jeudi 29 octobre 2009

P. 185. Une Juste française honorée à Jérusalem

. Carte ancienne de la Mairie d'Argy (Graph. JEA / DR).

Après son fils Jules
et sa belle-fille Jeanne,
Louise Roger est reconnue
Juste parmi les Nations.

Alexis Bodart :

- "Au centre de l’affaire, se trouve un homme qui lui doit tout et qui a changé trois fois de nom. Au départ, il s’appelle Herbert Odenheimer. Né en 1934, dans le pays de Bade, en Allemagne, il est incarcéré avec sa famille au camp de Gurs, dans les Pyrénées Atlantiques. Sa grand-mère, Sophie, y mourra. Ses parents seront assassinés à Auschwitz en 1942.

L’année d’avant, le petit Herbert a pu être soustrait du camp et placé dans des maisons d’enfants. Herbert, devenu Hubert Odet, soi-disant né en Alsace, va de cachette en cachette et finit par arriver à Buzançais, chez Jules et Jeanne Roger, très impliqués dans la Résistance. Le couple hébergeant un autre enfant juif, Léopold Lazare, le risque était devenu trop grand. En 1943, Jules confie Hubert à sa mère, Louise, qui habite à Argy. Le gosse travaille à la ferme et devient enfant de chœur ! Seul le curé du village est au courant de ses origines.
A la Libération, Hubert, est adopté par des parents lointains et part en Suisse. Il part en Israël en 1958. Aujourd’hui retraité, il a travaillé au Musée national d’Israël comme historien de l’art. Joint au téléphone à Jérusalem, celui qui a maintenant pour nom Ehud Loeb et pour âge 75 ans, nous a confié :
« Jeanne et Jules Roger ont été déclarés Justes en 1989 et je tenais à ce que Louise le soit aussi. J’ai donc monté un dossier. Les souvenirs d’Argy sont pour moi imprégnés d’un sentiment de danger quotidien et du courage de cette femme, sévère mais au cœur d’or, qui a pris d’énormes risques pour me soustraire aux forces d’occupation».
Louise, née en 1877, est décédée en 1947, et Jeanne et Jules ne sont également plus de ce monde. C’est donc leurs descendants, Robert Roger, demeurant à Malesherbes, et Marie-Thérèse Roger domiciliée à Foix, qui recevront la médaille le 27 octobre à Jérusalem."
(La Nouvelle République, 22 octobre 2009).


Lettre du CRIF :

- "Louise Roger, une Française de la région de l’Indre a reçu, à titre posthume, la médaille de «Juste parmi les Nations», lors d'une cérémonie qui s’est tenue mardi 27 octobre 2009 au mémorial de Yad Vachem à Jérusalem, pour avoir caché pendant trois ans (1) le petit Herbert Odenheimer, six ans, un juif allemand dont les parents avaient été déportés de France en 1942.
La cérémonie a eu lieu en présence de l'ambassadeur de France en Israël, Christophe Bigot qui dans son discours, a rendu hommage à :

«ces Justes, héros du peuple juif et de la République française». «Il faut continuer de chercher d'autres Justes et rendre hommage à ces gens qui ont su résister à la barbarie nazie», a-t-il ajouté."
(28 octobre 2009).


Le petit Herbert Odenheimer dans les bras de son père, à Buehl (Allemagne). Image paisible avant l'exil vers la France, les arrestations et les déportations (Arch. Yad Vashem / DR).

Synthèse du dossier décrivant comment fut épargné Herbert Odenheimer :

- "Le jeune Herbert est né en 1934, dernier enfant juif de la communauté de Buehl.
La famille Odenheimer : la grand mère Sophie, les parents Hugo et Julchen Odenheimer, et leur petit Herbert alors âgé de six ans et demi, furent déportés le 22 octobre 1940 du pays de Bade (Allemagne) au camp de Gurs.
En février 1941, l'OSE, organisation de sauvetage des enfants Juifs, parvient à faire sortir Herbert et d'autres enfants Juifs du camp. Ils sont placés dans diverses institutions au centre de la France, dont celui de Chabannes.
Au début du mois de septembre 1942, il est transféré d'une institution à l'autre avant d'être confié à une famille qui, hélas, va profiter de la situation pour le maltraiter. Vers la fin 1942, L'assistante sociale chargée de sa protection se rendit compte de la mise en danger du garçon. Elle décida immédiatement de retirer Herbert de chez ses hôtes indignes pour le confier à Jules et à Jeanne Roger. A Buzançais. Lui était boucher et elle arrondissait les fins de mois en repassant pour des villageois. Leur fils avait dix ans au début de la guerre.
La maison des Roger était mise à la disposition de la Résistance : stocks d'armes, faux papiers et hébergement de clandestins...
Une année s'écoule. Jules Roger craint une dénonciation visant l'enfant et l'envoie chez sa mère, dans un village tout proche, Argy. Là, "Hubert Odet" restera en complète sécurité avant de revenir à Buzançais. C'est d'ailleurs à Argy qu'il reçoit, en automne 1943, de faux papiers au nom d'"Hubert Odet".
Herbert voulut devenir catholique, pour faire "comme tout le monde", mais Jules et Jeanne lui expliquèrent qu'il devait être fier de ses origines.
Aucun des siens ne revint des camps de la mort. Sa mère fut déportée le 4 septembre 1942 et son père trois jours plus tard.

