vendredi 28 août 2009

P. 166. Anna et Victor Gouy, Justes parmi les Nations

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Blasons de Limey-Remenauville et de la Ville de Grasse (Mont. JEA / DR).



Cérémonie à Grasse pour un sauvetage en Meurthe-et-Moselle...
 
Nice Matin :

- "Il est certains honneurs qui comptent dans la vie d'une personne qui les reçoit. La médaille des Justes parmi les Nations en fait partie. Robert Gouy a reçu cette distinction des mains de Simona Frankel, consul général d'Israël à Marseille pour ses parents à titre posthume.
Anna et Victor Gouy ont protégé des juifs pendant la seconde guerre mondiale, en les cachant dans leur cave pendant que la Gestapo était dans la salle à manger. Leur fils était petit à cette époque mais cette médaille représente beaucoup.
« C'est quelque chose d'énorme pour moi. J'ai 70 ans et ce qu'il s'est passé à ce moment-là m'a marqué à vie. J'espère aujourd'hui que mes enfants et petits-enfants prennent exemple sur mes parents et aident leur prochain », explique Robert Gouy.
Ils ont en tout cas de qui tenir."
(25 août).

Quelques précisions s'imposent après la lecture de ce bref compte-rendu.

Anna et Victor Gouy avaient leur ferme à Ansoncourt par Limey dans la Meurthe-et-Moselle.
Alors que la fin de la guerre n'était plus un rêve mais que les dangers n'en restaient pas moins mortels pour les persécutés raciaux, le couple Thouvenain fit appel à ces cultivateurs pour prendre leur relais. Et donc pour héberger à leurs risques et périls Berthe Hoffmann ainsi que ses deux filles, Eugénie et Ida.
Toutes trois échappèrent ainsi à la Shoah.


L'Institut Yad Vashem a reconnu à titre posthume Anna et Victor Gouy Justes parmi les Nations. Leur médaille et diplôme ont été confiés à leur fils Robert vivant actuellement à Grasse. Ce qui explique la localisation de la cérémonie à laquelle était délégué William Zekri, représentant du Comité Français pour Yad Vashem.

mercredi 26 août 2009

P. 165. Décès d'une Juste : Marianna Sloma Tysiak

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Diplôme d'Honneur de Juste parmi les Nations et portrait de Marianna Sloma Tysiak (Mont. JEA / DR).

Honorée ce 22 février à Loos-en-Gohelle,
Marianna Sloma Tysiak vient de s'y éteindre
à l'âge de 86 ans.

Le Comité Français pour Yad Vashem a la grande tristesse de vous informer du décès de cette Juste parmi les Nations. A ses parents et à ses proches, nous présentons l'expression de nos condoléances émues et les plus sincères.

Quel hommage lui rendre, sinon saluer sa mémoire en rappelant comment Mme Tysiak - ainsi que ses parents - prouvèrent que des courages spontanés et désintéressés firent même échouer la Shoah alors l'occupant nazi et ses collaborateurs étaient certains de faire triompher leur haine génocidaire !

Synthèse du dossier de reconnaissance auprès de Yad Vashem :

- Joseph et Marianna Tysiak immigrèrent en France en 1922. Lui descendit dans la mine et elle resta au foyer comme nourrice. Leur fille s'appelait Marianna Sloma.

Dès 1940, le couple rejoint les membres du POWN, un réseau polonais et leur ferme devient un lieu de la résistance.
Comme nourrice, Marianna apporte son affection à des enfants juifs au nombre desquels Norbert et Marie Cymbalista.
Lorsque les mesures anti-juives se précisent dans la région et se font de plus en plus menaçantes, M. et Mme Cymbalista, tailleurs à Lens, décident d'éloigner leurs deux enfants à la campagne. Ils les mettent à l'abri chez les Tysiak. Hélas, leur pressentiment se confirma : tous deux seront arrêtés lors des grandes rafles et déportés à Auschwitz (1) d’où ils ne reviendront pas.
Voilà comment et pourquoi, dès juillet 1942, les deux enfants juifs se retrouvent à Loos-en-Gohelle.


Les Tysiak décident de faire courir le bruit de l’arrestation par les Allemands non seulement des parents Cymbalista, mais aussi de leurs garçon et fille. Pour les mettre à l'abri des regards indiscrets et des délateurs, ils décident de cacher les enfants dans leur porcherie. Ils leur apprennent à s'y dissimuler dans les ballots de paille. A la moindre alerte, cette porcherie servira de cachette efficace.

