Gabriel Richard, Madeleine est retirée du camp et rapatriée à la Légation française à Galatz.
Son état de santé est précaire et le typhus se déclare.
Elle est hospitalisée à l’hôpital tenu par les Sœurs de Saint Vincent de Paul. Mère Ardoin, Sœur supérieure de la Communauté, la soigne, la choie, lui donne mille preuves d’affection et tente de lui faire oublier le cauchemar vécu."



Soeur Ardoin (Mont. JEA / Doc. BCFYV / Droits réservés).

Synthèse du dossier Yad Vashem (suite) :

- "Le départ de Mère Ardoin, rappelée en France, sera ressenti par Madeleine comme une trahison, un abandon qu’elle n’était pas prête de lui pardonner.
Madeleine rejoint, avec le reste de la communauté, Bucarest et se retrouve chez les Sœurs de Notre Dame de Sion sous un parfait anonymat, mais la peur d’être dénoncée est quotidienne.
Elle ne rejoindra ses parents en France, qu’en 1946.

Les retrouvailles sont douloureuses. Trop d’épreuves ont bouleversé les uns et les autres. Tout un parcours à refaire, même le Français à réapprendre.
Après une scolarité difficile, la réadaptation à la vie familiale achevée, Madeleine s’oriente vers des études de médecine ; profession qu’elle exercera pendant 27 ans.
Elle entreprend un DEA d’Histoire à la Sorbonne pour mieux connaître son passé.
Elle n’a pas oublié Mère Ardoin qui a su lui apporter réconfort et sérénité à la sortie de l’enfer des camps."



(Ph. Arch. fam. MK/BCFYV/DR).

- "Le titre de « Juste parmi les Nations » a été attribué à Sœur Ardoin par la Commission des Justes de Yad Vashem à Jérusalem."


L'un des ouvrages de Madeleine Kahn (DR).

En 2000, Madeleine Kahn a signé L'Echarde à la Société des Ecrivains. Et en 2002, Quelques gouttes de bonheur.
Les Editions Bénévent ont publié en 2004 une étude sur Angelo Donati :

- De l'oasis italienne au lieu du crime des allemands,
158 p.

4e de couverture :

- "L’action d’Angelo Donati s’inscrit dans l’Histoire, définie par Alexandre Adler, “comme une discipline ambiguë, mi-récit littéraire, mi-poursuite érudite et obsessionnelle de la vérité la plus pure.”

Si les multiples interventions d’Angelo Donati permirent, durant la Seconde Guerre Mondiale, de sauver nombre de Juifs apatrides et français, cette sauvegarde résulte de l’action conjuguée des troupes d’occupation italiennes dans le sud-est de la France, qui n’ont obtempéré ni aux diktats des Allemands, ni à ceux du Gouvernement de Vichy, et à la protection de ce banquier italien installé en France depuis la Première Guerre Mondiale."

Madeleine Kahn, l'auteur :

- " Relater son courage, ses démarches, ses initiatives m’était un devoir, un devoir qui m’a permis de rejoindre les souffrances des miens."

NB : Les apports de Madeleine Kahn et de Regine Sigal, du Comité Français pour Yad Vashem, ont permis la mise en ligne de cette page du blog.


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lundi 17 mai 2010

P. 228. Crocq se souvient de la Shoah

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Plaque au nom de la Juste Marie-Thérèse Goumy (Ph. M. Getraide / Droits réservés Blog CFYV).

Inauguration à Crocq (Creuse)
d'une place Marie-Thérèse Goumy
Juste parmi les Nations
et d'une rue Louis Aron

Synthèse du dossier Yad Vashem :

- "Pierre Osowiechi est né le 3 décembre 1937 à Paris. Son père Chaïm Osowiechi s’engage dans le régiment des volontaires étrangers dès septembre 1939, il est fait prisonnier, parviendra à être libéré et rejoindra sa famille fin 1940.
Parti de Paris dans le taxi du grand-père maternel, le reste de la famille, constitué des grands-parents maternels, Moïse et Fanny Pougatch, d’un oncle, de sa mère et du petit Pierre (2 ans et demi) était arrivé à Crocq le 16 juin 1940.
Une petite maison sera mise gratuitement à la disposition de la famille, qui reçoit en plus une allocation de réfugiés.
Elle va y demeurer pendant toute l’occupation, protégée et aidée par tout le village.

