vendredi 14 novembre 2008

P. 84. "Ce que les Justes ont évité à la France, c'est la perte intégrale de sa propre identité."

Discours d'Anne Hidalgo,
Première adjointe au Maire de Paris,
ce 12 novembre
lors de la cérémonie de reconnaissance
de 10 Justes parmi les Nations

Anne Hidalgo : "Malgré les périls et la mort, omniprésente, les Justes ont choisi l'honneur." (Photo DR)

- "Mesdames et Messieurs,

C’est un honneur pour moi de vous accueillir dans la maison des Parisiens, pour une cérémonie qui nous remémore la catastrophe mais surtout l’étincelle d’humanité qui sut la traverser sans défaillir.

Voilà soixante ans à peine, la plus terrible et atroce coalition de la haine et de l’indifférence a voulu conduire à la mort et à l’oubli des millions d'êtres. Ici, dans notre vieille Europe aux gloires délicates, ici, au cœur de Paris, dans ce refuge devenu piège qu’était le quartier du Marais, les Juifs furent traqués et condamnés à disparaître de la communauté humaine.
La barbarie nazie et la complicité de l’Etat français s’étaient conjuguées pour détruire des millions de vies et annihiler leurs mémoires. Par ce crime, c'est notre civilisation tout entière qui voyait s'effondrer les piliers de sa propre existence.

Depuis, le souvenir de ce peuple martyr nous hante, présent comme une menace. Ils sont partis dans l'enfer des camps et aujourd'hui, ils nous observent de ce regard que décrivait Albert Cohen : "avec ces tristes yeux qui savent, ces yeux élargis par l'épouvante, ces yeux ouverts sur le néant".

La France a alors perdu une part de son âme. Complice de l'indicible, elle a livré ses propres enfants.
Elle les a abandonnés, eux qui avaient tant cru en elle, ayant ici, selon le mot de l'abbé Grégoire, "reposé leurs têtes et séché leurs larmes". Ici, dans cette ville séculaire dont le nom exalte à lui seul l'idée même de Liberté, le pire s'est produit.

Ce que les Justes ont évité à la France, c'est la perte intégrale de sa propre identité. Ce qu’ils nous ont transmis est un message essentiel, pour aujourd’hui et pour demain : le refus de l’indifférence, de l’aveuglement. L’affirmation dans les faits que les valeurs ne sont pas des principes désincarnés, mais qu’elles s’imposent quand une situation concrète se présente et que l’on sait ouvrir les yeux.

Je veux dire mon admiration pour cette capacité, magistrale, à demeurer debout, dignes, lucides, au plus dur des années sombres, quand se prolongeait un cauchemar insoutenable anesthésiant les sens, invitant au renoncement.
Malgré les périls et la mort, omniprésente, les Justes ont choisi l'honneur.

Jacques et Gisèle PREVOST, Elisabeth et Pierre MAUGER, que nous honorons ce soir, ont protégé Paule et Pierre GECILS, à l’aide de la famille DUPÂQUIER. Charlotte OLINGER, Jules-Henri PROQUITTE, Fernand et Lucie LAIGNEAU, Lucien et Elise PERTHUIS, tous ont vu dans le visage des Juifs persécutés la souffrance de leurs frères humains.
Grâce à eux, grâce à tous les Justes, les trois quarts des Juifs de France furent sauvés, alors que les trois quarts des Juifs d'Europe ont péri.

La présence et le souvenir des Justes incarnent l’essence même de l’homme : le libre arbitre. La liberté de choisir entre le bien et le mal, selon sa conscience. Le courage est toujours possible. Il n'y a jamais d'excuse valable pour la lâcheté ou l'indifférence.
Ce que j'ai fait, nous disent les Justes, c'est aider quelqu'un qui avait besoin de moi. Ce que j'ai fait, c'est tout simplement me comporter en être humain. Ce que j'ai fait, n'importe qui aurait pu le faire. N'importe qui aurait dû le faire.
Cette exigence, nous devons la garder vivante. Telle est la leçon de ces années noires : si l’on transige avec ce qui menace la dignité humaine, on lui offre un terreau pour prospérer et, tôt ou tard, on en paye le prix.

Je ne voudrais pas terminer ce propos sans évoquer avec force l’otage Gilad SHALIT. J’ai reçu récemment son père à l’Hôtel de Ville : cet homme brisé mais déterminé nous rappelle que les luttes contre le fanatisme sont actuelles et nécessitent une vigilance et une mobilisation de tous les instants. De même, l’antisémitisme n’est pas vaincu : partout, et récemment encore à Paris dans le 19ème arrondissement, ses relents se font jour.

Pour tous ces engagements, suivons le modèle des Justes : ils ont fait le choix de la fraternité et de la solidarité. Inspirés par eux, ne cédons jamais au désespoir et au renoncement. Aux plus jeunes générations, transmettons sans relâche l’enseignement des Justes. Restons lucides. N’oublions jamais."

NB : Remerciements à Viviane Saül, déléguée du Comité Français pour Yad Vashem, pour la transmission des documents relatifs à cette cérémonie en l'Hôtel de Ville de Paris.



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