En effet, une dénonciation conduisit les occupants chez les Tysiak. Les Allemands cherchèrent en vain les petits juifs, Marie et Norbert.


Et comme si ces risques n'étaient pas suffisants, la ferme de Loos-en-Gohelle servit de quartier général de la Résistance polonaise (fort active) dans la région.

Leurs parents ayant disparu en déportation, Marie et Norbert sont restés dans cette famille jusqu’en 1950. Ils furent scolarisés au village avant d'être pris en charge par la Communauté de Lens en 1950. Enfin, tous deux partirent vivre en Israël sans pour autant laisser se distendre les liens entre eux et les Tysiak.

La page 114 de ce blog est consacrée à la cérémonie du 22 février dernier, cérémonie au cours de laquelle Joseph et Marianna Tysiak, ainsi que leur fille Marianna Sloma, furent officiellement honorés comme Justes parmi les Nations. La même page souligne le remarquable travail de mémoire mené au Collège Cassin de Loos sur le sauvetage des petits Cymbalista.

NOTE :

(1) Au départ de la Kazerne Dossin à Malines (Belgique), XIe convoi avec les numéros 2287 et 2288.

lundi 24 août 2009

P. 164. "Jan Karski", le roman



Communiqué de presse :

- "Le Prix du roman FNAC 2009 a été attribué ce vendredi 21 août à Yannick Haenel pour son livre Jan Karski (Gallimard). Ce prix est attribué par des lecteurs et libraires à partir d'une sélection d'une trentaine d'ouvrages de la rentrée. Attention, le roman ne sortira en librairie que le 3 septembre."


Gallimard :

- "Varsovie, 1942. La Pologne est dévastée par les nazis et les Soviétiques. Jan Karski est un messager de la Résistance polonaise auprès du gouvernement en exil à Londres. Il rencontre deux hommes qui le font entrer clandestinement dans le ghetto, afin qu’il dise aux Alliés ce qu’il a vu, et qu’il les prévienne que les Juifs d’Europe sont en train d’être exterminés.
Jan Karski traverse l’Europe en guerre, alerte les Anglais, et rencontre le président Roosevelt en Amérique.
Trente-cinq ans plus tard, il raconte sa mission de l’époque dans Shoah, le grand film de Claude Lanzmann.
Mais pourquoi les Alliés ont-ils laissé faire l’extermination des Juifs d’Europe ?
Ce livre, avec les moyens du documentaire, puis de la fiction, raconte la vie de cet aventurier qui fut aussi un Juste."

Extrait :

- "Karski traverse l'hôpital en titubant, soutenu par les deux gestapistes. Une fois dehors, il chancelle et manque de s'écrouler. On le pousse dans une voiture, direction la prison. Une ois arrivé, on le traîne jusqu'au bureau de l'interrogatoire. Il trébuche volontairement, et s'effondre. On le mène à sa cellule, où il s'endort. Quelques heures plus tard, le médecin de la prison l'examine. C'est un Slovaque, il a reçu un coup de fil de son collègue à l'hôpital, et ordonne qu'on le sorte de là. Les deux gestapistes sont furieux, et ramènent Karski à l'hôpital.
Jan Karski passe ses journées à somnoler. Il est dans l'impasse, condamné à simuler la maladie pour se protéger de la Gestapo, sans pour autant avoir de solution.
Un jour, une jeune fille lui rend visite. Elle lui offre un bouquet de roses. Elle parle allemand, et veut que Karski pardonne à son peuple. Est-ce un piège ? Jan Karski ne l'a jamais vue. Le gardien la saisit, réduit en miettes le bouquet pour y chercher un message et l'entraîne brutalement hors de la pièce. Arrive un nouveau gestapiste, qui prétend que se servir d'une porteuse de roses est un stratagème ridicule ; et comme les amis de Jan Karski savent maintenant où il se trouve, il se voit, dit-il, dans l'obligation de le transférer."


Portrait d'un Juste parmi les Nations : Jan Karski avec en insert sa signature (Mont. JEA / DR).