Les faux papiers sont fournis pour tous par Marie-Thérèse Goumy qui est institutrice et secrétaire de mairie à Crocq. En contrepartie, la grand-mère fait des travaux de couture et les autres membres de la famille aident aux travaux des champs. Le père (dont c’est la profession) va remplacer à la boucherie du village le patron, prisonnier en Allemagne.

Le refuge israélite de Neuilly, dirigée par Louis Aron, aidé de son épouse Yvonne, est évacué à Crocq en août 1939. Marie-Thérèse Goumy lui apporte une aide précieuse.
Là sont protégées une centaine de filles juives de 5 à 20 ans et ce, jusqu'en juillet 1942 date de son déménagement à Chaumont près de Mainsat. Que ce soit à Crocq puis à Chaumont, aucun des enfants de ce refuge ne sera déporté.

A Crocq toujours, d’autres familles juives sont logées dans trois hôtels. Marie-Thérèse Goumy a pu fournir des faux papiers à certaines de ces familles et elle a empêché l’arrestation de la famille Rapoport.

Marie Lagrollière, ancienne ouvrière d'une pelleterie, personne déjà âgée et de condition modeste est venue chercher le petit Pierre Osowiechi à l'école (il était alors âgé de 6 ans et demi) en juin 1944 alors qu’une colonne de la division SS allemande qui avait pendu des résistants la veille à Tulle, s’était arrêtée à Crocq. Marie emmena Pierre dans son grenier rejoindre ses grands-parents déjà avertis par Marie-Thérèse Goumy. Ils y sont restés cachés jusqu’au départ des Allemands vers le front de Normandie.

Marie-Thérèse Goumy et Marie Lagrollière ont été reconnues Justes parmi les Nations en 2006.

Marie-Thérèse Goumy (Doc. BCFYV / DR).

Témoignage de Pierre Osowiechi, enfant caché :

- "Il fait chaud, très chaud en ce mois de juin 1940, La France est sur les routes, c'est "l'Exode" et pour nous, Juifs descendants des Hébreux, l'Histoire, avec un grand H, recommencait. Lorsqu'une voiture surchargée s'arrêta dans la cour d'une maison de Crocq.
A l'intérieur, un couple d'une cinquantaine d'années, une jeune femme et son bébé, sont exténués et désemparés.
De la maison, sortent à leur rencontre une femme et une jeune fille, voyant l'enfant la Dame dit : '' Il y a un bébé, il faut lui donner du lait ''.

La voiture était le taxi de mon Grand-Père, la maison celle de la famille Pabiot, Thézy Mazuy était cette jeune fille .... et je suis cet Enfant."

Ainsi commençait mon discours lors de la cérémonie de remise de Médailles des Justes parmi les Nations à M-T Goumy et Marie Lagrollière, le dimanche 2 avril 2006 en ces mêmes lieux, où nous nous retrouvons aujourd'hui avec, hélas, des absences douloureuses.


Pourquoi cette cérémonie et pourquoi en cette journée de Commémoration de la Déportation ? Tout simplement pour une Pérénnisation du Devoir de Mémoire, même si le Diplôme et la Médaille des Justes de M-T Goumy sont présents symboliquement dans la Salle du Conseil Municipal de Crocq, et ceci grâce à Thézy Mazuy et Jacques Longchambon , qu'ils en soient ici et publiquement, remerciés.
Mais, plus généralement que reste-il de ces cérémonies de Nomination : des médailles et diplômes conservés par les familles, un souvenir dans la mémoire des participants qui, malheureusement, est appelé à disparaitre et subira les assauts du temps et de l'oubli.

