mardi 23 février 2010

P. 206. La famille Antier et le petit Jean Wagener

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Mairie de Champtoceaux, Maine-et-Loire (Ph. BCFYV-Bensaadon / DR).

Trois Justes à Champtoceaux :
Auguste et Marie-Joséphine Antier
(à titre posthume)

ainsi que leur fils Auguste

L'Echo d'Ancenis et du Vignoble :

- "Auguste Antier a reçu dimanche 29 novembre la médaille des Justes en présence de David Wagener fils de Jean Wagener, qu’il avait recueilli avec ses parents pendant la seconde Guerre mondiale.
De nombreuses personnalités étaient présentes à la cérémonie. C’est Shlomo Morgan, ministre conseiller à l’information à l’ambassade d’Israël à Paris, qui a décoré Auguste Antier.
Alfred Shabbah, délégué régional de Yad Vashem, a rappelé que « la médaille des justes était la distinction suprême » décernée par l’état d’Israël à des non juifs pour marquer la reconnaissance du peuple juif."
(15 décembre 2009).

Synthèse du dossier Yad Vashem :

- "La famille Wagener se composait du père, Szlama Wagener, né en 1906 en Pologne, de la mère Fajgla, née Garncarz en 1916 à Pilica, et de leur fils Jean, né en 1935.
Le père, fait prisonnier de guerre, est interné dans un stalag près de Hambourg.
Jean vit alors à Paris avec sa mère au domicile familial qui servait, avant la guerre, d’atelier.
Mais la vie à Paris devient très difficile.

Madame Wagener confie donc son fils à l’association « La Famille du Prisonnier » pour le protéger.
Jean se rappelle encore qu’ils étaient douze enfants au départ de Paris. En septembre 1942, ils sont montés à Cholet dans une camionnette à gazogène qui s’arrêtait dans les villages pour laisser les enfants dans des familles d’accueil.


A Champtoceaux, c’est l’abbé Bricard qui aide les familles juives et qui se charge du placement.
Né le 19 septembre 1924 et fils du boulanger de Champtoceaux, Auguste Antier est chargé de conduire Jean chez une très vieille dame dans une ferme située à l’écart du village. Mais l’enfant est affolé et Auguste retourne chez ses parents pour les convaincre d’accueillir le gamin à leur propre domicile.
Jean, tout de suite, sera considéré comme un membre de la famille.
Pour les villageois, il sera « le petit Parisien ». Seule la famille Antier et l’abbé Bricard connaissaient ses véritables origines.

Jean reste deux ans chez les Antier, soit jusqu’à la Libération.
Quand ses parents viennent le chercher, la séparation sera difficile.
Durant de longues années, il continuera à passer ses vacances d’été chez les Antier, et leurs liens perdureront au fil des ans."


Le Pr. Alfred Shabbah, délégué du Comité Français pour Yad Vashem et Auguste Antier fils, Juste parmi les Nations (Ph. BCFYV-Bensaadon / DR).

Auguste Antier :

- "Mon père était boulanger, j’avais 18 ans et je faisais les livraisons de pain dans la campagne. L’abbé Bricard, un vieux monsieur énorme avec une grosse ceinture, s’activait pour sauver les enfants juifs, et aidait les prisonniers par des collectes de colis.
C’est lui qui a accueilli Jean Wagener et il m’a chargé de le conduire à l’Aujardière dans la remorque de livraison du pain qui était accrochée à mon vélo. La dame préférait recevoir une fille. En plus, Jean a été surpris de voir cette femme tout habillée en noir, la maison était sombre, il a cru être chez une sorcière.
J’étais très ennuyé. J’ai donc ramené Jean chez l’abbé Bricard. Il fallait trouver une solution, l’abbé m’a dit : " Garde-le, il sera bien chez toi". Je l’ai donc ramené à la maison."

Shlomo Morgan, Ministre-Conseiller à l’Ambassade d'Israël :

