jeudi 29 octobre 2009
P. 185. Une Juste française honorée à Jérusalem
Après son fils Jules
et sa belle-fille Jeanne,
Louise Roger est reconnue
Juste parmi les Nations.
Alexis Bodart :
- "Au centre de l’affaire, se trouve un homme qui lui doit tout et qui a changé trois fois de nom. Au départ, il s’appelle Herbert Odenheimer. Né en 1934, dans le pays de Bade, en Allemagne, il est incarcéré avec sa famille au camp de Gurs, dans les Pyrénées Atlantiques. Sa grand-mère, Sophie, y mourra. Ses parents seront assassinés à Auschwitz en 1942.
L’année d’avant, le petit Herbert a pu être soustrait du camp et placé dans des maisons d’enfants. Herbert, devenu Hubert Odet, soi-disant né en Alsace, va de cachette en cachette et finit par arriver à Buzançais, chez Jules et Jeanne Roger, très impliqués dans la Résistance. Le couple hébergeant un autre enfant juif, Léopold Lazare, le risque était devenu trop grand. En 1943, Jules confie Hubert à sa mère, Louise, qui habite à Argy. Le gosse travaille à la ferme et devient enfant de chœur ! Seul le curé du village est au courant de ses origines.
A la Libération, Hubert, est adopté par des parents lointains et part en Suisse. Il part en Israël en 1958. Aujourd’hui retraité, il a travaillé au Musée national d’Israël comme historien de l’art. Joint au téléphone à Jérusalem, celui qui a maintenant pour nom Ehud Loeb et pour âge 75 ans, nous a confié :
« Jeanne et Jules Roger ont été déclarés Justes en 1989 et je tenais à ce que Louise le soit aussi. J’ai donc monté un dossier. Les souvenirs d’Argy sont pour moi imprégnés d’un sentiment de danger quotidien et du courage de cette femme, sévère mais au cœur d’or, qui a pris d’énormes risques pour me soustraire aux forces d’occupation».
Louise, née en 1877, est décédée en 1947, et Jeanne et Jules ne sont également plus de ce monde. C’est donc leurs descendants, Robert Roger, demeurant à Malesherbes, et Marie-Thérèse Roger domiciliée à Foix, qui recevront la médaille le 27 octobre à Jérusalem."
(La Nouvelle République, 22 octobre 2009).
Lettre du CRIF :
- "Louise Roger, une Française de la région de l’Indre a reçu, à titre posthume, la médaille de «Juste parmi les Nations», lors d'une cérémonie qui s’est tenue mardi 27 octobre 2009 au mémorial de Yad Vachem à Jérusalem, pour avoir caché pendant trois ans (1) le petit Herbert Odenheimer, six ans, un juif allemand dont les parents avaient été déportés de France en 1942.
La cérémonie a eu lieu en présence de l'ambassadeur de France en Israël, Christophe Bigot qui dans son discours, a rendu hommage à :
«ces Justes, héros du peuple juif et de la République française». «Il faut continuer de chercher d'autres Justes et rendre hommage à ces gens qui ont su résister à la barbarie nazie», a-t-il ajouté."
(28 octobre 2009).
Le petit Herbert Odenheimer dans les bras de son père, à Buehl (Allemagne). Image paisible avant l'exil vers la France, les arrestations et les déportations (Arch. Yad Vashem / DR).
Synthèse du dossier décrivant comment fut épargné Herbert Odenheimer :
- "Le jeune Herbert est né en 1934, dernier enfant juif de la communauté de Buehl.
La famille Odenheimer : la grand mère Sophie, les parents Hugo et Julchen Odenheimer, et leur petit Herbert alors âgé de six ans et demi, furent déportés le 22 octobre 1940 du pays de Bade (Allemagne) au camp de Gurs.
En février 1941, l'OSE, organisation de sauvetage des enfants Juifs, parvient à faire sortir Herbert et d'autres enfants Juifs du camp. Ils sont placés dans diverses institutions au centre de la France, dont celui de Chabannes.
Au début du mois de septembre 1942, il est transféré d'une institution à l'autre avant d'être confié à une famille qui, hélas, va profiter de la situation pour le maltraiter. Vers la fin 1942, L'assistante sociale chargée de sa protection se rendit compte de la mise en danger du garçon. Elle décida immédiatement de retirer Herbert de chez ses hôtes indignes pour le confier à Jules et à Jeanne Roger. A Buzançais. Lui était boucher et elle arrondissait les fins de mois en repassant pour des villageois. Leur fils avait dix ans au début de la guerre.
La maison des Roger était mise à la disposition de la Résistance : stocks d'armes, faux papiers et hébergement de clandestins...
Une année s'écoule. Jules Roger craint une dénonciation visant l'enfant et l'envoie chez sa mère, dans un village tout proche, Argy. Là, "Hubert Odet" restera en complète sécurité avant de revenir à Buzançais. C'est d'ailleurs à Argy qu'il reçoit, en automne 1943, de faux papiers au nom d'"Hubert Odet".
Herbert voulut devenir catholique, pour faire "comme tout le monde", mais Jules et Jeanne lui expliquèrent qu'il devait être fier de ses origines.
Aucun des siens ne revint des camps de la mort. Sa mère fut déportée le 4 septembre 1942 et son père trois jours plus tard.
En Janvier 1946, un parent, Fritz Loeb, vivant à Berne, en Suisse, viendra chercher Herbert pour l'adopter. L'orphelin dût réapprendre l'allemand. Puis il émigra en Israël."
Allocution d'Ehud Loeb :
- " Permettez-moi de dire quelques mots en hommage à une femme modeste, droite, au caractère sévère et même, quelquefois, rude et autoritaire. Une paysanne qui, veuve, tenait une ferme avec un poulailler, une jument, une vache et quelques chèvres. Il y avait un potager et non loin de la ferme se trouvait la vigne qui appartenait à la famille. Elle menait une vie austère, frugale. La ferme ne possédait ni l’électricité ni l’eau courante.
C’est chez elle que je fus placé en automne 1943, et j’y ai vécu jusqu’à la Libération en août 1944. J’ai mené la même vie austère et laborieuse et, à l’âge de dix ans et dans la mesure de mes forces, j’ai aidé aux travaux de la ferme et surtout gardé la vache et les chèvres, mon travail préféré.
Madame Louise Roger était certes solitaire et introvertie, sévère envers elle-même et les autres, mais elle était une femme généreuse et de cœur. Je ne me souviens d’aucune caresse, ni d’avoir reçu un seul baiser, mais je l’aimais, et je sais qu’elle m’aimait et me considérait comme son propre petit-fils. Je l’appelai `grand-mère’.
Pendant ces mois si difficiles, si dangereux, je connu le bonheur, un bonheur passager et combien fragile. Je vivais dans l’illusion d’être un enfant comme les autres ; j’allais à l’école du village, au catéchisme, je fus enfant de chœur. J’avais des camarades de classe et je possédais aussi de vrais amis : les animaux de la ferme. Surtout - j’avais une grand’mère, ma grand’mère.
