vendredi 8 août 2008

P. 62. "Voyages dans le Reich"

Des écrivains visitent l'Allemagne
de 1933-1945.
Olivier Lubrich. Actes Sud.


Présentation de l'Editeur :

- "Voici une anthologie de textes écrits sur le vif par des hommes et des femmes de lettres qui se sont rendus en Allemagne entre 1933 et 1945.

Beckett, Camus, Simenon, Denis de Rougemont, Virginia Woolf, Karen Blixen, Jean Genet..., tous contribuent au tableau précis, poignant et fort diversifié de la vie sous le nazisme. Ils évoquent le monde du travail et les conséquences immédiates de la dictature ; le système de la terreur et la persécution des Juifs ; la propagande politique et la militarisation de la société ; la soumission ordinaire ; l'économie de pénurie, les bombardements ; les travailleurs forcés et les mutilés de guerre, et, enfin, l'issue du conflit. Dépassant la simple description, les observateurs développent des analyses, des modèles d'interprétation, des ébauches d'explication de la domination nazie.

Sélectionnés pour l'édition française par Alberto Manguel, ces textes s'adressent aussi à la nouvelle génération, et ils apportent des réponses inédites aux questions qui hantent aujourd'hui encore l'humanité."

Extrait :

- "Quel rôle joue le fait que les auteurs venaient d'autres pays ? Comment l'Allemagne était-elle vue par des étrangers ? Comment apparaît-elle en tant qu'objet d'une littérature de voyage, d'une observation ethnologique ? Quelle image de l'Allemagne peut-on composer à partir des différents textes, quels sont les stéréotypes qui circulaient ? Et quelle signification a le national-socialisme dans ce contexte ?

Un grand nombre de ces voyageurs ne s'intéressaient pas exclusivement à la politique. Et ils ne fixaient pas forcément leur attention sur le présent. Leurs idées se nourrissaient de l'Histoire : de la mythologie germanique et du Moyen Age, de la littérature classique et romantique, de Goethe et de Madame de Staël, des contes de Grimm et de Friedrich Nietzsche, de Ludwig van Beethoven et de Richard Wagner, parfois aussi de l'expérience de la Première Guerre mondiale. Pour beaucoup, le paysage allemand était à l'origine d'une fascination exotique. Ce sont des modèles culturels prédéfinis qui ont déterminé la compréhension du IIIe Reich, qui ont été mis en relation avec ce que les voyageurs vivaient dans le présent. Le regard de ces étrangers ne reflète pas seulement les événements actuels, mais il est aussi le point de convergence de traditions historiques.

Ces voyageurs sont comme des ethnologues qui pratiquent "l'observation participative". Si l'Allemagne devient l'objet d'un regard "étranger" et de considérations ethnologiques, la perspective traditionnelle des récits de voyage, le regard de ce qui nous est "propre" sur ce qui nous est "étranger" est, du point de vue de l'Allemagne, inversé. Karen Blixen, par exemple, accumule les associations avec l'Afrique et l'Arabie, elle compare l'Allemagne nazie au Tibet et le fascisme à un islam expansionniste. On peut donc qualifier sa perception de "coloniale" dans la mesure où elle perpétue les modèles des récits de voyage classiques, dans lesquels une Europe éclairée s'approche d'un Autre primitif. Sauf que ce qui n'était ailleurs qu'une barbarie supposée s'est, dans ce cas, avéré bien réel."

Jean-Pierre Amette, Le Point (29 mai 2008) :

- "L'anthologie «Voyages dans le Reich» comprend ainsi 25 témoignages rédigés à chaud. C'est passionnant, troublant, surprenant...

On constate souvent que les écrivains sont plus subjectifs, influençables, ondoyants, fragmentaires que les correspondants étrangers. Ils subissent le charme des villes fleuries, des populations enthousiastes qui agitent des petits drapeaux. Ces écrivains voyageurs se transforment facilement en touristes, sensibles aux auberges propres, aux géraniums des balcons, aux routes bordées d'arbres fruitiers, à la propreté et à la discipline...