- "En janvier 2007, la France a rendu un vibrant hommage aux Justes parmi les Nations, introduits au cœur du Panthéon. Toute la France a été touchée par la reconnaissance enfin étalée au grand jour de ces héros ordinaires.
Ordinaires ?
On a tendance à le croire, tant ils sont humbles et discrets, au point que l’on commence à peine à évoquer le terme de « résistance civile ». Quand on écoute l’histoire des Justes, tous - quels qu’ils soient- on se rend compte qu’ils sont extraordinaires.
Car souvenons-nous : des années déjà avant la Seconde Guerre mondiale, les Juifs sont diabolisés, déshumanisés, et - petit à petit - mis au ban de la société. Entre 1940 et 1945, la France traverse la période la plus sombre de son histoire. Elle a capitulé devant l’Allemagne nazie et les Juifs sont fichés, pourchassés comme des bêtes, raflés et persécutés.
La barbarie nazie est une machine de mort infernale, minutieuse, qui ne laisse rien au hasard. Personne n’est épargné : hommes, femmes, enfants et vieillards.
Plus de 76.000 Juifs - un quart de la population juive en France - ne pourront échapper à un destin tragique et seront exterminés dans les camps de la mort.
Six millions de Juifs en Europe seront ainsi assassinés dans ce qui constitue le plus grand crime industriel de l’histoire de l’humanité.
La période est sombre. La France connaît ses collaborateurs, de triste mémoire, qui non seulement aident les nazis, mais parfois même les devancent dans leur entreprise. La France, c’est encore une grande majorité silencieuse et passive, parfois par indifférence, souvent par peur.
Mais la France, c’est aussi de merveilleux éclats de lumières qui surgissent de l’obscurité. Alors qu’ils pouvaient fermer leurs yeux, passer en silence, ils ont été happés par le drame et se sont mis en danger de mort, eux et leur famille, pour sauver des Juifs. Ils l’ont fait avec toute leur âme, tout leur cœur. Certains y ont laissé leur vie.
Ordinaires ? C’est vrai que les Justes considèrent que ce qu’ils ont fait était naturel, qu’il n’aurait pu en être autrement, et même qu’ils auraient dû en faire plus. Mais on voit bien que les Justes n’ont pas seulement sauvé des innocents d’une mort certaine, muraille contre la barbarie ; ils ont sauvé la dignité de l’homme, ils ont sauvé l’honneur de la France. Le Talmud va même plus loin, quand il dit : « Qui sauve un homme sauve l’humanité entière ».
Le peuple juif n’oublie pas. Ni les bourreaux et leurs collaborateurs. Ni ces Justes, êtres exceptionnels, lumières des nations. Ils nous rappellent que le courage se trouve bien souvent hors des idées reçues partagées par la majorité.
Chers amis,
Dans une génération, il n’y aura plus de témoin vivant de la Shoah. Il restera les livres, les musées, les photos, les documents. Et cette blessure indélébile dans le cœur de l’humanité, cette déchirure immense.
Il incombe à tous de préserver le souvenir précis de cette tragédie humaine. Pas seulement pour la mémoire des morts sans sépultures. Pas uniquement pour honorer les Justes, ces perles de l’humanité. Mais aussi pour préserver notre avenir à tous. La mémoire est un outil indispensable à l’homme pour se construire dans le futur. On ne bâtit rien sur l’oubli ou le mensonge.
L’antisémitisme n’a pas disparu. La haine et le totalitarisme non plus. Le radicalisme refait surface en Europe, au Moyen-Orient, partout où il peut. Les expressions de haine vis-à-vis des Juifs et d’Israël prennent des formes intolérables. On le voit avec le Président iranien, qui appelle à anéantir Israël. On le voit avec le président vénézuélien qui lui emboîte le pas. On voit un refus de reconnaître au peuple juif son droit à l’indépendance politique. On voit même un déni de reconnaître l’Etat d’Israël et une volonté affichée de le détruire.
Aujourd’hui, le peuple juif a retrouvé sa patrie et la liberté. La renaissance de l’Etat d’Israël est une barrière contre la haine, mais l’Histoire nous a appris à ne jamais sous-estimer les menaces, même quand elles changent d’acteurs.
La Médaille des Justes parmi les Nations est la plus haute distinction de mon pays, et c’est avec un très grand honneur et une immense gratitude que je la remets aujourd’hui au nom du peuple juif et de l’État d’Israël.
Chers Justes, nous vous sommes à jamais reconnaissants de ce que vous avez accompli au péril de votre vie. C’est ce qui nous donne encore la force de croire en cette humanité.
Merci à vous du fond du cœur."


Le Juste et fils de Justes, Auguste Antier aux côtés de Shlomo Morgan, Ministre-Conseiller à l'Ambassade d'Israël à Paris (Ph. BCFYV-Bensaadon : DR).

Message de David de Rothschild, Président de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah :

- "C'est avec regret que je ne peux être présent lors de cette cérémonie au cours de laquelle sera remise, la médaille des Justes parmi les Nations à M. AUGUSTE ANTIER et à ses parents AUGUSTE et MARIE-JOSEPHINE ANTIER, à titre posthume, pour avoir sauvé la vie de Jean WAGENER durant la Seconde Guerre mondiale.
Alors que nous saluons cet acte de courage et d'humanité, il est essentiel de rappeler que dans la plupart des pays européens, la grande majorité des communautés juives a été décimée dans les camps d'extermination ou, comme ce fut d'abord le cas, dans les forêts et villages d'Ukraine, de Pologne, de Lituanie ou de Biélorussie.
En France, 76.000 Juifs - dont 11.000 enfants - ont été déportés, avec la complicité des autorités du gouvernement de Vichy. Après la guerre, seuls 2.500 Juifs sont revenus ; aucun enfant ne se trouvait parmi eux. Il faut cependant rappeler que les trois quarts des Juifs, en France, ont eu la vie sauve. Car, partout dans notre pays, il y eut des hommes et des femmes de cœur et de courage, qui ont aidé des Juifs. Ces actes individuels ou collectifs n'allaient pas de soi à une époque où la vindicte générale se déchaînait.
Au moment où la barbarie la plus absolue régnait dans les camps, ces « Justes parmi les Nations », reconnus par l'Institut Yad Vashem de Jérusalem et honorés par l'Etat d'Israël, ont non seulement sauvé des vies humaines, mais aussi incarné l'honneur de l'humanité qui, grâce à eux, n'a pas totalement sombré à Auschwitz.
Ce sont ces Justes, comme AUGUSTE et MARIE-JOSEPHINE ANTIER- CUSSONNEAU, et leur fils AUGUSTE, ainsi que tous ceux restés jusqu'à ce jour inconnus, que Jacques CHIRAC et Simone VEIL ont souhaité honorer à travers l'hommage national qui leur fut rendu en 2007. Leur mémoire, aujourd'hui gravée dans le marbre du PANTHEON, nous rappelle à tous que l'Histoire est constituée d'une longue chaîne de responsabilités, individuelles et collectives, et que chacun de nous en est un maillon précieux, qui fait que l'Histoire chavire ou au contraire avance.
AUGUSTE et MARIE-JOSEPHINE ANTIER-CUSSONNEAU, et leur fils AUGUSTE ANTIER, à qui l'on décerne aujourd'hui la médaille des Justes l'ont faite avancer. Ils ont été, comme on peut le lire désormais dans la crypte du Panthéon, des «lumières dans la nuit de la Shoah».
Que leur action courageuse soit une fierté pour leur famille, leurs amis, leur ville et notre pays.
En honorant aujourd'hui leur mémoire, nous témoignons de notre attachement aux valeurs de justice et de paix pour lesquelles ils n'ont pas hésité à mettre en péril leur vie et celle de leurs proches."


