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Présentation par l'Editeur :
« Pour ma part, depuis plusieurs années déjà je voyais venir ce qui est arrivé ; mais la réalité s’est chargée de dépasser ce que la fantaisie la plus sombre aurait pu imaginer. Nous avons touché le fond de l’abîme. Du moins saurons-nous maintenant où était le mal.»
Henri BERGSON à Léon BRUNSCHVICG, 31 juillet 1940.
«C’est une chose cruelle d’avoir à essayer d’expliquer le désastre de son pays. À vrai dire nous ne mesurons pas encore l’étendue de notre malheur.»
Jacques MARITAIN, À travers le désastre (1941).
- "Depuis la « montée des périls » jusqu'aux lendemains de la Libération, quelle a été la vie quotidienne des intellectuels français ? De quels enjeux ont-ils été les otages ou les porte-parole ? Quelles formes ont-ils données à leurs débats politiques et moraux, à leurs angoisses et à leurs espoirs ? Les questions, les archives déposées à l'Institut Mémoires de l'Edition contemporaine (IMEC) - et les documents provenant de la New York Public Library (NYPL), du Mémorial de Caen, du Deutsches Literatur Archiv de Marbach, de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) et de collections privées - répondent avec sensibilité et réalisme: plus de six cent cinquante pièces d'archives sont présentées ici, illustrant la difficile situation des représentants de l'« intelligence en guerre», tout au long de ces « années noires ».
Qu'ils soient collaborateurs, attentistes, déportés, prisonniers, résistants de la première ou de la dernière heure, en exil ou dans la clandestinité, les intellectuels français se sont abondamment servis de la première de leurs armes: les mots. Pris dans l'engrenage du « désastre » dont parle Jacques Maritain, entraînés au « fond de l'abîme » qu'évoque Henri Bergson, écrivains et artistes, poètes et philosophes, directeurs de revues, journalistes, imprimeurs sont confrontés à une guerre totale, méthodiquement dirigée « contre l'Esprit ». Bien qu'occulté par les stratégies des hommes politiques et des militaires, leur rôle s'avère pourtant décisif : c'est que l'affrontement a lieu aussi au coeur même des pages des revues littéraires et poétiques et, en particulier autour de La Nouvelle Revue française - l'une des trois « puissances » françaises que les nazis veulent s'approprier : « Tu peux serrer dans ta main une abeille jusqu'à ce qu'elle étouffe, écrit Jean Paulhan en février 1944, pour symboliser la Résistance intellectuelle. Elle n'étouffera pas sans t'avoir piqué. C'est peu de choses, dis-tu. Oui, c'est peu de choses. Mais si elle ne te piquait pas, il y a longtemps qu'il n'y aurait plus d'abeilles.»
Auteurs :
Olivier Corpet est le directeur de l'Institut Mémoires de l'édition contemporaine (IMEC). Fondateur de La Revue des revues, il a participé à de nombreux ouvrages d'histoire littéraire et oeuvré, notamment, à l'édition critique d'oeuvres de Louis Althusser et d'Alain Robbe-Grillet. Il a récemment édité Woman of Letters : Irène Némirovsky and Suite Française (avec Garrett White, Five Ties, 2008) et dirigé la publication des Cahiers de la guerre de Marguerite Duras (POL/IMEC 2006) et du catalogue Christian Dotremont (IMEC, 2005).
Claire Paulhan : historienne de la littérature, est chargée de mission à l'IMEC et éditrice. Elle a réalisé plusieurs catalogues d'exposition (De Pontigny à Cerisy, 2002 ; Archives des années noires, 2004, etc.). Elle contribue également à la découverte de textes autobiographiques du XXe siècle, notamment à travers la maison d'édition qui porte son nom. On lui doit ainsi l'édition critique de textes de Catherine Pozzi, Jean Paulhan, Jean Follain, Valery Larbaud, Mireille Havet, ainsi que de Jean Grenier, dont elle a publié, avec Gisèle Sapiro, Sous l'Occupation.
Robert O. Paxton : historien de la France et de l'Europe au XXe siècle, est professeur émérite à Columbia University (New York). Ses travaux ont fortement contribué à renouveler l'historiographie de l'entre-deux-guerres et de la Seconde Guerre mondiale. Citons notamment : La France de Vichy, 1940-1944 (Seuil, 1973, 1997), L'Armée de Vichy : le corps des officiers français, 1940-1944 (Tallandier, 2004) et Le Fascisme en action (Seuil, 2004).
Sommaire :
- De l'avant-guerre à la débâcle.
- Vivre et survivre sous l'occupation.
- Les métiers du livre et de la presse sous la férule nazie.
- Séductions de la collaboration intellectuelle.
- Faits prisonniers.
- Persécutés et déportés.
- Oser résister : le combat de l'esprit.
- Solidarités internationales.
- La libération et ses lendemains.
(1) Symboles de la collaboration littéraire, ces "voyageurs de Weimar" : Brasillach, Drieu la Rochelle, Ramon Fernandez (Mont. JEA / DR).
Critiques :
Jérôme Garcin.