En fermant cette anthologie, on se dit que, dans ces années-là, il valait mieux lire les journaux américains, suédois, anglais, danois ou hongrois plutôt que d'écouter les témoignages si légers de quelques écrivains français passés en coup de vent dans l'Histoire, et sans en connaître la langue. A ce titre, le silence d'un jeune étudiant en philosophie, boursier, résidant plusieurs mois à Berlin, et nommé Jean-Paul Sartre, reste fracassant."

Didier Jacob, BibliObs (7 juillet 2008) :

- "La grande question du livre : quand pouvait-on tout comprendre ?

Christopher Isherwood a 25 ans lorsqu'il part pour Berlin, en 1929. Ce professeur d'anglais, qui signera bientôt le fabuleux «Adieu à Berlin», ne tiendra pas longtemps sous les nationaux- socialistes : il rentre vite à Londres («la civilisation»). Mais il a le temps de raconter comment l'Allemagne, dès 1933, ne pouvait rien ignorer : ce climat de peur régnant partout, les têtes qui piquaient dans les assiettes quand on arrêtait un opposant ou un juif. Extraordinaire tableau où se dessine l'imminence de la catastrophe : «Tous les soirs, je vais m'installer dans un grand café d'artistes à moitié vide, près de l'église du Souvenir. Des juifs et des intellectuels de gauche y rapprochent leurs têtes au-dessus des tables de marbre, s'entretenant à voix basse, angoissée. Beaucoup d'entre eux s'attendent à être arrêtés, aujourd'hui, demain ou la semaine prochaine.»

Tous martèlent la même vérité : la tragédie ne fut une surprise pour personne. Le Suisse Max Frisch le montre bien, qui raconte la perfusion des idées folles par le moyen de la propagande. Autre Suisse, Denis de Rougemont vise juste à chaque phrase (il arrive à Francfort en 1935) dans son «Journal d'Allemagne» qu'il publie en 1938. Avec cette formule qui sonne comme une évidence : «De toute façon, vivre à l'époque de Hitler et n'aller point l'entendre et voir, quand une nuit de chemin de fer y suffirait, c'est se priver de certains rudiments de toute compréhension de notre temps.» Une phrase qui, aujourd'hui, pourrait servir de feuille de route aux intellectuels du monde entier."

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NB :

Suite de la Page 51 : A Roubaix, le Musée de la Piscine s'agrandit pour Henri Bouchard, Président du "Salon des Artistes français" tout au long de l'occupation.

Huit artistes refusent d'exposer à Roubaix pour cause de trop grande proximité avec un sculpteur-collaborateur.

La Piscine, musée de Roubaix, annonçait l'exposition à venir de huit artistes. Ceux-ci viennent d’annuler collectivement leur participation. Leur motif ? Protester contre la place accordée par ce musée au sculpteur-collaborateur Henri Bouchard. Pour de amples informations, (re)lire la page 51 de ce blog.

Claude Champi, Bernard Dejonghe, Philippe Godderidge, Jacqueline Lerat, Michel Muraour, Setsuko Nagassawa, Daniel Pontoreau et Camille Virot, sont des céramistes, des sculpteurs et des verriers de grand renom. Ils n'entendent pas avoir leurs noms associés avec celui d'Henri Bouchard. Et s'expliquent dans un communiqué de presse repris par Jean-Pierre Thibaudat sur son blog et publié par Rue 89 :

- "Nous nous étonnons qu’il soit donné une place aussi importante et aussi singulière à un artiste au sujet duquel nous apprenons qu’il a été l’un des rares artistes ayant été interdit d’enseignement dans les écoles de l’état après la guerre par un arrêté du 22 janvier 1945 ; cette interdiction semble avoir été motivée du fait de son attitude affichée de collaboration dite artistique jusqu’à la fin de la guerre, comme l’atteste un article de sa part sur Arno Brecker dans la revue Illustration de février 1942 et un rapport du 30 juin 1944 de la Propaganda Abteilung."

Musée de la Piscine à Roubaix (DR).

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Merci de m'adresser régulièrement vos mails très intéressants...
je suis à l'étranger et ainsi je ne suis pas coupée de la communauté

cordial CHALOM Josiane