David Wagener, fils de l'enfant caché et Auguste Antier, l'un des sauveurs de son père (BCFYV-Bensaadon / DR).

mercredi 17 février 2010

P. 205. Tout un symbole : trois Justes à Vichy

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Une photo qui résume à elle seule la cérémonie de Vichy, avec présentation des portraits, des médailles et des diplômes des nouveaux Justes (Ph. Gilbert Karo / DR).

Henri et Henriette Julien
Jean-Pierre Toquant
Justes parmi les Nations

Ce 11 février, Claude Malhuret, Maire de Vichy, et Annie Karo, Déléguée du Comité Français pour Yad Vashem, invitaient dans les salons de l'Hôtel de Ville de Vichy pour une cérémonie exceptionnelle en ces lieux marqués par l'histoire de l'Etat dit Français.
Cette cérémonie était rehaussée par la présence de Michel Harel, Ministre aux affaires administratives près l’Ambassade d’Israël et par celle du Sous-Préfet.

A titre posthume, le couple "pédagogique" formé par Henri et par Henriette Julien était officiellement honoré de même que Jean-Pierre Toquant, hôtelier.
Unie par les souvenirs douloureux des jours de la Shoah mais aussi des actes de courage de celles et de ceux qui s'opposèrent à la persécution des juifs, une foule imposante avait tenu à entourer les ayant-droits des nouveaux Justes. Au premier rang du public, se détachaient aussi des "enfants" sauvés telles Flore Arama et Viviane Lévy...

A la tribune, Annie Karo, Déléguée du Comité Français pour Yad Vashem (Ph. Gilbert Karo / DR).

Synthèse du dossier Yad Vashem aux noms d'Henri et d'Henriette Julien :

- "En 1939, Henri et Henriette Julien sont instituteurs à l’école de la Treille dans la banlieue de Marseille.
Très impliqués politiquement, ils s’étaient engagés en 1936 en Espagne, aux cotés des Républicains.
Ils avaient recueilli et adopté un petit orphelin espagnol, Jacques.

Dès le début de l’Occupation, Henri et Henriette Julien s’impliquent dans le sauvetage d’enfants de résistants arrêtés ou de prisonniers politiques, et d’enfants juifs.
Ils sont les représentants de la Croix Rouge à Marseille, et en relation avec l’Organisation de Secours aux Enfants dont ils reçoivent de l’aide.

En 1942, ils sont détachés de leurs classes par l’Inspecteur d’Académie M Gossot, et emmènent, afin de les protéger, une cinquantaine d’enfants dans une ferme à Maussane dans les Alpilles.
Cette ferme est également une halte d’enfants juifs que l’on fait passer en Suisse.

En 1943, M Gossot fait mettre à la disposition des instituteurs une grande maison, au Mas Blanc, près de St Rémy de Provence où ils continuent de protéger et d’éduquer les enfants.
Ils sont une quinzaine de pensionnaires dont la moitié sont des enfants juifs.

Mais à l’automne 1944, le groupe est obligé de fuir et trouve refuge à Rovon au pied du Vercors. La vie reprend pour les jeunes pensionnaires qui sont rapidement rejoints par de nombreux autres enfants, fils ou filles de résistants de la région.
Tous leurs protégés seront sauvés et, après la guerre, les Julien continueront à s’occuper de maisons d’enfants."


Henriette et Henri Julien, Justes parmi les Nations (Arch. fam. / DR).

- "Nous avons retrouvé le témoignage de 4 enfants juifs qui ont bénéficié de la protection d’Henri et Henriette Julien :

- celui de Flore Arama et de ses cousins Maurice et Denise, tous les 3 confiés aux Julien
après les grandes rafles de Marseille en Janvier 1943 et dont une grande partie de la famille sera déportée en Mars 1943.
Henri et Henriette Julien cacheront aussi Mathilde., la mère de Maurice et Denise Arama, Mathilde épaulera avec efficacité et dévouement les Julien pendant près de 3ans.

- et le témoignage de Jean Marguilès, que ses parents, juifs autrichiens et résistants, confient aux Julien en 1942.
Jean est alors âgé de 3 ans et il restera jusqu’à la fin de la guerre sous la protection d’Henri et Henriette Julien qui l’élèveront comme leur propre enfant."


Assis, de g. à dr. : Flore Arama et son cousin Maurice Arama (Ph. Gilbert Karo / DR).

Synthèse du dossier Yad Vashem de Jean-Pierre Toquant :

- "Viviane Lévy est née à Vichy en 1924.
En 1939, elle y habite avec toute sa famille, rue Couturier.
Son grand père Paul exploite depuis 1905, avec ses 2 fils Roger et Marcel, un magasin de meubles, Place de la Poste.
Roger, le père de Viviane, est grand invalide de guerre, décoré de la Croix de Guerre avec Palmes, Chevalier de la Légion d’Honneur, et son frère Marcel ancien combattant 14-18.

En 1942, la famille Lévy est sommée de quitter le département de l’Allier dans les 48h en raison de leur qualité de «juif» tandis que leur magasin est réquisitionné par la police de Bousquet.

Les Lévy se rendent alors dans la Loire, au Coteau, petite ville près de Roanne, où ils s’adressent à Jean-Pierre Toquant, propriétaire de l’Hôtel du Centre.
En effet, les grands parents Lévy avaient connu les grands parents de Jean-Pierre Toquant, Blaise et Jeanne, pendant la 1ère guerre mondiale.
Les Lévy sont en possession de faux papiers sous le nom de Lemery, qui leur ont été fournis par leur cousine Liliane Klein avec l’aide d’un réseau de résistance de Grenoble."


Photo et signature de Jean-Pierre Toquant (Arch. fam. / DR).