Devant ce constat, j'ai proposé à Jacques Longchambon, Maire de Crocq, de pérenniser les nominations de M-T Goumy et M. Lagrolliére en donnant le Nom de ces "Justes" à un édifice de la commune. Je dois dire que cette proposition fut tout de suite acceptée, et que Jacques y adhéra avec l'enthousiasme qu'on lui connait et qu'il su faire partager à son Conseil Municipal.
C'est ainsi que la place de la Mairie porte désormais le nom de M-T Goumy et qu'une plaque est apposée devant la maison de M. Lagrollière (...).


Je suis, nous sommes la dernière génération des témoins de cette tragique et effroyable époque et, d'ici quelques années, nos mémoires seront muettes car nos voix se seront tues .
C'est pourquoi, en inaugurant ces lieux, non seulement nous honorons M.-T. Goumy, M. Lagrollière et Louis Aron, pour leur courage devant l'oppression et le déni de l'Etre humain, mais nous portons témoignage du Devoir de Mémoire, afin que les générations futures soient averties du danger de l'intolérance, du racisme, de l'antisémitisme et du négationisme, pour qu'elles restent vigilantes, car, et nous le constatons tous les jours, il ne suffit pas de dire :
'' Plus jamais ça '' (...).


"Aujourd'hui, je ne sais toujours pas, et je ne le saurai jamais, pourquoi et comment nous sommes arrivés à Crocq. Mais ce que je sais, c'est que vous nous y avez accueillis, hébergés, protégés et que nous y étions libres et en sécurité.
Pour tout cela nous vous devons, mes petits enfants, mes enfants et moi, une immense gratitude que je ne peux traduire au nom de tous les miens, mais aussi de tous ceux qui sont passés et ont vécus à Crocq, que par un simple Merci."

C'est par ses phrases que se concluait, il y a 4 ans, mon discours. Aujourd'hui je les redis avec force et reconnaissance, mais surtout avec le bonheur d'être parmi vous.

Avec votre permission je dédie également cette cérémonie à la mémoire de mon épouse Jeanine, qui a beaucoup oeuvré à sa réalisation mais qui, malheureusement, nous a quittés prématurément."


Inauguration de la place Marie-Thérèse Goumy, discours du Maire de Crocq (Ph. M. Getraide / DR Blog CFYV).

Jacques Longchambon, Maire :

- "...Sur notre registre communal, combien de nationalités ont fait halte à Crocq (Silésie, Espagne, Pologne, Russie, Italie, Roumanie, Hongrie, Belgique, Allemagne) ?
Combien de fermes ont accueilli celui qui venait d'ailleurs avec tous les dangers des représailles ? Combien de gens de Crocq ont aidé, pour la cause commune, l'homme, l'homme dans toute sa grandeur, son humanisme ?
(...)
Je me devais, avec l'aide de beaucoup d'entre vous, de réaliser cette journée du souvenir. Ce génocide indélébile de millions d'hommes, de femmes, d'enfants et de vieillards, apogée de la bête humaine, du nazisme.

Restons toujours vigilants."

La rue de Crocq qui porte désormais le nom de Louis Aron (Ph. M. Getraide / DR Blog CFYV).

Levana Frenk, historienne :

- "...Une grande partie des juifs repliés dans la Creuse s’y réfugient dans le sillon des maisons d’enfants.
D’abord, il y a les 4 maisons d’enfants juifs situées dans la Creuse elle-même, dont la Maison de Refuge israélite pour l’Enfance de Neuilly repliée à Crocq pendant trois ans, sous la direction de Louis Aron. Ces 4 maisons accueillent par roulement autour d’un millier d’enfants.

Le Limousin d’ailleurs est une terre de refuge privilégiée puisque la région, à elle seule, abrite 9 homes d’enfants juifs, et avec celle de Brout-Vernet située à la limite de la Creuse et de l’Allier, le total s’élève ainsi à 10 maisons d’enfants juifs concentrées dans le Limousin sur un périmètre relativement réduit. Ce sont dix maisons sur les 18 que l’OSE gère dans toute la France.

Donc, il y a dans le Limousin une grande concentration de maisons d’enfants juifs, avec toutes les implications que cela pouvait avoir si les autorités s’étaient acharnées à arrêter les enfants (...).