Sylvain Bourmeau :

- "Vous connaissez sans doute Jan Karski pour l'avoir vu longuement interviewé dans Shoah, le film de Claude Lanzmann. Le romancier Yannick Haenel s'est emparé de la figure de ce résistant polonais, témoin occulaire du ghetto de Varsovie en 1942 pour en faire Jan Karski, un magnifique portrait moral et littéraire."
(Médiapart, 23 juillet 2009).


Lire :

- "Le 8ème prix du roman Fnac est attribué à Yannick Haenel pour son roman biographique Jan Karski.
Yannick Haenel, que la vie de Jan Karski a passionné, fait œuvre à la fois de romancier et d’écrivain. Jan Karski était un résistant polonais qui tenta en vain d’alerter les Allié sur le sort réservé aux juifs par les nazis. Il a publié ses mémoires en 1944. Quelques 40 ans plus tard, en 1985, il apporta son témoignage à Claude Lanzmann pour son film Shoah. Le roman sort en librairie le 3 septembre."
(21 juillet 2009).

Présentation de son roman par Yannick Haenel.

lundi 17 août 2009

P. 163. "Paris dans la collaboration"

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Cécile Desprairies,
Paris dans la Collaboration,
Préface de Serge Klarsfeld,
La Martinière - Seuil, 2009, 648 p.

Présentation par l'Editeur :

- "Entre 1940 et 1944, Paris vit au rythme de l'occupant : les réquisitions de biens publics et privés se multiplient, de grands hôtels deviennent des places stratégiques, les lieux de pouvoir se déplacent.Les restaurants, les garages, les bordels, les musées... : c'est toute la vie économique, sociale et culturelle de la capitale qui se trouve affectée. Certains Parisiens résistent, d'autres subissent, s'accommodent, voire collaborent. Fondé en grande partie sur des archives et des documents inédits, ce dictionnaire historique explore le Paris de l'Occupation, arrondissement par arrondissement, rue après rue, parfois numéro par numéro, et fait naître sous nos yeux une géographie dont la capitale garde encore trace aujourd'hui.Nourri de nombreuses citations extraites de témoignages de l'époque, l'ouvrage restitue l'ambiance d'une période qui continue de hanter notre mémoire."


L'auteur :

- "Cécile Desprairies est née et vit à Paris.Elle est philosophe et germaniste de formation. Pour cet ouvrage, elle a mené de longues recherches en France et en Allemagne. Elle est l'auteur de Ville lumière, années noires ( Denoël, 2008 )".

1940 : Ils triomphent devant l'Arc (DR).

David Nahmias :

- "Dans nos promenades parisiennes, nous sommes toujours sensibles à la lecture des plaques que nous rencontrons sur les murs des immeubles de Paris, ces plaques qui nous rappellent que tel ou tel écrivain, plasticien, musicien, homme politique a vécu, travaillé ou bien est mort dans cet immeuble de la rue Mazarine par exemple, ou bien dans cet hôtel particulier de l’avenue Malesherbes.

Mais il est rare de retrouver, sur ces plaques, les traces de l’occupant allemand pendant la dernière guerre.
Le livre de Cécile Desprairies comble cette lacune, ou plutôt va jusqu’au bout de l’information qui nous manquait ; chaque rue, avenue, boulevard parisien est répertorié scrupuleusement pour nous indiquer qu’à tel adresse l’immeuble avait été réquisitionné pour l’hébergement des pilotes de la Luftwaffe ou celui-ci pour le domicile du lieutenant Weber responsable de la presse française."
(Encres vagabondes, 25 mai 2009).


Jean-Pierre Amette :

- "Paris gigantesque caserne, mais aussi frénétique lieu de plaisirs. Dancings, cinémas, cabarets et bordels voisinent avec les centres d'interrogatoire ou les lieux de regroupement pour les juifs pourchassés. On y découvre une sinistre Association française des propriétaires de biens aryanisés et, plus loin, l'hôtel particulier de la princesse de Faucigny-Lucinge, devenu la résidence de Himmler. C'est une ville de villégiature et un lieu de repos pour les soldats venus du front de l'Est, mais aussi un centre de police terriblement efficace. On y tourne des films, on y boit du champagne et on y sert du caviar. On y achète et vend, à Drouot, des oeuvres d'art. Tandis que d'autres grelottent sur le trottoir avec leurs tickets de rationnement.
Ce guide surprend par l'étendue de ce qui est recensé.