- "Mais les rafles font rage dans la région, et l’hôtel est en partie réquisitionné par les allemands.
M Toquant juge préférable de ne pas déclarer la famille Lévy et met à leur disposition un appartement, provisoirement vacant.
Jean-Pierre Toquant héberge également dans son hôtel des résistants et des officiers venant de Londres.
Victime d’une dénonciation, il est arrêté par la Gestapo mais il a eu la présence d’esprit de passer le relais à une proche, Mme Longère, qui vient chercher au petit matin, les 6 membres de la famille Lévy et les cache dans 2 petites pièces au dessus de son garage où ils resteront jusqu’à la Libération.
Jean-Pierre Toquant, grâce l’intervention de son ami Albert Burnichon, est rapidement libéré et aussitôt il reprend le ravitaillement quotidien de la famille Lévy.
Durant ces mois de « traque » et de « cache » (comme les qualifie Viviane Lévy dans son témoignage) M Paul Lévy et sa sœur Julie décèdent, et, c’est grâce à l’aide et au courage de M Toquant qu’ils pourront être inhumés au Coteau, avant d’être transférés en 1945 dans le caveau familial à Paris.
Après la guerre, les Lévy reprendront leurs vies familiale et professionnelle à Vichy.."


Liliane Klein et Viviane Lévy (Ph. Gilbert Karo / DR).

Fils des deux Justes, Jacques Julien reçoit leur diplôme et médaille des mains de Michel Harel, Ministre aux affaires administratives près l’Ambassade d’Israël (Ph. Gilbert Karo / DR).

Michel Harel, Ministre aux affaires administratives près l’Ambassade d’Israël, confie à René et à Michel Toquant le dîplôme et la médaille amplement mérités par leur père (Ph. Gilbert Karo / DR).

NB : Nos remerciements à Annie Karo qui a permis la réalisation de cette page.


vendredi 12 février 2010

P. 204. L'Ecole Orgemont et les Justes d'Argenteuil

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L'école mixte Orgemont, place des Vosges à Argenteuil (Ph. BCFYV / DR).

Cécile et Arthur Magnier
Justes parmi les Nations
pour avoir sauvé
Charlotte et Paulette Storch

Sur la page de 200 ce blog, vous avez pu découvrir les souvenirs toujours vivaces de Charlotte Barillet-Storch, enfant cachée. Concrètement, celle-ci les avait mis par écrit afin qu'ils constituent l'une des bases du dossier de reconnaissance comme Justes parmi les Nations de Cécile et d'Arthur Magnier.
Ce début février 2010, une cérémonie concrétisait cette reconnaissance par la remise de la Médaille et du Diplôme aux petites-filles de ces deux Justes.

A l'invitation du Maire d'Argenteuil, Philippe Doucet, de l'Inspecteur d'Académie Jean-Louis Brison, du Directeur de l'école d'Orgemont (1), Jean-Michel Polge (2), ainsi que des deux délégués du Comité Français pour Yad Vashem, Viviane Saül (2) et Paul Ejchenrand, cette cérémonie eut pour cadre l'école même, au centre de cette histoire lumineuse au milieu des horreurs de la Shoah.

A la tribune, de g. à dr., Philippe Doucet, Maire d'Argenteuil et Viviane Saül, déléguée du Comité Français pour Yad Vashem (Ph. BCFYV / DR).

Synthèse du dossier de Yad Vashem :

- "David Storch, né à Narol (Pologne) en 1901, arrive à Paris dans les années 1920. Il y rencontre Rivka Tepper avec laquelle il se marie en 1931 et de cette union naîtront trois enfants : Charlotte en 1933, Paulette en 1935 et André en 1939. La famille habite dans le 12e arrondissement.

En 1939, la guerre est déclarée. David reste à Paris et projette de s'engager comme volontaire dans l'armée mais il est réformé suite à un accident du travail. Le temps de l'exode, Rivka et ses enfants sont hébergés à Poiseux dans la Nièvre.

Le 14 mai 1941, le père est arrêté et interné à Beaune-la-Rolande, dans le Loiret. Motif de cet internement : "En surnombre pour l'économie nationale". Il sera déporté à Auschwitz, sans retour, par le convoi n°5, le 27 juin 1942.

Le 16 juillet 1942, lors de la grande rafle du Vel d'Hiv, Rivka et ses enfants ne répondent pas à l'appel de leurs noms fait par les policiers venus les chercher. Par miracle, ils ne seront pas arrêtés et parviennent à se cacher pour la nuit chez une voisine.

Le 21 juillet 1942, les trois enfants sont conduits au Centre communautaire, rue Lamarck à Paris, dans le 18e arrondissement. Le 7 août, ils arrivent au Centre de la Croix-Rouge de la cité d'Orgemont à Argenteuil (Val d'Oise). Les deux fillettes resteront ensemble tandis que leur petit frère sera hébergé dans une autre famille.

Après bien des péripéties et changeant plusieurs fois de familles d'accueil, les fillettes parviennent chez leurs bienfaiteurs : Cécile et Arthur Magnier. Ceux-ci les protègeront, les dorloteront et les choieront comme leurs propres enfants.

Charlotte et Paulette resteront chez les Magnier une année encore après la fin de la guerre. La séparation fut difficile. Elles ne les ont jamais oubliés et leur sont profondément reconnaissantes car si Cécile et Arthur avaient été indifférents, avaient craint les risques encourus en les cachant ou n'avaient pas surmonté leur peur d'être dénoncés, elles n'auraient pas été sauvées d'une mort certaine.

Quant à Rivka, elle a survécu en se cachant et a finalement retrouvé ses trois enfants orphelins de leur père."

A leur mariage, les deux futurs Justes, Cécile et Arthur Magnier (Doc. BCFYV / DR).

Organisée par les deux délégués du Comité Français pour Yad Vashem, Viviane Saül et Paul Ejchenrand, la cérémonie du 4 février 2010 permit à un public fourni de suivre le discours d'ouverture par Philippe Doucet, Maire d’Argenteuil.
Celui de David de Rothschild, Président de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, était ensuite lu par Monsieur Paul Ejchenrand, délégué.
Viviane Saül, déléguée, retraça alors l'historique de Yad Vashem.
Puis à Jean-Louis Brison, Inspecteur d'Académie, a succédé Jean-Michel Polge, Directeur de l’Ecole d’Orgemont.