Chez elle j’ai pu oublier pour quelques mois que je n’étais plus Herbert Odenheimer, le petit garçon juif déraciné originaire d’Allemagne, déporté au camp de Gurs, pris en charge par l’O.S.E. (l’Oeuvre de Secours aux Enfants), placé dans ses maisons d’enfants puis, dès le début du mois de septembre 1942, dans des familles chrétiennes. Je fus amené en novembre 1942 chez le fils de Louise Roger, Jules Roger, et sa femme Jeanne, à Buzançais dans l’Indre. Je ne pouvais savoir que j’étais déjà devenu orphelin, mes parents ayant été déportés des camps de Gurs et de Rivesaltes en septembre de la même année et acheminés à leur mort à Auschwitz. Jules et Jeanne Roger m’ont protégé, nourri, habillé ; ils m’ont choyé et ont essayé de remplacer ma famille que j’avais dû quitter. Après la longue séparation d’avec mes parents j’ai voulu, au bout de quelques mois, les appeler Maman et Papa, tout comme le petit garçon juif, Popol, qu’ils avaient accepté d’accueillir et de protéger. Il avait alors trois ans ; il ne comprenait rien de sa situation et considérait le couple Roger comme ses propres parents. Comme lui je voulais les appeler `Maman’ et `Papa’, mais Jules et Jeanne Roger m’ont expliqué que la guerre se terminerait bientôt et que je retrouverai mes vrais parents. Oncle Jules et tante Jeanne, comme ils m’ont autorisé à les appeler, ont été reconnus Justes parmi les Nations en 1989 pour avoir caché et sauvé la vie des deux enfants juifs, le petit Popol et moi-même.
En automne 1943 la situation devint trop dangereuse à Buzançais : Jules était Résistant et le couple Roger abritait des maquisards blessés et cachait des armes dans sa maison et le jardin. Ils m’ont amené à Argy, un petit village près de Buzançais, chez la mère de Jules Roger. C’est donc chez Louise Roger que, muni d’un faux nom – Hubert Odet – et de faux papiers je commençai cette nouvelle étape de ma vie : seuls Louise Roger et le curé du village connaissaient mon identité de petit juif étranger pourchassé. J’avais appris le français, le parlais avec l’accent local, le berrichon ; j’étais un bon élève et, enfant de chœur, j’aidai à célébrer la messe d’une façon impeccable : j’avais aussi appris les prières en latin. Je vivais dans le mensonge afin de survivre.
Je connus chez la grand’mère la vie paisible mais rude de la campagne et le travail combien récompensant avec les bêtes. C’est chez cette femme simple, de caractère sérieux, presque inabordable mais avec un cœur d’or, que j’avais trouvé refuge, que je me sentais à l’abri de dénonciations et d’arrestation. Cette vieille femme qui m’a protégé des menaces de la déportation, du sort qui avait frappé mes parents, ma famille, mes coreligionnaires. Louise Roger a sauvé ma vie en bravant des dangers imminents – les Allemands et les miliciens étaient aux alentours.
Durant les ténèbres de cette période affreuse qui fut le temps de la Shoah et l’assassinat de six millions de Juifs, dont un million et demi d’enfants, ce sont très souvent des gens simples qui ont osé dire non, non à la déshumanisation de l’autre, non à la barbarie. Ces personnes étaient de vrais résistants – leurs armes n’étaient ni la mitraillette ni la grenade, mais l’arme invincible de la conscience et de la compassion. Ces personnes ont sauvé d’innombrables vies d’êtres innocents, persécutés : elles ont déjoué les machinations d’une idéologie satanique qui avait su imprégner de haine des hommes faibles de cœur et dépourvus de valeurs morales, et qui les a conduits à commettre des crimes indicibles. En ces années noires il y eut – peut-être trop peu - des braves, des hommes et des femmes de conscience. Nous leur témoignons notre reconnaissance.
Après la cérémonie de la remise de la médaille de Juste à Jeanne Roger en 1989 à l’Hôtel de Ville à Paris une jeune femme s’était approchée d’elle : `Permettez-moi de serrer la main d’une Juste, d’une vraie héroïne’, a-t-elle dit. Puis : `Madame, pour quelle raison avez-vous commis cet acte de courage malgré tous les risques auxquels vous vous exposiez ?’ Tante Jeanne l’a regardée avec étonnement : `Mais je n’ai fait que mon devoir d’être humain’, a-t-elle répondu, sans hésiter.
La grand’mère, Louise Roger, aurai certainement répondu de la même façon : elle aussi est une de ces femmes simples, courageuses, une héroïne et une Juste.
Après la guerre, après avoir quitté la France en 1946, je suis resté en contact avec tante Jeanne et oncle Jules jusqu’à leur mort. Malheureusement je n’ai pu revoir la grand’mère – elle est décédée le 24 juin 1947. Nous avons rendu visite au couple Roger maintes fois : nous - ma femme, souvent aussi nos enfants. Ce contact continue avec leur fils et leur fille jusqu’à ce jour. Lors de nos visites à Buzançais nous n’avons pas manqué de revenir à Argy : je voulais revoir la ferme, les champs dans lesquels je gardais la vache et les chèvres, l’église, l’école. Les lieux gravés dans ma mémoire et dans mon cœur. Là où la grand’mère m’avait caché et sauvé la vie.
Si je peux, aujourd’hui, embrasser ma femme, nos quatre enfants et dix petits-enfants, c’est grâce à l’O.S.E., à tant de sauveteurs qui sont restés anonymes, surtout au couple Jules et Jeanne Roger et à la grand’mère Louise Roger que nous honorons, ici à Yad Vashem.
Le petit-fils de Louise Roger, Robert Roger, avec sa femme Monique et sa sœur Marie-Thérèse (qui est née après la guerre), est venu de France afin d’être parmi nous. Robert est mon grand frère. Nous sommes tous les deux les petits-fils de la grand’mère Louise."
Les photos de cette cérémonie sont consultables via la Newsletter n° 324 de l'ambassade d'Israël,
cliquer : ICI .
NOTE :
(1) Ehud Loeb tient à apporter cette correction au résumé du CRIF : "Je fus caché chez Mme Louise Roger à Argy dès l’automne 1943 jusqu’en août 1944, soit à peu près un an."
lundi 26 octobre 2009
P. 184. Sauvetage de la mémoire des Justes
Deux Justes parmi les Nations : Abel et Suzanne Fournier. Cliquer sur la page : 43 (Arch. fam. Gisèle Fournier / Montage JEA / DR).
Origine du partenariat entre :
les ateliers de la création de Radio France
et
le Comité Français pour Yad Vashem.
Ce 22 octobre, Le Nouvel Observateur a publié des extraits de deux dossiers portant sur des Justes parmi les Nations. Signé par Jean-Pierre Guéno, ce travail historique a trouvé son origine dans un partenariat avec le Comité Français pour Yad Vashem qui en a plus particulièrement chargé Corinne Melloul.
Les motifs et bases ainsi que les buts et finalités de ce sauvetage de la mémoire des Justes, sont rassemblés dans cette synthèse :
- "Nous sommes à l’origine du premier corpus de témoignages de Justes. En effet, pour qu’un dossier visant à la reconnaissance de « Juste parmi les Nations » soit constitué, un minimum de deux témoignages de personnes sauvées est obligatoire.
C’est sur la foi de ces témoignages de juifs sauvés que la médaille des Justes parmi les Nations est attribuée. A ce jour, sauf exceptions, il n’existe pas dans les dossiers de témoignages écrits de Justes parmi les Nations.
Au titre de la mémoire mais aussi de l’historiographie, il est précieux de posséder ces témoignages. En effet, les sauvetages pour lesquels sont honorés ces Français ne se trouvent pas dans les archives écrites. Pour des raisons de clandestinité, de discrétion, de précaution, il n’était donc pas question de laisser de traces écrites. En effet, il faut rappeler que ces Justes parmi les Nations risquaient leur vie et celle de leurs proches.