Notre Paris de 2009 se révèle posséder un double maléfique, mal connu et mal enterré. C'est inquiétant, perturbant, troublant. Nous feuilletons un sinistre annuaire mondain dans une capitale qui a froid et faim. C'est d'autant plus perturbant, cette ronde de nuit et cette errance, que nous reconnaissons nos carrefours, nos magasins, nos restaurants et que de multiples fantômes viennent à notre rencontre."
(lepoint.fr, 5 mars).


La collaboration antisémite dans toute son infâmie : exposition "Le Juif et la France", septembre 1941 au Palais Berlitz (DR).

Jérôme Dupuis :

- "Le résultat forme un étonnant annuaire commenté, où l'on apprend que l'Automobile Club de la place de la Concorde était occupé par le trésorier-payeur allemand, que la brasserie Viel, place de la Madeleine, est devenue la Gast-stätte Victoria ou que la Coupole servait de dancing aux officiers du Reich. Par son effet d'accumulation, ce sinistre Monopoly en dit très long sur Paris à l'heure allemande."
(L’Express Livres, 2 juillet).


Pierre Assouline :

- "Le Paris de Cécile Desprairies est le négatif du Paris d’André Zucca. Des façades qui annoncent l’envers du décor. La mémoire des pierres est âpre. Ici pas de soleil. Plutôt la face cachée de la lune. Les images inconnues qu’elle a exhumées des archives fédérales à Coblence sont le plus souvent fortes, dures, sévères. L’auteur est notre guide dans le maquis des acronymes. Sans elle comment imaginerait-on que l’APA, qui avait pignon sur boulevard, regroupait l’Association des Propriétaires Aryens ? Comme quoi même les administrateurs provisoires de biens aryanisés devaient se rassembler afin de protéger leurs intérêts. Son récit, car ça en est un, est d’une grande sécheresse. On ne saurait l’être davantage. Des noms, des lieux, des faits, des dates. Gestapo française, immeuble du 180 rue de la Pompe, tortures et meurtres, toute la bande se retrouve libre en 1952 par la vertu de l’amnistie présidentielle. Sans commentaire parce qu’il n’y a même pas à commenter. Ce n’est pas l’objet de sa recherche. D’autres, certainement, s’y mettront un jour. Ce que cette germaniste a fait, elle l’a fait convaincue que si l’Allemagne avait réussi un remarquable travail sur elle-même, la France s’était contentée de non-dits alors qu’on respire tellement mieux lorsqu’on sort vraiment les cadavres du placard."
(La république des livres, 5 août).


Sur la façade du 91, rue Lauriston (DR).



lundi 10 août 2009

P. 162. Hélène Duc et Denise Canal , Justes parmi les Nations

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Hélène Duc, Entre Cour et Jardin, Mémoires, Ed. Pascal, 2005.
En médaillon : Robert Marcy, sauvé de la Shoah par la comédienne et sa mère, Jeanne (Mont. JEA/DR).

En qualité de Justes parmi les Nations,
Hélène Duc est dorénavant Officier de la Légion d'Honneur
et Denise Varennes-Canal, Chevalier.

Hélène Duc restera aussi dans les mémoires pour avoir créé le personnage de Mahaut dans la première adaptation télévisée des Rois maudits. Mais sur ce blog, les lecteurs comprendront la priorité donnée à son courage désintéressé sous l'occupation.
Avec sa mère Jeanne, institutrice, voici une synthèse des circonstances dans lesquelles Hélène Duc a amplement mérité le titre de Juste :

- "La famille Marx, française depuis plusieurs générations vit à Paris. Leur fils Robert est comédien sous le nom de Robert Marcy.

En 1940, M. et Mme Marx et leur fille, Annette, s’installent à Montpellier et y resteront jusqu’en 1942. Tandis qu'à l’automne 1940, Robert Marcy devait être engagé dans la troupe de la Radio diffusion nationale repliée à Marseille. Mais avant même qu'il n'ait mis un pied dans les studios, le directeur lui signifie son licenciement en application des lois antisémites.
Il obtient néanmoins des rôles dans des troupes locales. Étant tombé malade, Robert Marcy rejoint ses parents à Montpellier.
La situation devient de plus en plus précaire : d'autres acteurs avec lesquels il aurait dû jouer sont déportés fin 1942.