Jean-Michel Polge :

- " C'est un moment un peu exceptionnel que celui que nous vivons actuellement, en nous retrouvant réunis dans la Maison-Ecole de la République.
Nous célébrons le sauvetage d'enfants juifs, et pourtant la République ne sait pas ce qu'est un juif.
Nous célébrons un acte de désobéissance et pourtant l'école n'enseigne pas la désobéissance.
Nous célébrons deux personnes pour leur courage, alors qu'en ces lieux, les courages furent multiples et divers.

Pendant ces heures noires de l'histoire de notre pays, alors que la République avait dû céder la place à l'Etat français, il y avait deux écoles dans le quartier d'Orgemont.
L'école des filles, occupée par les troupes allemandes, n'accueillait plus d'élèves. La directrice s'est illustrée par son courage en résistant.
L'école des garçons, par un fonctionnement à mi-temps, accueillait alternativement filles et garçons. Les témoignages que nous avons recueillis montrent que le directeur de cette école était pour le moins conformiste, et adhérait aux idées officielles de l'époque. Il a d'ailleurs eu quelques soucis à la Libération... Tout n'est cependant pas si simple, puisqu'il s'arrangeait pour soustraire ses élèves menacés aux contrôles les jours de perquisition.
Ce n'est sans doute pas un hasard si, sur le registre matricule de l'école des garçons, nous avons trouvé des mentions stigmatisantes alors que le registre de l'école des filles, pour cette période, a tout simplement disparu.
Le registre matricule, pour ceux qui ne le savent pas, c'est ce livre dans lequel sont consignés les arrivées et les départs de tous les élèves de l'école. On y trouve leurs noms et prénoms, leur date de naissance, les noms, adresses et professions de leurs parents, et parfois des mentions qui permettent de savoir d'où viennent et où vont ces élèves.
C'est un document officiel, et quand, comme dans notre école, son origine remonte à 1931, cela devient un document historique.
C'est donc tout naturellement qu'il y a maintenant dix ans, Christine POLGE et Nathalie QUERRIEN, enseignantes de CM2, s'étaient penchées sur l'histoire locale de ce quartier et de cette école.
Le point d'entrée: les espaces urbains de notre quartier. Place Chauvelot, place du Lt Moreels et Square du Cdt Doué. Trois points de passage que leurs élèves traversaient ou habitaient depuis des années sans même imaginer qu'il s'agissait de héros locaux d'une Résistance qui prenait tout à coup un visage.
L'atelier d'histoire d'Argenteuil proposait alors ses services pour rencontrer les enfants des écoles.
Dès la première rencontre, des pistes s'ouvraient, plus nombreuses que prévues, puisque Moreels et Chauvelot avaient eu des filles et que parmi les intervenantes de l'atelier, se trouvaient deux enfants cachées, Charlotte Barillet et Liliane Marton.
On ne savait pas à ce moment que dans le quartier d'Orgemont, des enfants persécutés avaient été cachés. La notion même d'enfant caché était une découverte pour nous et nos élèves. Les protagonistes de cette rencontre sont pour la plupart dans cette salle aujourd'hui.

Le travail était lancé. Charlotte et Liliane acceptaient de venir témoigner auprès des enfants, et la recherche des filles des trois fusillés d'Orgemont pouvait commencer.
Le directeur de l'école fut sollicité pour sortir les registres matricules, tous, ceux des filles et ceux des garçons, depuis 1931. Jacqueline Chauvelot et Nicole Moreels furent facilement identifiées, avec la mention « père fusillé », mais Charlotte comme sa soeur Paulette, qui pourtant étaient des enfants du quartier, restaient introuvables... et pour cause, puisque le registre des filles, de 42 à 44 avait tout simplement disparu. On peut bien entendu penser que c'est un hasard... mais pourquoi ne manque-t-il que celui-là ? Seule l'inscription, à la rentrée 1945, de leur petit frère André permettait de laisser une trace officielle de ce passage.
Sur le registre de l'école des garçons, le choc fut plus brutal. Tout avait été conservé : le livre, les noms, et les mentions qui s'y rapportaient : « enfant juif », « enfant de nationalité juive », « parents en camp de concentration »... toutes mentions qui n'ont rien à faire dans un registre officiel, et qui sont contraires à l'éthique de la République. Mais il est vrai qu'à cette époque, la République était entre parenthèses.
Après dix ans de rencontres et de recherches, Christine a pu estimer, à partir du registre de l'école des garçons, que ce quartier avaient dû cacher et protéger entre quarante et cinquante enfants. Cette extrapolation part du principe que le registre des garçons recensait les enfants de 6 à 12 ans, qu'il fallait multiplier ce nombre par deux pour avoir une image des 3/18 et qu'il était probable que le nombre de filles soit sensiblement équivalent.
Vous pouvez consulter dans cette salle une reproduction de ces pages.
Nous ne sommes pas historiens, et les découvertes que nous faisons, sont aussi celles de nos élèves. C'est ainsi que Charlotte, qui fut notre fil conducteur, est revenue à plusieurs reprises pour témoigner auprès des enfants, de sa vie de petite fille dans ce quartier d'Orgemont. Elle vous contera tout à l'heure son histoire, qui depuis dix ans fait aussi partie de celle de l'école.
Ce fut pour nos élèves l'occasion, de découvrir d'autres enfants cachés comme Jacques Patron qui a épousé la fille de ses bienfaiteurs, mais la volonté fut aussi très forte de laisser une trace de ces rencontres pour fixer cette mémoire. C'est ainsi qu'est née l'idée de la mosaïque que vous avez pu voir dans le hall de l'école, et qui fut entièrement conçue et réalisée par les élèves de CM1 et CM2 en 2007. Elle attendait bien sagement l'occasion d'apparaître en public.
Nous sommes donc aujourd'hui réunis pour remettre à Arthur et Cécile Magnier, par l'intermédiaire de leurs petites filles, anciennes élèves de l'école, la médaille des Justes. C'est, semble-t-il, la première fois qu'une telle médaille est décernée au sein d'une école, et comme élèves et enseignants de cette école, nous nous en réjouissons."