Alors, comment connaître l’attitude de ces Français, comment écrire l’histoire de cette partie de l’opinion publique sous Vichy et enfin comment transmettre la mémoire de cette période à la future génération si on n’a aucun document ?
Les Justes parmi les Nations sont âgés et n’ont jamais, sauf quelques rares exceptions, témoigné.
Leur témoignage est précieux en tant que source historiographique mais aussi au titre de la sauvegarde de la mémoire.
Les témoignages des personnes sauvées mettent en lumière un aspect du sauvetage et portent un regard sur la persécution des juifs. Les témoignages de Justes parmi les Nations complètent la description de ces événements. Ils apportent des précisions sur les conditions de ces sauvetages (un passeur décrit la région, les réseaux d’entraide, une femme veuve de guerre peut préciser dans quelles circonstances elle a accueilli un enfant juif…).
Lorsque les personnes sauvées étaient des enfants, il est nécessaire de posséder le témoignage du Juste parmi les Nations car les enfants ne savaient pas, en général, quelles étaient les conditions de leur accueil, ni qui, parmi les adultes, fournissait les faux papiers ou comment le lien était maintenu dans certain cas avec un membre de sa famille. Voici quelques exemples qui montrent l’intérêt des témoignages des Justes parmi les Nations.
D’autre part, ces témoignages de Justes parmi les Nations permettent de connaître les motivations de ces Français qui ont sauvé des juifs. On apprend, en effet, à quel milieu ils appartenaient, quel était leur métier ou leur engagement (instituteur, paysan, résistant…) leurs aspirations (républicain, communiste, pacifiste, catholique, protestant…).
Tous ces éléments sont précieux si on veut comprendre pourquoi certains ont été collaborateurs et pourquoi d’autres ont choisi - même s’ils n’ont pas pris les armes dans la résistance - de désobéir à Vichy, risquant ainsi leur vie pour sauver d’autres vies. Ce deuxième aspect pourrait se résumer sous cette forme : « la banalité du bien en opposition à la banalité du mal ».
Si nous avons fort heureusement beaucoup commémoré, écrit, transmis toute l’horreur de la Shoah il semblerait inestimable de transmettre aussi cette mémoire comme la trace d’une France citoyenne, républicaine, humaniste.
La reconnaissance de Justes parmi les Nations (plus haute distinction civile de l’Etat d’Israël) a mis à jour ces histoires de Français. Ceux-ci, jusqu’à la reconnaissance, ont été très discrets, considérant la plupart du temps leurs actes comme « normaux ».
Grâce aux dossiers constitutifs de la reconnaissance, nous pouvons retracer et recueillir les témoignages nécessaires à la préservation de cette mémoire.
Devant l’urgence de recueillir les témoignages de Juste parmi les Nations, ceux-ci étant très âgés, et devant l’ampleur du travail car ils sont dispersés sur toute la France, il fallait agir vite."
Maurice Arnoult, Juste parmi les Nations. Cliquer sur la page 151 : (Arch. Blog CFYV / Montage JEA / DR).
- "Les ateliers de Radio France et le Comité français pour Yad Vashem ont initié la première collecte de témoignages de Justes parmi les Nations. C’est au titre du devoir de mémoire et de son rôle de service public que les ateliers de Radio France ont mis des compétences et des moyens pour que ne disparaîsse pas cette mémoire.
Le travail a débuté en 2002. Anne-Marie Amoros, pour les ateliers Radio France, coordonnait le projet. Corinne Melloul, du Comité Français pour Yad Vashem était associée à ce travail. Toutes deux sont, par ailleurs, historiennes.
La première étape a permis d’élaborer un fichier informatique (recueil de données sur les Justes parmi les Nations). Cette base de travail est devenue un outil développé au sein du Comité comme source d’information, enrichie et mise à jour régulièrement. C’était le début de la constitution d’une base de données indispensable au Comité mais aussi à la préservation de la mémoire.
De ce premier travail, deux documents d’une centaine de pages chacun ont été édités. Ils sont constitués de fiches détaillées avec l’identité des Justes vivants, acceptant de témoigner, un résumé du sauvetage, des extraits de témoignages de personnes sauvées.
La deuxième étape a consisté à recueillir les témoignages.
Une équipe spécifique a recueilli les témoignages, partout en France. Il a été fait appel, sur la base du volontariat, aux radios locales de Radio France.
(Pour l’aspect matériel : utilisation des studios et des techniciens de Radio France Paris.) Participation de l’Atelier mémoire pour centraliser les demandes techniques ; la réception et l’envoi des fiches ainsi que les enregistrements.
Un questionnaire ainsi qu’une fiche sur le témoin accompagnaient chaque entretien.
Le questionnaire a permis de recueillir des données pour constituer un document d’archive, la fiche servait de support à l’interviewer afin qu’il puisse recueillir le témoignage le plus exhaustif possible. C’est pourquoi les entretiens commencent tous avec la présentation du Juste parmi les Nations, des éléments sur son environnement familial, ses appartenances religieuses, politiques…
Ces données sont, en effet, précieuses pour de futurs chercheurs. L’entretien laisse ensuite une place assez longue au témoignage et se conclut toujours sur les motivations du sauveteur ainsi que sur ses relations avec les sauvés.
Les entretiens durent en moyenne une heure, certains pouvant être plus courts lorsque le témoin est âgé et beaucoup plus long (jusqu’à deux heures) lorsque celui-ci le souhaitait.
Une soixantaine d’entretiens ont été réalisés dans toute la France. Ceux-ci se présentent sous la forme de bande, mini-disc CD, et DAT.
Ceux-ci ont fait l’objet d’une retranscription Verbatim réalisée par Corinne Melloul.
Ce corpus donne une grande diversité tant du point de vue géographique que du point de vue des sauvetages. Certains Justes parmi les Nations agissaient dans la zone dite « libre », d’autres en zone occupée avec une spécificité parisienne. Les Justes parmi les Nations sont paysans, secrétaires de mairie, veuves de guerre de 14-18, femmes de prisonnier de guerre de 39-45, instituteurs, passeurs, résistants, religieux catholiques, protestants, étudiants... Les sauvetages, eux aussi, sont d’une grande variété : sauvetage d’enfants, de famille entière, fabrication de faux papiers, hébergement temporaire ou durant toute la guerre, convoyages d’enfants en zone libre et placements, convoyages d’adultes, aide pour échapper au STO, aide pour sortir d’un camp d’internement…
La richesse de ce travail réalisée par Radio France initie la première base de données pour l’historiographie du sauvetage des juifs en France par des civils. Il faut rappeler que le nombre de juifs déportés en France est inférieur à celui des pays voisins et c’est en grande partie grâce à l’action de la population civile. Cependant nous n’avions pas de telles données jusqu’à ce jour.
L’ensemble de ces archives va être remis au Comité Français pour Yad Vashem afin de le doter d’un véritable outil mémoriel. Ce corpus pourra être utilisé pour des chercheurs mais aussi au titre de la mémoire de la reconnaissance de Justes parmi les Nations ainsi que dans le cadre de tout type de travaux qui exigeraient une source fiable de ces actes de sauvetages (support pédagogique, commémoration, édition …).
Ainsi, Radio France vient de doter le Comité d’un fonds d’archives sonores ayant l’ambition d’apporter une première pierre à l’édifice de la mémoire de cette France courageuse et modeste mais aussi de cette reconnaissance israélienne.