À partir de l’invasion de la zone dite "libre", les dangers s'aggravent pour la famille.
Robert qui a vingt-deux ans, prend la fausse identité de "Robert Morand". Il demande à Hélène Duc, camarade de troupe et originaire de Bergerac, de l’abriter. Celle-ci va le cacher chez sa mère Jeanne Duc pendant quelques semaines... Le temps qu’Hélène trouve une autre cachette en Dordogne. Ce refuge se situe au hameau du Peymilou-de-Prigonrieux chez Jacques et Simone Rousseau, où il passera l’hiver 1943.
Inlassablement, Hélène Duc s’attache au sauvetage de toute la famille Marx. Après le fils, elle sauve M. et Mme Marx ainsi que leur fille, Annette. Ces derniers seront abrités dans un hameau isolé à quinze kilomètres de Bergerac : Saint-Georges-de-Blan-Caneix.
Avoir trouvé un toit ne lui suffit pas. Hélène Duc s’occupe d’organiser l'existence clandestine des persécutés, et ce avec un dévouement exemplaire.

Les lieux deviennent au bout de quelques mois, un centre du maquis et la maison où logeaient les Marx, une infirmerie de fortune, tandis que les trois persécutés se transforment en infirmiers.
À deux reprises, les troupes allemandes entreprennent des expéditions punitives dans les environs. Les Marx étaient en danger, mais la chance fut avec eux et ils purent bénéficier de ce refuge jusqu’à la Libération.

Hélène Duc et sa mère Jeanne Duc, institutrice, ont pu sauver des dizaines de Juifs, à Bergerac et à Marseille."

Article paru dans les éditions du Groupe Centre France, avec la signature de Manuel Rispal. Nos remerciements à ce dernier (DR).

Manuel Rispal :

- "Denise Canal, aujourd'hui épouse Varennes, vit à Ytrac (Cantal). Elle a notamment sauvé son amie juive Françoise Cohen. Elle a eu une pensée pour sa mère, Florine, Juste, et son père, Henri, qui, comme elle a eu la Légion d'honneur puis la médaille des Justes."

Henri et Florine Canal, Justes parmi les Nations (BCFYV/DR).

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lundi 3 août 2009

P. 161. Archives de la vie littéraire sous l'occupation

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Présentation par l'Editeur :

« Pour ma part, depuis plusieurs années déjà je voyais venir ce qui est arrivé ; mais la réalité s’est chargée de dépasser ce que la fantaisie la plus sombre aurait pu imaginer. Nous avons touché le fond de l’abîme. Du moins saurons-nous maintenant où était le mal.»
Henri BERGSON à Léon BRUNSCHVICG, 31 juillet 1940.

«C’est une chose cruelle d’avoir à essayer d’expliquer le désastre de son pays. À vrai dire nous ne mesurons pas encore l’étendue de notre malheur.»
Jacques MARITAIN, À travers le désastre (1941).

- "Depuis la « montée des périls » jusqu'aux lendemains de la Libération, quelle a été la vie quotidienne des intellectuels français ? De quels enjeux ont-ils été les otages ou les porte-parole ? Quelles formes ont-ils données à leurs débats politiques et moraux, à leurs angoisses et à leurs espoirs ? Les questions, les archives déposées à l'Institut Mémoires de l'Edition contemporaine (IMEC) - et les documents provenant de la New York Public Library (NYPL), du Mémorial de Caen, du Deutsches Literatur Archiv de Marbach, de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) et de collections privées - répondent avec sensibilité et réalisme: plus de six cent cinquante pièces d'archives sont présentées ici, illustrant la difficile situation des représentants de l'« intelligence en guerre», tout au long de ces « années noires ».