Cécile et Arthur Magnier (Doc. BCFYV / DR).

- " En effet, au-delà de la seule personnalité des époux Magnier, c'est le courage de tout un quartier que nous célébrons, avec ses habitants qui ont hébergé, ses enfants qui ont su tenir leur langue, ses autorités locales qui ont sans doute un peu fermé les yeux, ses enseignants et directeurs qui, malgré des différences importantes, ont pensé que la vie de leurs élèves prévalait sur toute autre considération.
C'est un courage simple et ordinaire, pas de celui qu'on retrouve dans les livres ou sur les stèles.

Souhaitons qu'il puisse faire école.
Pour conclure, comment ne pas évoquer l'ironie de l'histoire et le paradoxe de l'école, dans cette situation.
Ironie de l'histoire donc :
Il y a soixante-cinq ans, le directeur conformiste qui se permettait d'écrire dans le registre matricule « enfant de nationalité juive » s'était pourtant arrangé pour soustraire des perquisitions de la police et dissimuler aux forces d'occupation ses élèves menacés.
Aujourd'hui, et depuis le mois de décembre, après une pression administrative forte, les élèves de l'école ont été inscrit sur un fichier informatique national. Fichier anodin à ce qu'il semblerait, mais qui, s'il avait existé à l'époque que nous évoquons aujourd'hui, aurait suffit pour tracer ces élèves et les auraient condamné au destin le plus tragique.
Paradoxe de l'école aussi : ce qui a fondamentalement permis de sauver ces enfants, c'est la désobéissance. Désobéissante, Régina, la mère de Charlotte qui ne répond pas aux sollicitations de la police française, désobéissants les habitants du quartier qui ont protégé ces enfants en les cachant, désobéissants, les enseignants mais aussi le directeur de l'école qui les ont soustraits aux recherches administratives... Obéissant, David, le père de Charlotte qui, faisant confiance à la République française, s'est inscrit comme « Juif » sur les listes du commissariat, a porté son étoile jaune puis s'est rendu à la convocation pour aller en camp de travail et ne jamais revenir.
C'est pourtant au sein de cette école de la République que nous rendons aujourd'hui cet hommage... qu'il puisse au moins aider chacun d'entre nous à rester vigilant."


De g. à dr. : Charlotte Storch (2), Marcelle Magnier, Paulette Storch en 43-44 (Arch. fam. Charlotte Barillet / DR).

Notes :

(1) Pour découvrir le site de l'école mixte Orgemont et plus particulièrement un reportage vidéo de la cérémonie, cliquer : ICI .
(2) Nos remerciements à Charlotte Barillet, enfant cachée, à Jean-Michel Polge, directeur, et à Viviane Saül, déléguée du Comité Français, pour leurs contributions à cette page 204.

dimanche 7 février 2010

P. 203. A Madeleine Peltin-Meyer

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(Arch. fam. V. Saül / DR).

Enfant cachée
Orpheline de ses parents morts à Auschwitz
Déléguée du Comité Français pour Yad Vashem

Madeleine Peltin-Meyer
vient de s'éteindre...

Pour elle, en pensant à elle, comment ne pas relire René Char :

- "La mort n'est qu'un sommeil entier et pur..."

Car c'était, ou plutôt, c'est pour toujours une femme entière car de caractère et mettant toutes ses forces, toute son intelligence dans la balance de la mémoire. Que celle-ci, malgré les négateurs, malgré les lassitudes, malgré les indifférences, que cette balance de la mémoire penche encore du côté pur de la sauvegarde d'un passé. Celui de la Shoah. Des persécutions barbares. Des étoiles que la nazisme tenta de toutes réduire en cendres. Mais aussi le passé des Justes parmi les Nations, si simples, si modestes, si effacés mais qui sauvèrent l'humanisme de la sauvagerie ambiante et évitèrent eux aussi à la France de perdre tout son honneur.

Alain Fleisher semblait s'être inspiré d'elle aussi en écrivant :

- "Nous faisons partie de ceux qui ont continué d'exister après la destruction. De ce monde irrémédiablement perdu, chacun de nous garde des souvenirs, et chacun de nous est là avec autour de soi un monde qui s'est absenté. De ce monde devenu invisible, nous sommes les derniers dépositaires, les derniers héritiers."

Madeleine Peltin-Meyer était l'héritière d'une mère et d'un père jamais revenus d'Auschwitz. D'une famille liée à l'Affiche Rouge. De cette infinité d'ombres victimes du judéocide...
Dépositaire de ce passé massacré, elle allait d'établissement scolaire en établissement scolaire. Non pour traumatiser enfants et adolescents. Mais pour les encourager à devenir des adultes en éveil, en conscience. Pour que ce passé ne s'efface pas mais encore pour qu'il éclaire les choix difficiles et responsables de la liberté, de l'égalité, de la fraternité.

Avec ses mots à elle, mais comme Simone Veil, elle répétait aux jeunes :

- "De la place que la libération d'Auschwitz occupera dans la conscience historique européenne, dépend largement ce que sera l'Europe future."

Madeleine Peltin-Meyer a servi jusqu'au bout le Comité Français pour Yad Vashem et à travers lui, la reconnaissance des Justes parmi les Nations.
En authentique bénévole. De cérémonie en cérémonie. En Déléguée inlassablement dévouée, altruiste, portant dans ses bras des trésors de générosité, figure d'exception.
Personne au Comité ne l'oubliera. Ce n'est pas une promesse. C'est une évidence !

Jean Tardieu :

- "Ces étoiles mortes qui brillent pour toujours..."