Ce premier fond d’archives réalisé avec les moyens de Radio France et gratuitement pour le Comité pourra être le premier pas vers une vraie prise en compte de l’urgence de préserver cette mémoire et servir à développer un travail analogue dans les autres Pays Européens.
Le gouvernement français, au travers de la loi Le Garrec Marcovich, a instauré une journée de mémoire aux Justes depuis 2002. Le Président de la République Jacques Chirac a rappelé le courage de ces français au Chambon-sur-Lignon (la seule commune française reconnue Juste parmi les Nations avec une néerlandaise, un épisode de la série y est consacré) en juillet 2004.
Il était urgent de doter l’avenir d’un fond mémoriel, c’est ce que les ateliers de Radio France ont jugé important de mettre en œuvre en partenariat avec le Comité Français pour Yad Vashem."
Deux Françaises Justes parmi les Nations : Charlotte Olinger et Marguerite Farges. Cliquer sur la page 79 et la page 155 (Arch. Blog CFYV / Montage JEA / DR).
- "Les archives seront remises dans leur intégralité au Comité Français pour Yad Vashem."
vendredi 23 octobre 2009
P. 183. Pierre et Berthe Beaufrère, Justes parmi les Nations
Doizieux, dans le parc naturel du Pilat (DR).
Doizieux, là où
Bernard Hochman
fut mis à l'abri de la Shoah
Ce 18 octobre, à Doizieux, est revenu le souvenir des années noires. Celles de la guerre, de l'occupation, des collaborations, du STO, des représailles mais aussi de la résistance pacifique et magnifique qui consista à protéger des juifs persécutés.
Chaque cérémonie de remise de médailles et de diplômes de Justes parmi les Nations s'inscrit comme un maillon dans la chaîne de la reconnaissance infinie marquée à celles et à ceux qui osèrent risquer leur propre vie pour que le génocide des juifs ne soit pas total, victorieusement barbare !
Mais chaque cérémonie est spécifique. Car chaque sauvetage fut unique. Dépendant des histoires individuelles des Justes et de leurs protégés.
A Doizieux, Pierre et Berthe Beaufrère ont été salués, à titre posthume, car Bernard Hochman leur doit la vie...
Le Comité Français pour Yad Vashem avait délégué Annie Karo pour organiser cette cérémonie et l'y représenter.
Synthèse du dossier :
- "M. Hochman décide de s'exiler de la Pologne en 1924. Parvenu sur le sol français, en un pays symbole de la liberté, de l'égalité et de la fraternité, il s'intègre dans la société en exerçant la profession d'artisan-tapissier dans la capitale.
A la déclaration de la guerre, loin de chercher à rester à l'abri du conflit, M. Hochman s'engage au contraire. Comme il est étranger, il va porter l'uniforme de la Légion des Volontaires Etrangers.
Après sa démobilisation, il emporte son épouse et leur fils Bernard pour aller trouver refuge en zone dite libre. Le périple familial passe d'abord par Nantes avant d'aboutir à Saint-Etienne.
En 1942, le régime de Vichy procède à des mises au travail forcé de juifs dans le Groupement des Travailleurs Etrangers. M. Hochman s'y refuse. Nous sommes alors en novembre. Le couple va entrer dans la clandestinité. Père et mère se cachent séparément. Le petit Bernard est confié au pensionnat Saint-Louis de Saint-Etienne.
Une année s'écoule. En novembre 1943, Bernard est d'abord confié à un home d’enfants. Le garçon y reste jusqu’en mars 1944. Puis, par l’intermédiaire de l’association « Aide aux Mères », il est placé chez Pierre et Berthe Beaufrère, cultivateurs à Doizieux. Dans leur ferme du Pilat, Bernard vivra à l'abri et entouré de l'affection des Beaufrère. C'est chez eux qu'il connaîtra la Libération.
Son espoir de retrouver enfin ses parents sera exaucé puisqu'après la guerre, la famille Hochman pourra se ressouder plus forte encore d'avoir survécu à la chasse aux juifs."
Médaille de Juste parmi les Nations (DR).
Ce même 18 octobre et toujours à Doizieux, ont été honorés Antoine et Françoise Badart. Un prochain article sera consacré à ces deux nouveaux Justes parmi les Nations.
jeudi 22 octobre 2009
P. 182. Ste-Suzanne (Pyrénées) honore ses Justes
Site internet de Ste-Suzanne.
"Il y avait quelque chose à faire"
pour les persécutés raciaux...
Ste-Suzanne se souvient de ses Justes.
Aurélie Champagne :
- "De l'avis de tous, il y avait "quelque chose à faire" à Sainte-Suzanne. Pour que l'oeuvre de courage de certains habitants de la commune associée ne reste pas enfouie dans les souvenirs d'une période sombre.
Dans le silence, dans la peur, aussi, certaines familles ont accueilli et caché, au péril de leur vie, ceux que l'on appelait alors les "petits parisiens" : des enfants juifs, venus fuir la persécution à Orthez/Sainte-Suzanne, véritable frontière entre la zone occupée et la zone libre.
Pour leur éviter les trains de la mort, des Saint-Suzannais se sont glissés dans la peau d'un oncle, d'une tante, d'un parent éloigné. Les enfants sont devenus, le temps de la guerre, des catholiques pratiquants, suivant même les cours de catéchisme. Curé, élus, enseignants, ont alors joué un rôle. Autant de ratures au scénario noir écrit par le régime nazi {NDRL : et celui de Vichy}.
Pour rendre hommage à ces héros de l'Histoire, l'association Ensemble pour la paix, en partenariat avec la Ville d'Orthez-Sainte-Suzanne a décidé d'organiser une cérémonie "laïque et républicaine", dimanche 18 octobre, parrainée par l'ONAC et l'Institut Yad Vashem de Jérusalem. Un hommage anonyme, collectif et simple."
(Sud Ouest, 13 octobre 2009).
Bernard Molères, maire d'Orthez-Sainte-Suzanne :
- "Si on ne manifeste pas notre volonté d'affirmer notre devoir de mémoire, maintenant, il va se perdre dans les 10 ou 15 ans à venir. Nous voulons être cette passerelle vers les nouvelles générations.
Quand on cotoie les derniers témoins, on se rend compte qu'il faut aller très vite sinon c'est nous qui serons obligés de dire ce qui s'est passé."
Patrick Darrieux, maire-délégué de Sainte-Suzanne, conseiller municipal à Orthez :
- "J'ai bien entendu parler de quelques histoires par mon grand-père, mais je remarque que c'est surtout depuis trois ou quatre ans que les langues se délient...
Il y a une phrase qui me plaît beaucoup, c'est :
"Quand désobéir devient un devoir" !
A Sainte-Suzanne, c'est ce qui a été fait."
Légende Sud Ouest :
"Elus d'Orthez-Sainte-Suzanne, association Ensemble pour la paix... Tout un réseau s'est constitué pour organiser la journée d'hommage aux "Justes" de la commune." (Ph. A. C.).
André Cuyeau, président d'Ensemble pour la paix :
- "La journée se place sous le signe de la sobriété et du recueillement.
On a pu mesurer tout ce qui s'est passé ici autour de la ligne de démarcation. Notre rôle est de faire valoir ces zones de lumière. Ce n'est ni le 8 mai, ni le 11 novembre. C'est un hommage à la vie.
La cérémonie débutera à l'école. C'est l'école publique, de la République, symbole de la laïcité. Elle demeure l'une des pierres angulaires de nos institutions, et c'est là que furent accueillis ces enfants {persécutés}."