- "On y trouve des tracts antisémites et anticommunistes, des fac-similés de lettres et de journaux, la reproduction de la liste Otto des ouvrages interdits ou les couvertures des Editions de Minuit clandestines. Citons, parmi tant de raretés :
- une photo de l'élève officier Louis Althusser avant d'être fait prisonnier ;
- un reportage sur l'inauguration de l'exposition Breker à l'Orangerie, où Cocteau voisine avec Brasillach ;
- une lettre de Bergson à Brunschvicg : «Du moins saurons-nous maintenant où était le mal» ;
- le manuscrit du poème «Liberté» d'Eluard ;
- et cette conférence inédite prononcée par Sartre, en 1946, à Montréal, où le philosophe a cette phrase sidérante : «La Résistance littéraire n'a pas laissé d'oeuvres, elle a laissé un esprit...»
Un peu plus loin, comme pour lui répondre, Michel Prévost raconte la mort, les armes à la main, de son père, Jean Prévost, assassiné par les nazis au pied du Vercors. C'était un écrivain.
(Le Nouvel Observateur, 4 juin 2009).
(2) "Brochette d'artistes qui font la risette au milieu des nazis : Paul Belmondo, Paul Landowski, André Derain" (Mont. JEA / DR).
François-Guillaume Lorrain :
- "On connaissait le voyage à Weimar des écrivains Drieu la Rochelle, Ramon Fernandez, Brasillach (1) ou Chardonne, invités en octobre 1941 à s'enivrer des charmes de l'idéologie nazie. Grâce aux fabuleuses « Archives de la vie littéraire sous l'Occupation » (650 documents commentés), on découvre le même pèlerinage, moins connu, de nos artistes qui, le mois suivant, font risette gare de l'Est au milieu des nazis. Jolie brochette : Paul Belmondo, Paul Landowski, André Derain (2)...
Que de perles dans ce travail de l'Imec qui balaie toutes les attitudes, exhume revues, carnets secrets, missives intimes, témoignages à chaud, comme ce premier récit d'Oradour-sur-Glane transmis par Georges Duhamel... On revit, rue des Arènes, l'arrestation de Jean Paulhan, l'ex-directeur de La NRF résistant, qui devra son salut à l'intervention de... Drieu la Rochelle, pourtant passé à l'Allemand : solidarité entre directeurs de La NRF !
C'est aussi Louis Althusser qui jette un dernier billet de son wagon plombé : « Prévenez l'Ecole ! » ; cette Rue d'Ulm dont le directeur, Jérôme Carcopino, vient de signifier son congé à son professeur juif, Jean Wahl : « Je vous prie de vous considérer comme déchargé de la tâche que vous aviez si aimablement acceptée. » Qu'en termes choisis ces choses-là sont dites ! Quand Bernard Grasset, premier éditeur d'Irène Némirovsky, a de lui-même retiré ses livres de la vente, Robert Esmenard, à la tête d'Albin Michel, écrit à cette femme interdite de publication pour l'assurer de son aide financière. Tout est dit !"
(Le Point, 4 juin 2009).
(3) "Créateurs exécutés" : Benjamin Fondane, Irène Némirovsky, Max Jacob, Benjamin Crémieux (Montage JEA / DR).
Antoine Perraud :
- "Deux lettres résument la période. En novembre 1940, Gaston Gallimard écrit sèchement à Jacques Schiffrin, créateur de la «Bibliothèque de la Pléiade», pour le congédier, en vertu de la législation antisémite tout juste en vigueur. En septembre 1944, Raymond Gallimard, le frère de Gaston, écrit la bouche en cœur au même Jacques Schiffrin, qui avait pu trouver refuge à New York, l’invitant à reprendre sa tâche, lui signalant, comme si de rien n’était, qu’un Rimbaud va paraître en Pléiade… Jacques Schiffrin ne devait pas revenir. Il s’en explique dans une lettre poignante à Jean Paulhan.
On découvre les tragiques tribulations de Jean Wahl, professeur révoqué de l’Alma Mater. On tombe, dans l’Oflag IV-D, sur le PDG (prisonnier de guerre) 2323, Jean Guitton, qui tient son Journal de captivité. Et pendant ce temps, sur un papier à en-tête du dispensaire municipal de Bezons (Seine-et-Oise), le docteur L.F. Destouches (Céline), adresse un courrier à l’une des âmes damnées de l’ambassade du Reich à Paris, Karl Epting, lui demandant d’intercéder afin que l’éditeur Denoël ne manque plus de papier «pour imprimer mes livres»…
Les pages les plus passionnantes reflètent les activités de la revue Confluences, autour de René Tavernier à Lyon, ou de la revue Fontaine, à Alger, animée par Max-Pol Fouchet, qui reproduisait fièrement la lettre menaçante que lui avait adressée le secrétaire d’État à l’information, Paul Marion, exaspéré par l’hostilité du périodique manifestée entre les lignes: «Ces allusions, pour habiles qu’elles soient, si elles échappent aux censeurs locaux, n’en sont pas moins notées à Vichy.»
De tous les documents, les plus émouvants concernent les créateurs exterminés (3) : Irène Némirovsky, Max Jacob, Benjamin Crémieux, ou encore le poète Benjamin Fondane, arrivé de Roumanie à Paris en 1923, qui apparaît en ces pages par la grâce d’une photographie d’identité qu’avait conservée de lui Jean Paulhan."
(La-Croix.com, 2 août 2009).
lundi 3 août 2009
P. 161. Archives de la vie littéraire sous l'occupation
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