Certains parents viennent s’installer à proximité des homes pour garder le contact avec les enfants mais surtout pour fuir la zone Nord et les grandes villes plus surveillées. Ils sont parfois suivis par des proches et aussi des proches du personnel des maisons. Ce mouvement entraîne, autour des maisons d’enfants, la formation de petites poches de refuge où se replient de nombreux juifs. C’est sûrement le cas au Grand-Bourg et à Bénevent-l’Abbaye à proximité de Chabannes, et aussi à Crocq et à Mainsat (...).

Les Juifs réfugiés dans la Creuse y subissent les poursuites administratives imposées par le pouvoir central de Vichy. Ils sont soumis à une surveillance serrée. Ces poursuites mènent à l’arrestation et à la déportation d’un grand nombre d’entre eux. Pourtant ce nombre reste inférieur à 200 déportés, ce qui représente moins de 10% de la totalité des juifs réfugiés dans le département, qui s’élève à 3000 personnes.
Mais le journal de Louis Aron mentionne surtout les écarts et bientôt le divorce total qui s’instaurent entre la législation anti-juive du pouvoir central et les réalités sur le terrain où la discrimination raciale se heurte à une certaine imperméabilité. L’antisémitisme officiel passe mal. Le journal de Louis Aron nous a laissé un témoignage précieux et très riche d’informations sur l’évolution de l’opinion publique à l’égard des juifs et sur la vie du Refuge à Crocq, à Mainsat, à la Serre-Bussière et Chaumont. Il y décrit l’accueil chaleureux que les habitants de Crocq font aux enfants du Refuge, la courtoisie que les gens manifestent à leur égard, Son journal relate le dévouement de la population locale qui assure le ravitaillement et les besoins matériels du Refuge. Il en va de même pour les soins médicaux aux enfants, leur insertion à l’école, l’emploi pour certaines des filles (...).


Le Refuge y a survécu jusqu’à la Libération, sans subir d’arrestations, contrairement à ce qui s’est passé à Izieu.
La différence avec Izieu est sans doute liée à la protection que les Creusois apportèrent aux enfants juifs. La tradition républicaine du pays, l’expérience des « maçons de la Creuse » et l’opposition à l’occupation allemande et à la guerre en général ont créé comme une ceinture de sécurité autour des Juifs persécutés qui ont en majorité survécu dans ce pays hospitalier."


Fleurs déposées devant la plaque rappelant qu'ici, à Crocq, l'Oeuvre de Secours aux Enfants ne connut aucune dénonciation et reçut au contraire un soutien indéfectible (Ph. M. Getraide / DR Blog CFYV).

Le 25 avril 2010, Shlomo Morgan, Ministre à l'information à l'Ambassade d'Israël en France eut à coeur de saluer lui aussi la mémoire des Justes de Crocq et celle de Louis Aron, symbolisant le Refuge.

Shlomo Morgan :

- " Il y a deux semaines Israël célébrait « Yom a shoah » journée qui commémore les 6 millions de Juifs disparus dans les camps Nazis.
Aujourd'hui, en France, c'est le jour de la Commémoration de la Déportation et il est hautement symbolique de nous trouver, ici, à Crocq en Creuse, département où de nombreux juifs trouvèrent refuge durant la guerre et furent sauvés par l'héroïsme de ses habitants (...).

Habitants de Crocq et de la Creuse, nous sommes convaincus que vos ainés ont su vous transmettre ces vertus de courage et de respect de L'AUTRE et, à travers vous, nous les en remercions.

Nous remercions également Jacques Longchambon et le Conseil Municipal de Crocq de ces commémorations et de cette magnifique cérémonie.

Mais au-delà de ces remerciements, l'Etat d'Israël et son Ambassadeur en France, qui n'a pu se libérer et que je représente, vous prient de bien vouloir accepter le témoignage de leur gratitude et de leur reconnaissance."