Eric Normand :
- "Reste quand même à comprendre pourquoi les actes de bravoure se sont manifestés de manière si éclatante dans le village. Pourquoi Sainte-Suzanne plus que les autres ? La proximité de la ligne de démarcation - qui passait par Orthez - est un élément à prendre en compte. L'autre serait la forte présence d'une communauté protestante. Ces derniers - c'était aussi le cas à Chambon-sur-Lignon (1) dans le massif cévenol - se sont souvent signalés, durant le conflit, pour leurs actes de bravoure et leurs actions au profit des juifs. Un phénomène que l'on explique par le fait qu'eux aussi ont, dans leur histoire, été victimes de persécutions. Ce qui a peut-être rendu plus sensibles leurs descendants à ce que traversaient les juifs durant la guerre."
(La République des Pyrénées, 8 octobre 2009).
Odile Faure :
- "Entre 1939 et 1945, de nombreux Sainte-Suzannais ont spontanément ouvert leur porte et leur coeur à ces enfants persécutés. « C'est le silence de tout le village qui est extraordinaire. Il y avait un danger dans le fait de ne rien dire. Il faut souligner cet acte de courage », tient à rappeler Georges Feterman, fils d'une enfant recueillie à Sainte-Suzanne.
Cette oeuvre de fraternité n'aurait pu se faire sans la complicité du maire de l'époque Jean-Baptiste Forsans, de l'abbé Lapade, des instituteurs Lucien et Marguerite Saint-Severe et sans l'aide de l'association protestante la Cimade, née quelques années plus tôt au camp de Gurs. Des noms cités en exemple, hier, lors de l'hommage public rendu à tous ces acteurs.
Sous un chaud soleil d'automne, dans cette cour d'école qui avait vu passer ces petits enfants juifs, 500 personnes ont assisté à une cérémonie poignante où Albert Seifer, représentant du comité régional Yad Vashem, a rappelé, la gorge nouée, qu'il était en vie parce qu'il avait été caché avec 82 autres enfants à Capdenac ; où le député David Habib a raconté son émotion à chaque visite à Jérusalem et où Bernard Molères, le maire d'Orthez, a justifié sa volonté « chevillée au corps » de célébrer « un hommage collectif aux Justes mais aussi aux familles anonymes qui ne l'ont jamais dit ».
Ces « humains ordinaires » devenus « élus de l'histoire » selon le directeur départemental des anciens combattants, M. Vergès, n'étaient plus là pour recevoir ces honneurs. Leurs descendants, oui. Roger Larribau, assis dans la foule, essuyait discrètement quelques larmes derrière ses lunettes. Ses parents - reconnus Justes en 1995 - ont accueilli des petits Parisiens dont Pauline Feterman, mère de Georges. « Je suis très fier de mes parents. Il faut garder toujours présent ce souci d'action sociale et d'entraide. »"
(Sud Ouest, 19 octobre 2009) (2).
NOTES :
(1) Cette mise au point se veut respectueuse des Saint-Suzannais qui ont protégé de la Shoah des juifs autrement promis à l'extermination. Mais contrairement à ce qui a pu être écrit à propos de cette cérémonie du 18 octobre, seules deux localités en Europe occupée ont été reconnues comme Justes parmi les Nations :
- le Chambon-sur-Lignon et
- Nieuwlande en Hollande.
(2) Tous nos remerciements à Natan Holchaker, délégué du Comité Français pour Yad Vashem. Cette page lui doit sa documentation.
P. 181. Une mère et sa fille Justes parmi les Nations
Mairie de Lasalle (DR).
Renée Garbowski :
"C'est une belle histoire",
celle des Justes
Rosa Palon et Hélène Doret
Caroline Froelig :
- "La remise de la médaille des Justes, à titre posthume, à Rosa Palon et Hélène Doret a été, hier {15 octobre 2009} à Lasalle, l'occasion d'une cérémonie chaleureuse et emplie d'émotion.
C'est leur petite-fille et fille, Roselyne Ghinea Doret, qui a reçu en leur nom cette distinction destinée aux personnes ayant sauvé des juifs lors de la seconde guerre mondiale. Renée Couque (née Garbowski), cachée entre 1942 et 1945, était présente.
La consule d'Israël à Marseille, Simona Frankel, et Edith Moskovic, déléguée régionale du comité français pour Yad Vashem, ont procédé à la remise de médaille et de diplôme et sont revenues sur sa portée humaine et historique, dans le cadre du devoir de mémoire.
Les élèves de CM2 de l'école de Lasalle sont d'ailleurs venus assister à la cérémonie aux côtés de nombreux Lasallois. Parmi eux, des Résistants, venus rendre hommage à Rosa et Hélène qui avaient également lutté à leurs côtés."
(Midi Libre, 16 octobre 2009).
Henri de Latour, Maire de Lasalle :
- "Notre histoire, liée au protestantisme, nous rapproche des juifs. Nous avons été traités de la même manière en d'autre temps, par le pouvoir."
Renée Garbowski avait 6 ans quand ses parents prirent la si difficile décision de la mettre à l'abri loin de Paris mais aussi loin d'eux. La gamine reçut un nouveau foyer à l'épicerie de Lasalle, auprès de Rosa Palon et de sa fille, Hélène (couturière). Toutes deux non seulement arrachèrent la petite Renée à la Shoah mais furent aussi des résistantes actives. Des Cévenoles courageuses, héroïques même mais ayant choisi de rester dans l'ombre...
Renée Garbowski :
- "A 73 ans, je dis toujours Tata Rosa et Tata Hélène. C'est une belle histoire. Celle-ci m'a laissé aussi d'autres traces, psychologiquement : le secret, le manque de mes parents..."
Roselyne Ghinea Doret, fille et petite-fille des Justes :
- "Quand Renée m'a parlé de cette médaille {de Juste parmi les Nations}, j'ai hésité. Elles n'auraient pas aimé être ainsi sur le devant de la scène. Pour elles, c'est leur foi, profonde, qui les a guidées et "l'amour". Tout simplement."
Robert Puech, résistant :
- "Il y avait un réseau de pasteurs. Ca partait de Nîmes. Ils cherchaient des familles ici. Mon oncle, par exemple, cachait un juif à l'endroit où logeait la milice ! Les choses se voyaient. Si les Lasallois n'avaient pas été solidaires, cela n'aurait pu se passer."
Edith Moskovic, déléguée du Comité Français pour Yad Vashem :
- "Pour moi, l'enfant cachée, chaque cérémonie est une double cérémonie. Mais quel bonheur !
mercredi 21 octobre 2009
P. 180. Marcel et Claire Josuan, Justes parmi les Nations
Villa Bagatelle, Mairie des 6e et 8e Arrondissements de Marseille (DR).
Les Josuan : une étape Marseillaise
dans le sauvetage
de la famille Krihiff
Ce 19 octobre 2009, la Mairie des 6e et 8e Arrondissements de Marseille a connu une cérémonie exceptionnelle : la reconnaissance à titre posthume d'un couple de Justes, Marcel et Claire Josuan. Leurs médaille et dîplôme ont été remis à leur fille, Colette Francès-Josuan par Simona Frankel, Consul Général d'Israël et par Robert Mizrahi, Président du Comité Français pour Yad Vashem pour le Sud de la France.