En Janvier 1946, un parent, Fritz Loeb, vivant à Berne, en Suisse, viendra chercher Herbert pour l'adopter. L'orphelin dût réapprendre l'allemand. Puis il émigra en Israël."

Allocution d'Ehud Loeb :

- " Permettez-moi de dire quelques mots en hommage à une femme modeste, droite, au caractère sévère et même, quelquefois, rude et autoritaire. Une paysanne qui, veuve, tenait une ferme avec un poulailler, une jument, une vache et quelques chèvres. Il y avait un potager et non loin de la ferme se trouvait la vigne qui appartenait à la famille. Elle menait une vie austère, frugale. La ferme ne possédait ni l’électricité ni l’eau courante.

C’est chez elle que je fus placé en automne 1943, et j’y ai vécu jusqu’à la Libération en août 1944. J’ai mené la même vie austère et laborieuse et, à l’âge de dix ans et dans la mesure de mes forces, j’ai aidé aux travaux de la ferme et surtout gardé la vache et les chèvres, mon travail préféré.

Madame Louise Roger était certes solitaire et introvertie, sévère envers elle-même et les autres, mais elle était une femme généreuse et de cœur. Je ne me souviens d’aucune caresse, ni d’avoir reçu un seul baiser, mais je l’aimais, et je sais qu’elle m’aimait et me considérait comme son propre petit-fils. Je l’appelai `grand-mère’.

Pendant ces mois si difficiles, si dangereux, je connu le bonheur, un bonheur passager et combien fragile. Je vivais dans l’illusion d’être un enfant comme les autres ; j’allais à l’école du village, au catéchisme, je fus enfant de chœur. J’avais des camarades de classe et je possédais aussi de vrais amis : les animaux de la ferme. Surtout - j’avais une grand’mère, ma grand’mère.

Chez elle j’ai pu oublier pour quelques mois que je n’étais plus Herbert Odenheimer, le petit garçon juif déraciné originaire d’Allemagne, déporté au camp de Gurs, pris en charge par l’O.S.E. (l’Oeuvre de Secours aux Enfants), placé dans ses maisons d’enfants puis, dès le début du mois de septembre 1942, dans des familles chrétiennes. Je fus amené en novembre 1942 chez le fils de Louise Roger, Jules Roger, et sa femme Jeanne, à Buzançais dans l’Indre. Je ne pouvais savoir que j’étais déjà devenu orphelin, mes parents ayant été déportés des camps de Gurs et de Rivesaltes en septembre de la même année et acheminés à leur mort à Auschwitz. Jules et Jeanne Roger m’ont protégé, nourri, habillé ; ils m’ont choyé et ont essayé de remplacer ma famille que j’avais dû quitter. Après la longue séparation d’avec mes parents j’ai voulu, au bout de quelques mois, les appeler Maman et Papa, tout comme le petit garçon juif, Popol, qu’ils avaient accepté d’accueillir et de protéger. Il avait alors trois ans ; il ne comprenait rien de sa situation et considérait le couple Roger comme ses propres parents. Comme lui je voulais les appeler `Maman’ et `Papa’, mais Jules et Jeanne Roger m’ont expliqué que la guerre se terminerait bientôt et que je retrouverai mes vrais parents. Oncle Jules et tante Jeanne, comme ils m’ont autorisé à les appeler, ont été reconnus Justes parmi les Nations en 1989 pour avoir caché et sauvé la vie des deux enfants juifs, le petit Popol et moi-même.