NB : Cette double inauguration a été organisée avec la Délégation régionale du Comité Français pour Yad Vashem. Qu'elle en soit remerciée de même que pour la collecte des documents présentés sur cette page du blog.

vendredi 14 mai 2010

P. 227. Extraits des discours à St-Amand-Montrond

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A g. : Plaquette éditée par la Ville (1).
A dr. : Architecte de la cérémonie du 5 mai à Saint-Amand-Montrond, son maire : Thierry Vinçon (Mont. JEA / Droits Réservés).

Quatrième et dernier volet
de l'inauguration d'une Esplanade
et d'une Stèle des Justes
à Saint-Amand-Montrond :
extraits des discours...

Après la lecture du message de Simone Veil par Paul Schaffer (2), ont pris la parole :

1. Didier Cerf, Délégué régional du Comité Français pour Yad Vashem.

De g. à dr. : Paul Schaffer, Président du Comité Français pour Yad Vashem, et à la tribune, Didier Cerf, Délégué régional (Ph. M. Kahn / DR).

Ayant rappelé l'historique de l'Institut Yad Vashem de Jérusalem ainsi que la diversification de ses activités, Didier Cerf a évoqué les Justes :

- "Depuis 1963, Yad Vashem exprime également la reconnaissance du peuple Juif aux hommes et aux femmes non Juifs, de toutes origines et de toutes conditions qui, à travers l'Europe, de manière désintéressée et au péril de leur vie, ont sauvé des Juifs persécutés : ce sont les "Justes".

A Paris, le Comité Français pour Yad Vashem est une association de bénévoles dont le but est de favoriser l'enseignement et la transmission de l'histoire de la Shoah ainsi que de recueillir les témoignages pour faire reconnaître et honorer les Justes de France.

(...) Mais malheureusement, même si notre Comité continue à instruire tous les dossiers qui lui sont confiés, les années passent inexorablement, et beaucoup de ces gens, qui mériteraient que leur nom soit inscrit à jamais dans l'allée des Justes à Jérusalem, resteront dans l'anonymat faute de témoignages."

2. Au nom de l'Ambassade d'Israël, Shlomo Morgan :

Shlomo Morgan, Ministre-Conseiller à l'information près l'Ambassade d'Israël en France (Ph. M. Kahn / DR).

Shlomo Morgan :

- "(...) C'est avec un très grand honneur et une immense émotion que je suis présent parmi vous à l'occasion de l'inauguration de "l'Esplanade des Justes parmi les Nations".

Cette esplanade et cette Stèle vont honorer les actes de Pierrette et Roger Jurvillier, Juliette et Pierre-Aimé Laneurie, Marie, Etienne, Annette et Pierrette Boissery, Léontine et Isidore Boyau, Henriette et Maurice Fagnot, Louise Labussière, Hermine Lasne, Suzanne Mercier, Germaine Vigne et Hélène Zemmour (3).

Ces hommes et ces femmes sont la fierté et l'honneur de la Ville de Saint-Amand-Montrond et de la France.

Cette initiative s'inscrit dans une démarche pédagogique et mémorielle renforcée par les deux expositions présentées ici :
- "Ce ne sont pas des jeux d'enfants", du Musée Yad Vashem, nous raconte l'histoire d'enfants rescapés, d'enfants ayant lutté pour rester en vie.
- "Désobéir pour sauver", de l'ONAC et du Comité Français pour Yad Vashem, rend hommage aux 54 gendarmes et policiers "Justes" et à leurs collègues restés à ce jour anonymes, en mettant en lumière les valeurs humaines et citoyennes qui les ont animés (4)."

Me Kiejman (Ph. JEA / DR).

Son intervention n'était pas prévue mais il eut à coeur de prononcer quelques mots lui aussi. Me Kiejman a rappelé combien sa famille a été frappée par la Shoah alors que lui était un enfant caché dans la région de Saint-Amand-Montrond. Son hommage a porté particulièrement sur ces instituteurs de la République auxquels Vichy ne put imposer de se taire et de s'aligner sur l'antisémitisme officiel du régime collaborateur (5).

3. Thierry Vinçon, Maire.
Inauguration de la Stèle : la Juste Pierrete Jurvillier et le Maire Thierry Vinçon (Ph. JEA / DR).