Témoignage de Jean Kriff :
- "Edouard Krihiff dit Kriff est né à Alger le 3 août 1905. En 1917, il est déclaré par l'Etat "pupille de la Nation", son père, Salomon, étant décédé des suites de la guerre 1914-1918 (siège de Salonique).
A 22 ans, il est directeur de la comptabilité des usines Citroën en Afrique du Nord.
Il vient à Paris pour y faire une carrière d'artiste lyrique.
En 1938, il entre dans la troupe de l'Opéra en tant que premier plan et y interprète tous les grands rôles de ténor.
En 1939, il se marie et devient père d'un enfant.
Au moment de l'exode, début juillet 1940, il quitte la capitale avec sa famille à laquelle s'est jointe sa mère Fortunée, née Tubiana (pour rappel, veuve de guerre). Dès après l'Armistice, il tente de revenir en zone nord (la France étant coupée en deux) mais est refoulé par les Allemands en tant que juif à Chalon (s/Saône) le 2 août 1940.
Il s'installe donc à Marseille pour être tout de suite engagé à l'Opéra. Il y chantera une trentaine de fois mais on l'entendra aussi très souvent sur l'antenne de la Radio Nationale installée dans la capitale phocéenne.
Au soir du 21 janvier 1943, il interprète le rôle de Mario :
- "...Et je n'aimais jamais autant la vie !"
rentre chez lui, 33 rue du Musée. Une heure plus tard, la police française se présente et l'arrête ainsi que sa mère sur dénonciation de certains de ses "camarades" du théâtre, du moins s'il faut en croire les dires de l'officier allemand qui l'interroge à la prison des Baumettes.
Edouard Krihiff a été séparé de sa mère. Fortunée Krihiff sera enfermée à Compiègne puis à Drancy avant d'être portée disparue à Majdanek le 27 mars 1943.
Lui prit la décision de s'évader. Il parviendra à sauter du train (1) pendant la nuit du 24 au 25 janvier, sera reccueilli par un prêtre puis un médecin et amené dans une famille de Firminy, les Durif pour y être soigné.
Muni d'une fausse carte d'identité, il regagnera Marseille, sera caché pendant deux mois par la famille Josuan au Lycée musical du 10 boulevard Salvator puis la famille Mansio à Bouc-Bel-Air avant de pouvoir être évacué dans l'Ardèche où, avec sa femme et son fils, il attendra grâce à des maquisards ardéchois la libération de Paris."
Invitation à la cérémonie du 19 octobre organisée par Robert Misrahi, Président du Comité Français pour Yad Vashem pour le Sud de la France (DR).
NOTE :
(1) Du 22 au 27 janvier 1943, se déroule à Marseille l'opération "Sultan". En application d'un ordre donné par Himmler et visant à la destruction du Vieux Port. Au moins 782 juifs seront arrêtés dans ce contexte. Le 24, un convoi partit de la gare d'Arenc pour Compiègne avec la très grande majorité de ceux-ci.
P. 179. Deux Justes de 90 ans honorés à Sérignac
Mairie de Sérignac (DR).
L'histoire d'Adolphe Zadek
seul rescapé de sa famille
grâce à Eusébie et à Fanny Llinares
Simona Frankel, Consul général d'Israël :
- "Vous êtes comme une lanterne dans l'obscurité. Vous prouvez aux jeunes générations qu'on peut être capable d'aider les autres sans attendre son dû (...).
Vous avez préféré la tolérance, la générosité et la fraternité à l'indifférence et à l'aveuglement (...).
Vous êtes des gens ordinaires entrés au patrimoine mondial de l'humanité (...).
Le devoir de mémoire arrache d'une seconde mort six millions de juifs sans sépulture."
Ce discours s'adressait aux époux Llinarès, 90 ans chacun, lors de la cérémonie de remise de diplôme et de médaille de Justes parmi les Nations s'est tenue le 15 octobre 2009 en la Mairie de Sérignac.
Toute la famille d'Adolphe Zadek avait tenu à être présente. Lui fut ce petit juif de Belgique sauvé par Eusébie et Fanny Llinarès. Après la libération et de retour à Bruxelles, il fut confronté à cette horreur : tandis qu'il avait été caché dans le Gard, ses parents moururent en déportation.
Quelle plus belle réponse à la volonté judéocidaire que de se marier, d'avoir des enfants et cinq petits-enfants ? Tous se retrouvèrent donc à Sérignac autour des Justes Llinarès.
Gérard Laudinas :
- "Fanny et Eusébie Llinares, 90 ans, élevés au rang de Justes parmi les Nations. Leur mérite : avoir abrité, élevé et protégé, entre 1943 et 1944, le fils, juif, sans destin, d'un tailleur de Bruxelles que leur avait confié en catastrophe le Secours suisse. Un garçon chétif et craintif qui n'était rien pour le couple Llinares, mais qui n'en devint pas moins l'objet de toute leur attention lorsqu'il s'en allait avec l'insouciance de ses dix-huit ans, donner de l'avoine aux chevaux du domaine, César et Sultan (...).
Sous le mur de photos où Adolphe Zadek, en culottes courtes, gravait son prénom dans la pierre cévenole du Mas de Coste où il était garçon de ferme, il fallait voir les larmes d'émotion écrasées au coin des yeux, mais aussi les regards complices et fraternels échangés entre les époux Llinares et Adolphe, 84 ans."
(Midi Libre, 16 octobre 2009).
Titre du Midi Libre, 16 octobre 2009, p. 2.
A noter que les deux Justes parmi les Nations n'ont pas seulement été "distingués par le consul d'Israël" mais aussi par Edith Moskovic, déléguée du Comité Français pour Yad Vashem.
mardi 20 octobre 2009
P. 178. Un couple de Justes à Condat-sur-Vienne
Eugène et Jeanne Granger,
Justes parmi les Nations
pour avoir sauvé la famille Jakubowitz.
Le Populaire du Centre :
- "Ce dimanche 18 octobre, à 11 heures, à Condat-sur-Vienne (87), Eugène et Jeanne Granger (agriculteurs) se verront décerner à titre posthume la "Médaille des Justes parmi les Nations" pour avoir sauvé la vie de Jankiel Jakubowitz et celle de ses trois enfants pendant la Seconde Guerre Mondiale.
La cérémonie se tient à la salle Vienne-Briance en présence du maire de Condat, Bruno Genest, et de Nicole Caminade, déléguée régionale du comité français pour Yad Vashem.
Les Granger seront représentés par leur petite fille, Danielle Cornée, qui recevra leur médaille des mains de Shlomo Morgan, ministre conseiller à l'information rattaché à l'ambassade d'Israël en France."(17 octobre 2009).
Synthèse du dossier de ces Justes :
- "Jankiel et Chana JAKUBOWITZ sont originaires de Pologne. En France, ils choisissent de s'établir à Metz. Le couple a trois enfants :
- Denis, né en 1930,
- Sam (Wolf), né en 1928,
- Hélène, née en 1925.
Fin 1939, la famille quitte Metz pour Angoulême. Puis au bout de juillet 1942 les parents décident de rejoindre Limoges alors en zone libre. Jankiel, Hélène et Denis y parviennent sains et saufs tandis que Wolf part avec sa mère le 31 juillet 1942 dans un convoi de 35 juifs. Ceux-ci sont hélas interceptés par les Allemands. Avec deux autres compagnons d'infortune, Wolf parvient à s’échapper en sautant de la camionnette mais sa mère sera déportée.