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Les obsèques de Madeleine Peltin-Meyer se dérouleront

le jeudi 11 février à 15h30

au cimetière de Bagneux (Val de Marne).




lundi 1 février 2010

P. 202. Marie-Louise et Auguste Fauque, Françoise et Michel Rousseau, Justes parmi les Nations

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La famille FRESCO (Ph. Arch. fam. J. Laneurie / DR).
De gauche à droite : Solange FRESCO, née NIÉGO, Salomon FRESCO (dit Samy), Eugénie et Nessim FRESCO, Jeannette NIÉGO, Annette NAMER, née FRESCO, Jacky NAMER et Jenny FRESCO (aujourd'hui épouse LANEURIE). Epoux de Solange FRESCO et père de Jenny, Raphaël FRESCO est seul absent de cette photo de famille car il en est l'auteur.

En Mayenne,
deux couples de Justes
ont empêché la Shoah
d'emporter la famille Fresco.

La cérémonie s'est déroulée à l'Espace "Clair de lune" d'Ernée dans la Mayenne. Près de deux cents personnes avaient voulu vivre ce moment précieux de la remise de deux médailles et diplômes de Justes parmi les Nations.
Au premier rang, les familles Fresco, Namer et Niégo sont (re)venues pour entourer de leur affection et de leur reconnaissance les enfants des deux couples Fauque et Rousseau. Gérard Lemonnier, maire d'Ernée, ainsi que Louis Gauffre, maire de St-Pierre-des-Landes attestaient de la solidarité de la population avec les Justes ainsi honorés. Michel Harel, Ministre près l'Ambassade d'Israël, a remis les deux médailles attribuées par Yad Vashem. Elisabeth et Gérard Goldenberg (1), délégués du Comité Français pour Yad Vashem, avaient préparé cet événement.

Synthèse du dossier de Yad Vashem :

- "L'histoire repose au début sur les figures de Pierre Le Donné et de son épouse Marie. Ils possèdent un garage automobile, à Ernée (en Mayenne). Dès les débuts de l'occupation, les Allemands ne se gênent pas pour occuper ce garage tandis que Pierre et son épouse s'engagent dans la résistance.
Lui devient le chef d'un groupe à Ernée, dans la mouvance du Mouvement Libé Nord et constitué de résistants, de réfractaires au STO et de juifs... Le quartier général se situe chez Michel Rousseau, qui cachera beaucoup de monde dans sa ferme du "Domaine" près de Saint-Pierre-des-Landes, à proximité d'Ernée.
Pierre Le Donné entretenait aussi des relations étroites avec Auguste Fauque et son épouse Marie-Louise née Rondeau (mariés en 1927, 41 ans et 37 ans en 1943). Ceux-ci exploitaient le « Petit Poirier », une ferme dont la famille Lambert était propriétaire. Le couple avait deux filles : Suzanne, 9 ans en 1943 et Marie-Louise, 13 ans.
Pierre avait notamment fait appel aux Fauque pour cacher au "Petit Poirier" des moteurs afin de les soustraire aux occupants allemands.

Les Fresco, judéo-espagnols, avaient émigré de Turquie pour Paris puis Charleville dans les Ardennes. Ce sont des commerçants de linges et de vêtements. L'exode les conduisit à Lonzac, dans le Sud-Ouest. Puis à Laval. Lors des rafles de juillet 1942, la famille est arrêtée au petit matin et conduite au camp de Mulsanne, commune située près du Mans. C'est ainsi que se trouvent internés :
- Raphaël Fresco, son épouse Solange et leur fille Jenny,
- la mère de Solange, Jeannette, veuve,
- les parents de Raphaël Fresco, Messin et Eugénie,
- la sœur de Raphaël Fresco, Annette Fresco mariée avec Pierre Namer (alors prisonnier de guerre) et leur fils Jacques,
- le jeune frère de Raphaël Fresco, Salomon Fresco, dit Samy.
Samy parlant un peu l'Allemand, tente d'expliquer au Camp qu'ils sont Turcs, donc protégés par la neutralité de leur pays. En conséquence, tous sont alors relâchés et rentrent à Laval où ils habitent au 8 route d'Angers.
En août 1943, ils reçoivent une lettre envoyée par un oncle leur annonçant que désormais ils ne doivent plus compter sur aucune protection ! Ils prennent immédiatement des contacts avec la Résistance par le biais du fils du préfet qui fréquentait le même collège que Samy Fresco. Le préfet les aide et les met en contact avec le Dr Francis Le Basser, vers Ernée. Messin Fresco est entendu dans leur détresse par Pierre Le Donné. Ce dernier comprend immédiatement la gravité de la situation et contacte les Fauque et les Rousseau."

La famille ROUSSEAU (Ph. Arch. Fam. J. Laneurie).
Les parents et les trois aînés sont aujourd'hui décédés. Joseph (en bas à droite) a reçu la médaille décernée à ses parents, Michel et Françoise.

- "La famille Fresco est accueillie au "Domaine" chez Michel et Françoise Rousseau et au "Petit Poirier", la maisonnette d'Auguste et de Marie-Louise Fauque.
Suzanne Fauque, qui avait 9 ans, se rappelle avoir vu, sur la route du Rollon au niveau de la Croix Ruault, deux femmes qui montaient à pied. Mme Le Donné était là et lui dit :
"Tu vas avoir une nouvelle copine pour jouer !"
La seconde femme, souriante, était Solange Fresco, la maman de la petite Jenny âgée de 4 ans et demi.
"Ah ! Je vais avoir une petite copine !?".
Mais arrivée à la ferme du Petit Poirier, sa mère, Marie-Louise, avec le bon sens qu'imposait le danger de ces circonstances, lui confia :
"Viens t'asseoir, je vais t'expliquer... Il ne faut rien dire du tout sinon les Allemands nous fusilleront tous... Ne rien dire à personne, ne rien dire à l'école...".
Et Suzanne n'a jamais rien dit, elle n'a jamais parlé, ni elle, ni ses parents... ni sa sœur.
La famille Fresco sera sauve et la commune libérée en août 1944.
Après la guerre, les Fresco et les Fauque sont restés en contact, au "Petit Poirier" et à Paris...
Pierre Le Donné fut reconnu Juste parmi les Nations en 1997, soit du vivant de Raphaël Fresco, témoin principal du dossier."