Qu'ils soient collaborateurs, attentistes, déportés, prisonniers, résistants de la première ou de la dernière heure, en exil ou dans la clandestinité, les intellectuels français se sont abondamment servis de la première de leurs armes: les mots. Pris dans l'engrenage du « désastre » dont parle Jacques Maritain, entraînés au « fond de l'abîme » qu'évoque Henri Bergson, écrivains et artistes, poètes et philosophes, directeurs de revues, journalistes, imprimeurs sont confrontés à une guerre totale, méthodiquement dirigée « contre l'Esprit ». Bien qu'occulté par les stratégies des hommes politiques et des militaires, leur rôle s'avère pourtant décisif : c'est que l'affrontement a lieu aussi au coeur même des pages des revues littéraires et poétiques et, en particulier autour de La Nouvelle Revue française - l'une des trois « puissances » françaises que les nazis veulent s'approprier : « Tu peux serrer dans ta main une abeille jusqu'à ce qu'elle étouffe, écrit Jean Paulhan en février 1944, pour symboliser la Résistance intellectuelle. Elle n'étouffera pas sans t'avoir piqué. C'est peu de choses, dis-tu. Oui, c'est peu de choses. Mais si elle ne te piquait pas, il y a longtemps qu'il n'y aurait plus d'abeilles.»

Auteurs :

Olivier Corpet est le directeur de l'Institut Mémoires de l'édition contemporaine (IMEC). Fondateur de La Revue des revues, il a participé à de nombreux ouvrages d'histoire littéraire et oeuvré, notamment, à l'édition critique d'oeuvres de Louis Althusser et d'Alain Robbe-Grillet. Il a récemment édité Woman of Letters : Irène Némirovsky and Suite Française (avec Garrett White, Five Ties, 2008) et dirigé la publication des Cahiers de la guerre de Marguerite Duras (POL/IMEC 2006) et du catalogue Christian Dotremont (IMEC, 2005).

Claire Paulhan : historienne de la littérature, est chargée de mission à l'IMEC et éditrice. Elle a réalisé plusieurs catalogues d'exposition (De Pontigny à Cerisy, 2002 ; Archives des années noires, 2004, etc.). Elle contribue également à la découverte de textes autobiographiques du XXe siècle, notamment à travers la maison d'édition qui porte son nom. On lui doit ainsi l'édition critique de textes de Catherine Pozzi, Jean Paulhan, Jean Follain, Valery Larbaud, Mireille Havet, ainsi que de Jean Grenier, dont elle a publié, avec Gisèle Sapiro, Sous l'Occupation.

Robert O. Paxton : historien de la France et de l'Europe au XXe siècle, est professeur émérite à Columbia University (New York). Ses travaux ont fortement contribué à renouveler l'historiographie de l'entre-deux-guerres et de la Seconde Guerre mondiale. Citons notamment : La France de Vichy, 1940-1944 (Seuil, 1973, 1997), L'Armée de Vichy : le corps des officiers français, 1940-1944 (Tallandier, 2004) et Le Fascisme en action (Seuil, 2004).

Sommaire :

- De l'avant-guerre à la débâcle.
- Vivre et survivre sous l'occupation.
- Les métiers du livre et de la presse sous la férule nazie.
- Séductions de la collaboration intellectuelle.
- Faits prisonniers.
- Persécutés et déportés.
- Oser résister : le combat de l'esprit.
- Solidarités internationales.
- La libération et ses lendemains.

(1) Symboles de la collaboration littéraire, ces "voyageurs de Weimar" : Brasillach, Drieu la Rochelle, Ramon Fernandez (Mont. JEA / DR).

Critiques :

Jérôme Garcin.

- "On y trouve des tracts antisémites et anticommunistes, des fac-similés de lettres et de journaux, la reproduction de la liste Otto des ouvrages interdits ou les couvertures des Editions de Minuit clandestines. Citons, parmi tant de raretés :

- une photo de l'élève officier Louis Althusser avant d'être fait prisonnier ;
- un reportage sur l'inauguration de l'exposition Breker à l'Orangerie, où Cocteau voisine avec Brasillach ;
- une lettre de Bergson à Brunschvicg : «Du moins saurons-nous maintenant où était le mal» ;
- le manuscrit du poème «Liberté» d'Eluard ;
- et cette conférence inédite prononcée par Sartre, en 1946, à Montréal, où le philosophe a cette phrase sidérante : «La Résistance littéraire n'a pas laissé d'oeuvres, elle a laissé un esprit...»
Un peu plus loin, comme pour lui répondre, Michel Prévost raconte la mort, les armes à la main, de son père, Jean Prévost, assassiné par les nazis au pied du Vercors. C'était un écrivain.
(Le Nouvel Observateur, 4 juin 2009).