Privée cruellement de la maman, la famille se retrouve donc à Limoges et cherche un abri. C'est Hélène qui va trouver un logement à Chambon, par Condat-sur-Vienne, petit village d’une quarantaine d’habitants. Ils sont accueillis avec chaleur par Jeanne et Eugène GRANGER, agriculteurs, lesquels vont fournir un contrat de travail à Jankiel, contrat qu’il renouvellera autant que besoin. Il faut préciser que M. Granger est adjoint au maire de Condat.
Ce sauvetage des Jakubowitz s'est déroulé d’une manière totalement désintéressée."
Le Populaire du Centre :
- "Emotion hier salle Vienne-Briance de Condat.
Le ministre conseiller à l'information rattaché à l'ambassade d'Israël en France, Shlomo Morgan, et Nicole Caminade, déléguée régionale du comité français pour Yad Vashem, ont en effet remis à titre posthume la médaille des "Justes parmi les nations" à Eugène et Jeanne Granger pour avoir sauvé la famille Jakubowitz durant la Seconde Guerre Mondiale.
C'est leur petite-fille, Danielle Cornée, qui a reçu au nom des courageux défunts cette grande distinction, symbole de la reconnaissance de toute une nation.
La cérémonie s'est déroulée en présence de Gérard Terrier, suppléant de Monique Boulestin, députée de la circonscription, de la conseillère générale Annick Morizio, du maire de Condat, Bruno Genest, de nombreux membres du conseil municipal ainsi que de la famille de M. et Mme Granger."
(19 octobre)
P. 177. Marcel Foucault, Juste parmi les Nations
Invitation à la cérémonie de reconnaissance de Marcel Foucault (Doc. R. Mizrahi / DR).
Paula Foucault-Boyer :
"C'est lui qui a sauvé,
au péril de sa vie,
le peu de famille que les Allemands
n'ont pas réussi à m'arracher"
Ce 12 octobre, l'Hôtel de Ville de Marseille servit de cadre à la cérémonie de remise, à titre posthume, du diplôme et de la médaille de Juste parmi les Nations à Marcel Foucault. Son fils, Jean-Pierre, les reçut des mains de Simona Frankel, Consul général d'Israël, et de Robert Mizrahi, Président du Comité Français pour Yad Vashem pour le Sud de la France.
Témoignage de Paula Foucault-Boyer, née Pessa Leska :
- "J'ai vu le jour le 27 février 1916 à Mogelnica, en Pologne. J'étais la troisième de neuf enfants d'une famille juive traditionnelle. Mes parents tenaient une boulangerie-pâtisserie où ils travaillaient très dur.
Comme il n'y avait aucun avenir pour moi en Pologne, je suis partie en 1938 pour la Belgique où j'ai rejoint ma soeur Anna qui tenait avec son mari un supermarché de produits frais. Je faisais de mon mieux pour l'aider à tenir le magasin et élever ses deux enfants, Paulette et Maurice.
Et puis les Allemands sont arrivés en Belgique. Je suis alors partie sur les routes à pied, sans ma soeur, mon beau-frère et les enfants qui pensaient ne rien risquer...
En juin 1940, après l'armistice, j'ai pensé rejoindre l'Argentine en prenant le bateau à Marseille. Là, dans cette ville, je n'avais qu'un seul contact : Monsieur Falek. C'est grâce à lui que j'ai rencontré celui qui allait devenir mon sauveur, celui de ma famille et plus tard mon mari : Marcel Foucault.
Marcel Foucault m'a aidée tout au long de la guerre. Il prenait pour moi, comme pour d'autres juifs, des risques énormes. Il nous fournissait de faux papiers, essayait de nous trouver des logements et mettait sans cesse sa vie en péril pour sauver la nôtre.
En 1941, il avait rejoint le réseau "Combat", la plus importante organisation de Résistance en zone sud, où il tenait une rôle de "boîte aux lettres" dans les services de liaison, s'occupait aussi des dépôts d'armes et surtout de la fabrication de tickets d'alimentation et de faux documents.
Quand les rafles ont commencé à Marseille, alors qu'il me connaissait à peine, il m'a cachée chez une dame de la Rose, Madame Garnier, et m'a donné de faux papiers. Il payait lui-même ma logeuse chaque mois et me rendait visite sans cesse.
Quant à mes neveux, Maurice 5 ans et Paulette 9 ans à l'époque, s'ils sont en vie encore aujourd'hui, ils ne le doivent qu'au courage et à la générosité de Monsieur Foucault qui a pris tous les risques imaginables pour les sauver des griffes des Allemands.
Je peux vraiment dire que toute la famille que j'ai aujourd'hui, je la dois à celui qui est devenu mon Mari, car c'est lui qui a sauvé, au péril de sa vie, le peu de famille que les Allemands n'ont pas réussi à m'arracher." Signature de Paula Foucault-Boyer (Doc. R. Mizrahi / DR).
Suite du témoignage :
- "Mais la générosité de Monsieur Foucault à l'égard des juifs ne s'arrêtait pas à aider ma seule famille. Je sais qu'il a fourni à sa secrétaire, qui était juive, de faux-papiers. Malheureusement, elle fut arrêtée et forcée de dénoncer celui qui lui avait fourni sa carte d'identité. Vous n'imaginez pas le combat qu'il a fallu mener pour sortir Monsieur Foucault des mains de la Gestapo. Quinze jours très douloureux dont il est ressorti encore plus fort et convaincu de s'opposer à l'occupant.
(s) Paula FOUCAULT-BOYER."
La médaille et le diplôme de ce Juste parmi les Nations ont été confiés à son fils, Jean-Pierre Foucault. La stature médiatique de ce dernier a entraîné de larges échos dans la presse. Dont celui-ci :
(Doc. V. Saül / DR).
lundi 19 octobre 2009
P. 176. Le sauvetage de Gaby Bron
Joseph et Léa Legrip,
Justes parmi les Nations.
Le 6 septembre dernier, la commune de Saint Philbert des Champs, dans le Calvados, s'est souvenue d'une petite juive, Gaby Bron qui y fut abritée de la Shoah. De 1942 à la libération, la famille Legrip lui ouvrit généreusement son foyer alors que la chasse aux persécutés battait son plein, menée par les occupants et l'Etat de Vichy.
Synthèse du dossier de reconnaissance de Joseph et de Léa Legrip :
- "Les parents de Gaby Bron sont Polonais, originaires de Lodz. Le père est né en 1905 et la mère en 1907. Ils émigrent à Paris en 1933 avec leur bébé, Gaby Gita, née en 1932.
Ils s’installent au 30 du boulevard de Sébastopol dans le 4e arrondissement. M. Bron est tailleur. Une seconde fille agrandit la famille.
En mai 1940, la guerre a éclaté avec tous ses malheurs. Les restrictions commencent à peser, y compris sur le plan alimentaire. Des écoles envoient les enfants à la campagne. C’est dans ce contexte que M. et Mme Legrip accueillent Gaby dans leur ferme du Calvados. Ils savent que cette fillette de 8 ans et qui pleure beaucoup, est juive. Elle est accompagnée de son amie Ginette, petite fille non-juive elle, que les Legrip décident d’héberger également afin de ne pas séparer les gamines.
M. et Mme Legrip ont alors trois enfants :
- Jeaninne 13 ans,
- Suzanne 12 ans,
- et Maurice 10 ans.
Les combats et les exodes terminés, Gaby regagne Paris. Mais les familles Bron et Legrip restent en contact.
Le 14 mai 1941, se produit l’arrestation de M. Bron. Transféré à Pithiviers, il sera déporté à Auschwitz en juin 1942 (convoi N°4) où il est assassiné.