Gérard Lemonnier, Maire d'Ernée :

- "J'ignorais tout de l'existence de telles personnes ici à Ernée. C'est lourd de vivre et de grandir avec un tel secret. Un secret qui n'a été dévoilé que bien tard, comme si la vie de son amie Jenny dépendait encore de son silence à elle, Suzanne..."

Suzanne et Marie-Louise Fauque (Ph. Arch. fam. J. Laneurie).

Suzanne Faucon-Fauque :

- "C'est dommage que mes parents ne soient pas là pour recevoir cette médaille. Mais je crois qu'ils ne l'auraient jamais acceptée. Pour eux, ils n'avaient fait que sauver des vies. Ca paraissait normal. Moi, j'étais jeune. J'avais seulement 9 ans quand ma mère m'a dit que nous cacherions des juifs au Petit Poirier, une maisonnette au milieu des champs...
Je me rappelle de tout. De toute cette famille qui vivait sans rien, qui ne sortait jamais. Ils avaient juste un rez-de-chaussée et un grenier où ils dormaient. La pôrte d'entrée, à double battant, était en plus recouverte d'une grosse couverture pour ne pas qu'on puisse les voir...."

Sophie Delafontaine :

- "En Mayenne, une trentaine de familles sont reconnues pour avoir sauvé des juifs des camps de la mort.
"Mais il est bien difficile de retrouver les traces de tous les Justes",
reconnaît Marc Betton, historien local qui a redonné vie à cette histoire.
"A Ernée, je sais que deux autres familles ont hébergé des enfants. Mais je ne retrouve pas leurs traces, les témoignages manquent..."
Une enquête bien difficile à réaliser car souvent ces Justes {plus exactement à reconnaître comme tels} qui ont "sauvé l'honneur de la France", ne se sont pas fait connaître."
(Ouest-France, 28 décembre 2009).

Les trois enfants Rousseau encore en vie. Jenny Laneurie avait eu à coeur de remettre à Joseph un cadre regroupant les photos de ses parents avec la copie du Diplôme et de la Médaille de Juste parmi les Nations. Quant au Maire, il a offert une superbe composition florale (Ph. Mairie Ernée / DR).

Discours de remerciement de Jenny Laneurie-Fresco :

- "Tout d’abord, je tiens à vous remercier Monsieur le Maire de nous accueillir aujourd’hui. Je remercie également toute votre équipe et particulièrement Madame Chrétien qui a organisé cette belle cérémonie avec l’aide d’Elizabeth Goldenberg, déléguée du Comité Français pour Yad Vashem. Merci à Monsieur Michel Harel, Ministre près l’Ambassade d’Israël, d’avoir fait le déplacement pour remettre ces médailles. Merci aussi à Marc Betton, professeur d’Histoire à Evreux, qui a réalisé un document exceptionnel sur l’histoire de la Résistance dans la région et sur celle ma famille pendant la guerre. Merci à tous de votre présence (2).

Je ne vais pas raconter ici l’histoire de notre sauvetage. Je veux dire seulement que nous avons eu la chance extraordinaire de trouver sur notre chemin des hommes et des femmes d’exception comme Pierre Le Donné, Françoise et Michel ROUSSEAU, Marie Louise et Auguste FAUQUE qui ont largement mérité le titre de Justes des Nations.

Sans eux, sans leur générosité, leur courage, leur humanité, leur bienveillance, il est absolument certain que nous n’aurions pas pu éviter une seconde arrestation et la déportation. Grace à eux, nous avons pu rester ensemble et rester en vie et nous leur en serons éternellement reconnaissants.

Nous n’oublierons jamais que 6 millions de Juifs ont été assassinés par les nazis. Je voudrais ici évoquer la mémoire de mon grand oncle Jacques FRESCO, le frère de mon grand père, celle de sa femme Rachel et de leurs deux filles Annette et Lucette de 17 et 14 ans qui, arrêtés à Reims, ont été internés à Drancy puis déportés à Auschwitz pour ne jamais revenir.

La famille de neuf personnes qui a trouvé refuge au « Domaine » et au « Petit Poirier » en compte aujourd’hui près d’une cinquantaine. Presque tous sont présents aujourd’hui. Ils n’ont avec moi qu’un seul mot à dire à Joseph pour ses parents Françoise et Michel ROUSSEAU et à ma grande soeur Suzanne pour ses parents Marie Louise et Auguste FAUQUE. Et ce mot que nous leur disons de grand cœur c’est : MERCI ».

Suzanne Faucon-Fauque et son mari (Ph. Mairie Ernée / DR).


NOTES :

(1) Nos remerciements à Jenny Laneurie (acienne Secrétaire Générale du Comité Français pour Yad Vashem), ainsi qu'à Elizabeth et à Gérard Goldengerg, sans oublier la Mairie d'Ernée pour les documents (photographies, archives, extraits de presse) qu'ils ont confié à ce blog.

(2) De Marc Betton, Jenny Laneurie écrit :
- "Le jeune professeur d'histoire, Marc Betton, natif d'Ernée, dont il est question dans l'un de ces articles, passionné par la l'histoire de la guerre dans sa région et par celle de notre sauvetage, a réalisé un énorme travail de recherche très documenté (une cinquantaine de pages)..."
Il est l'auteur de :
"Histoire des Familles Fresco, Namer, Niégo, de Charleville à Ernée et retour, 1939 à 1945", Ernée, 2009, 60 p.
Une prochaine page de ce blog vous présentera ce travail de mémoire.