(2) "Brochette d'artistes qui font la risette au milieu des nazis : Paul Belmondo, Paul Landowski, André Derain" (Mont. JEA / DR).

François-Guillaume Lorrain :

- "On connaissait le voyage à Weimar des écrivains Drieu la Rochelle, Ramon Fernandez, Brasillach (1) ou Chardonne, invités en octobre 1941 à s'enivrer des charmes de l'idéologie nazie. Grâce aux fabuleuses « Archives de la vie littéraire sous l'Occupation » (650 documents commentés), on découvre le même pèlerinage, moins connu, de nos artistes qui, le mois suivant, font risette gare de l'Est au milieu des nazis. Jolie brochette : Paul Belmondo, Paul Landowski, André Derain (2)...

Que de perles dans ce travail de l'Imec qui balaie toutes les attitudes, exhume revues, carnets secrets, missives intimes, témoignages à chaud, comme ce premier récit d'Oradour-sur-Glane transmis par Georges Duhamel... On revit, rue des Arènes, l'arrestation de Jean Paulhan, l'ex-directeur de La NRF résistant, qui devra son salut à l'intervention de... Drieu la Rochelle, pourtant passé à l'Allemand : solidarité entre directeurs de La NRF !
C'est aussi Louis Althusser qui jette un dernier billet de son wagon plombé : « Prévenez l'Ecole ! » ; cette Rue d'Ulm dont le directeur, Jérôme Carcopino, vient de signifier son congé à son professeur juif, Jean Wahl : « Je vous prie de vous considérer comme déchargé de la tâche que vous aviez si aimablement acceptée. » Qu'en termes choisis ces choses-là sont dites ! Quand Bernard Grasset, premier éditeur d'Irène Némirovsky, a de lui-même retiré ses livres de la vente, Robert Esmenard, à la tête d'Albin Michel, écrit à cette femme interdite de publication pour l'assurer de son aide financière. Tout est dit !"
(Le Point, 4 juin 2009).


(3) "Créateurs exécutés" : Benjamin Fondane, Irène Némirovsky, Max Jacob, Benjamin Crémieux (Montage JEA / DR).

Antoine Perraud :

- "Deux lettres résument la période. En novembre 1940, Gaston Gallimard écrit sèchement à Jacques Schiffrin, créateur de la «Bibliothèque de la Pléiade», pour le congédier, en vertu de la législation antisémite tout juste en vigueur. En septembre 1944, Raymond Gallimard, le frère de Gaston, écrit la bouche en cœur au même Jacques Schiffrin, qui avait pu trouver refuge à New York, l’invitant à reprendre sa tâche, lui signalant, comme si de rien n’était, qu’un Rimbaud va paraître en Pléiade… Jacques Schiffrin ne devait pas revenir. Il s’en explique dans une lettre poignante à Jean Paulhan.


On découvre les tragiques tribulations de Jean Wahl, professeur révoqué de l’Alma Mater. On tombe, dans l’Oflag IV-D, sur le PDG (prisonnier de guerre) 2323, Jean Guitton, qui tient son Journal de captivité. Et pendant ce temps, sur un papier à en-tête du dispensaire municipal de Bezons (Seine-et-Oise), le docteur L.F. Destouches (Céline), adresse un courrier à l’une des âmes damnées de l’ambassade du Reich à Paris, Karl Epting, lui demandant d’intercéder afin que l’éditeur Denoël ne manque plus de papier «pour imprimer mes livres»…

Les pages les plus passionnantes reflètent les activités de la revue Confluences, autour de René Tavernier à Lyon, ou de la revue Fontaine, à Alger, animée par Max-Pol Fouchet, qui reproduisait fièrement la lettre menaçante que lui avait adressée le secrétaire d’État à l’information, Paul Marion, exaspéré par l’hostilité du périodique manifestée entre les lignes: «Ces allusions, pour habiles qu’elles soient, si elles échappent aux censeurs locaux, n’en sont pas moins notées à Vichy.»

De tous les documents, les plus émouvants concernent les créateurs exterminés (3) : Irène Némirovsky, Max Jacob, Benjamin Crémieux, ou encore le poète Benjamin Fondane, arrivé de Roumanie à Paris en 1923, qui apparaît en ces pages par la grâce d’une photographie d’identité qu’avait conservée de lui Jean Paulhan."
(La-Croix.com, 2 août 2009).