Thierry Vinçon :

- "Chère Pierrette, face à cette folie, voici près de soixante-dix ans, vous n'avez pas hésité à compromettre la sécurité de vos proches, à risquer la prison voire la déportation, ni à mettre en péril votre propre vie... pour des enfants, pour des femmes, pour des hommes que vous ne connaissiez même pas, mais des enfants, des femmes et des hommes pourchassés, traqués, en sursis de mort.

Au moment où la barbarie et la folie destructrice régnaient dans les camps, vous, les Justes, vous avez hébergé ces familles, apporté la tendresse aux enfants et un réconfort aux adultes.
Vous avez agi avec votre coeur, parce que les menaces qui pesaient sur eux vous étaient insupportables.

Vous avez agi avec la force d'une exigence non écrite qui primait sur toutes les autres : sauver une vie.
Vous n'avez pas cherché les honneurs. Vous n'en êtes que plus digne.

Les Justes de France et du Cher pensaient avoir simplement traversé l'Histoire.
En réalité, ils l'ont écrite !

Il était temps que nous leur exprimions notre reconnaissance.

(...) "Un peuple qui oublie son histoire est condamné à la revivre", disait Primo Lévi.
(...) Votre présence aujourd'hui, notre présence, ici, est la preuve que l'oubli et le déshonneur ne peuvent vaincre un peuple qui choisit de ne pas oublier."

4. Au nom du Préfet du Cher, le Sous-Préfet de Saint-Amand-Montrond.

Le Sous-Préfet de Saint-Amand-Montrond (Ph. JEA / DR).

Francis Blondieau :

- "Depuis trop longtemps, la ville de saint-Amand-Montrond voyait son nom accolé au nom de son maire {Papon} qui fut condamné en 1998 pour des faits qui n'avaient rien à voir avec la ville elle-même. Cette complicité de crimes contre l'humanité reconnue par la justice a pesé lourd dans l'image de la cité de l'or.
Vous avez souhaité, Monsieur le Maire, remettre de l'ordre dans cette mémoire collective et rétablir une vérité saint-amandoise.

L'exercice auquel vous nous conviez est également salutaire pour nous tous, habitants du Cher, qui sommes invités au banquet du souvenir, et à redire, à travers la célébration des Justes du Cher, notre compassion aux victimes innocentes de la barbarie nazie et notre attachement aux valeurs universelles des droits de l'Homme."

5. Au nom du Maire de Nottuln (Allemagne).

De g. à dr. : l'Adjointe au Maire Peter Amadeus Schneider, le Maire de St-Amand-Montrond, Thierry Vinçon.

La voix des habitants de Nottuln :

- "Pour nous, les représentants de Nottuln, ce, jour est marqué de trois sentiments :
Le sentiment de la honte, le sentiment de la commémoration et le sentiment de la gratitude.

Chaque souvenir de la terreur qui est partie du sol allemand est un sentiment de honte.

Et nous sommes reconnaissants des mains amies qui nous furent tendues.

Ces mains de l'amitié nous ont aidés et nous aident à maintenir le souvenir des victimes, et le souvenir des Justes qui sont honorés aujourd'hui avec "l'Esplanade des Justes".

Les citoyennes et les citoyens Nottulnois sont reconnaissants à leurs amis Saint-Amandois de les faire participer à cette cérémonie.

Tenons ensemble cette flamme de la mémoire et du souvenir vivante, afin que nos descendants puissent continuer à vivre dans la paix et dans l'amitié !"

NOTES :

(1) Editée par la Ville, plaquette de 52 pages couvrant toutes les facettes de ce mémorable 5 mai. Avec nos remerciements particuliers à Claudette Gaudin qui, au Cabinet du Maire, n'a cessé de veiller à documenter ce blog.

(2) Lire ce message page 224 de ce blog.

(3) La synthèse des dossiers Yad Vashem de ces Justes parmi les Nations compose la page 226 de ce blog.

(4) Voir page de 194 ce blog. A ces 54 Justes reconnus, il importerait d'ajouter Lucien Picot.

(5) Un reportage audio-visuel est proposé sur le Blog du Berry.