En automne 1943 la situation devint trop dangereuse à Buzançais : Jules était Résistant et le couple Roger abritait des maquisards blessés et cachait des armes dans sa maison et le jardin. Ils m’ont amené à Argy, un petit village près de Buzançais, chez la mère de Jules Roger. C’est donc chez Louise Roger que, muni d’un faux nom – Hubert Odet – et de faux papiers je commençai cette nouvelle étape de ma vie : seuls Louise Roger et le curé du village connaissaient mon identité de petit juif étranger pourchassé. J’avais appris le français, le parlais avec l’accent local, le berrichon ; j’étais un bon élève et, enfant de chœur, j’aidai à célébrer la messe d’une façon impeccable : j’avais aussi appris les prières en latin. Je vivais dans le mensonge afin de survivre.


Je connus chez la grand’mère la vie paisible mais rude de la campagne et le travail combien récompensant avec les bêtes. C’est chez cette femme simple, de caractère sérieux, presque inabordable mais avec un cœur d’or, que j’avais trouvé refuge, que je me sentais à l’abri de dénonciations et d’arrestation. Cette vieille femme qui m’a protégé des menaces de la déportation, du sort qui avait frappé mes parents, ma famille, mes coreligionnaires. Louise Roger a sauvé ma vie en bravant des dangers imminents – les Allemands et les miliciens étaient aux alentours.

Durant les ténèbres de cette période affreuse qui fut le temps de la Shoah et l’assassinat de six millions de Juifs, dont un million et demi d’enfants, ce sont très souvent des gens simples qui ont osé dire non, non à la déshumanisation de l’autre, non à la barbarie. Ces personnes étaient de vrais résistants – leurs armes n’étaient ni la mitraillette ni la grenade, mais l’arme invincible de la conscience et de la compassion. Ces personnes ont sauvé d’innombrables vies d’êtres innocents, persécutés : elles ont déjoué les machinations d’une idéologie satanique qui avait su imprégner de haine des hommes faibles de cœur et dépourvus de valeurs morales, et qui les a conduits à commettre des crimes indicibles. En ces années noires il y eut – peut-être trop peu - des braves, des hommes et des femmes de conscience. Nous leur témoignons notre reconnaissance.

Après la cérémonie de la remise de la médaille de Juste à Jeanne Roger en 1989 à l’Hôtel de Ville à Paris une jeune femme s’était approchée d’elle : `Permettez-moi de serrer la main d’une Juste, d’une vraie héroïne’, a-t-elle dit. Puis : `Madame, pour quelle raison avez-vous commis cet acte de courage malgré tous les risques auxquels vous vous exposiez ?’ Tante Jeanne l’a regardée avec étonnement : `Mais je n’ai fait que mon devoir d’être humain’, a-t-elle répondu, sans hésiter.

La grand’mère, Louise Roger, aurai certainement répondu de la même façon : elle aussi est une de ces femmes simples, courageuses, une héroïne et une Juste.

Après la guerre, après avoir quitté la France en 1946, je suis resté en contact avec tante Jeanne et oncle Jules jusqu’à leur mort. Malheureusement je n’ai pu revoir la grand’mère – elle est décédée le 24 juin 1947. Nous avons rendu visite au couple Roger maintes fois : nous - ma femme, souvent aussi nos enfants. Ce contact continue avec leur fils et leur fille jusqu’à ce jour. Lors de nos visites à Buzançais nous n’avons pas manqué de revenir à Argy : je voulais revoir la ferme, les champs dans lesquels je gardais la vache et les chèvres, l’église, l’école. Les lieux gravés dans ma mémoire et dans mon cœur. Là où la grand’mère m’avait caché et sauvé la vie.

Si je peux, aujourd’hui, embrasser ma femme, nos quatre enfants et dix petits-enfants, c’est grâce à l’O.S.E., à tant de sauveteurs qui sont restés anonymes, surtout au couple Jules et Jeanne Roger et à la grand’mère Louise Roger que nous honorons, ici à Yad Vashem.

Le petit-fils de Louise Roger, Robert Roger, avec sa femme Monique et sa sœur Marie-Thérèse (qui est née après la guerre), est venu de France afin d’être parmi nous. Robert est mon grand frère. Nous sommes tous les deux les petits-fils de la grand’mère Louise."


Les photos de cette cérémonie sont consultables via la Newsletter n° 324 de l'ambassade d'Israël,
cliquer : ICI .

NOTE :

(1) Ehud Loeb tient à apporter cette correction au résumé du CRIF : "Je fus caché chez Mme Louise Roger à Argy dès l’automne 1943 jusqu’en août 1944, soit à peu près un an."



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