En raison des rafles du Vel d’Hiv, Mme Bron ne pense qu’à sauver Gaby et la reconduit chez M. et Mme Legrip à Saint Philbert des Champs. Gaby Bron a gardé en mémoire les paroles émouvantes de Mme Legrip à sa mère :
- «Quand vous reviendrez, vous retrouverez Gaby, et si un malheur vous arrive, sachez que votre fille sera notre fille.»
Une vraie vie de famille est offerte à la petite juive. Elle va à l’école, à l’église aussi. Elle est baptisée avec l’autorisation de sa maman, ayant M. et Mme Legrip pour parrain et marraine.
Elle garde son nom, elle sait qu’elle est juive. Les enfants Legrip la considèrent comme leur petite sœur. Jeaninne, l’aînée, devient sa confidente et sa protectrice.
Le village de Saint Philbert les Champs et son Maire ne la dénoncent pas. Officiellement, Gaby est « la filleule de M. et Mme Legrip » alors qu’un bureau allemand occupe pendant un temps la salle à manger et une chambre de la ferme.
Aujourd’hui, Gaby devenue Mme Barsam pense que sa maman et sa sœur se sont cachées dans la région de Lyon.
A la fin de la guerre, Mme Bron-Waksman vient chercher sa fille néanmoins attachée à sa famille d’accueil. Gaby passe brillamment son certificat d’études mais ne peut continuer ses études par manque d’argent. Elle apprend la couture à l’ORT puis travaille dans la confection avec sa mère.
Gaby Bron resta très liée avec ses bienfaiteurs jusqu’à leur disparition et avec leurs enfants Jeaninne et Maurice."
Saint Philbert des Champs, 6 septembre 2009 (Photo : Arch. Goldenberg).
Le 6 septembre, lors de la cérémonie de remise des diplôme et médaille de Justes aux ayants droits, le Comité Français pour Yad Vashem était représenté par ses deux délégués Gérard et Elisabeth Goldenberg. Qu'ils soient tous deux remerciés pour leur apport à cette page du blog.
dimanche 11 octobre 2009
P. 175. "Les origines de la Solution finale"
La collection "Points - Histoire" propose en volume poche
Christopher R. Browning
Les origines de la Solution finale,
L'évolution de la politique antijuive des nazis,
septembre 1939 - mars 1942,
Ed. du Seuil, 2009, 1020 p.
Ed. Seuil :
- "En 1939, l’Allemagne nazie, qui projette une recomposition démographique de l’Europe centrale et orientale, entreprend d’expulser les populations juives qui y habitent. À l’automne 1941 est décidée la destruction totale des Juifs.
Il s’agit ici de l’étude la plus complète de cette période où la politique raciale nazie a « bifurqué » de la persécution et du « nettoyage ethnique » vers la Solution finale et le génocide juif.
La Pologne a servi de laboratoire à la politique raciale du IIIe Reich et, par la suite, l’offensive contre l’Union soviétique a joué un rôle déterminant dans la radicalisation qui a conduit à la Solution finale. De cette évolution, Adolf Hitler est le chef d’orchestre sinistre.
Au débat entre fonctionnalistes et intentionnalistes, ce livre apporte de nouveaux arguments et met en lumière les liens inextricables noués entre les hommes, leurs idéologies et les circonstances.
Après Des hommes ordinaires. Le 101e bataillon de réserve de la police allemande et la Solution finale en Pologne et Politique nazie, travailleurs juifs, bourreaux allemands (Les Belles Lettres, 1994 et 2002), Christopher R. Browning, professeur d’histoire à l’University of North Carolina, Chapel Hill, signe un nouvel ouvrage de référence.
Avec des contributions de Jürgen Matthäus, chercheur au U.S. Holocaust Memorial Museum.
Traduit de l’anglais par Jacqueline Carnaud et Bernard Frumer."
Jean-Pierre Allali :
- "Disons-le tout de go, ce livre est un monument. Sa lecture est impérative pour tous ceux que l’histoire de la Shoah intéresse et interpelle. Le talent de chercheur de Christopher R. Browning, qui est de la trempe d’un Raul Hilberg, se conjugue avec une plume alerte et incisive.
L’abondance des notes, en fin de volume, cent pages, témoigne du souci du détail et de la précision des auteurs. L’objectif avoué est de montrer l’irrésistible enchaînement, la spirale infernale qui a conduit, au fil des années, à la catastrophe."
(CRIF).
Juifs de Kielce photographiés par des nazis (DR).
Thomas Wieder :
- "En 1939, l’Allemagne nazie a pour projet de redessiner l’Europe de l’Est en expulsant les populations juives qui l’habitent. À l’automne 1941 est décidée la destruction totale des juifs.
Comment la politique nazie est passée de l’expulsion massive à la destruction massive ?
Quels sont les rouages, humains, circonstanciels ou intellectuels qui ont mené à la prise de décisions ? Quel rôle a eu Hitler ?
Telles sont les questions soulevées dans cette étude magistrale, fruit du travail de Christopher Browning, historien mondialement reconnu. Le livre, salué par la communauté scientifique mais aussi par le grand public, est l’étude la plus détaillée et la plus complète de cette période complexe et décisive où la politique raciale nazie a « bifurqué » de la persécution et du « nettoyage ethnique » vers la Solution finale et l’Holocauste.
Articulant son étude autour de deux dates clefs, la conquête de la Pologne en septembre 1939 et le début des déportations au printemps 1942, Christopher Browning envisage la Pologne comme le laboratoire d’essai de la politique raciale. Il démontre ensuite le rôle essentiel de l’offensive contre l’Union Soviétique dans la radicalisation qui a conduit à la Solution finale. De cette évolution, Adolf Hitler est le chef d’orchestre sinistre : au débat entre fonctionnalistes et intentionnalistes, le livre donne de nouveaux arguments et montre les liens inextricables noués entre les hommes, leurs idéologies et les circonstances."
(Le Monde, 2 novembre 2007).
Début de la construction du ghetto de Varsovie (DR).
André Burguière :
- "Le livre de l'historien américain, qui analyse en détail les décisions qui ont abouti à l'horreur, est un apport capital à l'historiographie de la Shoah.
(…)
Cette chronologie de l’horreur minutieusement reconstituée montre que c’est l’euphorie du succès, et non la peur de l’ennemi, qui a poussé à chaque fois les nazis à franchir une nouvelle étape dans la mise en œuvre de l’Holocauste.
Christopher Browning pulvérise ainsi la thèse d’Ernst Nolte, le pape du révisionnisme allemand, pour qui l’élimination des juifs doit se comprendre comme la réaction de défense d’un régime qui se sent menacé par l’agressivité du bolchevisme, dont les chefs étaient souvent juifs.
Si l’ivresse de la conquête est bien le moteur de l’accélération des mesures meurtrières prises contre les juifs au sommet de l’Etat, cette montée en puissance est accompagnée et même souvent devancée à la base de l’armée par un défoulement criminel manifestement paranoïaque.
«Je réfléchis au fait que, moi aussi, j’ai deux enfants à la maison avec lesquels ces hordes feraient la même chose, si ce n’est dix fois pire», écrit Walter Mattner, un secrétaire de police viennois, qui raconte à sa femme le massacre de juifs de Moguilev auquel il a pris part en octobre 1941. «Les bébés volent en l’air, ajoute-t-il, et nous les abattons en vol avant qu’ils ne tombent dans une fosse.»
(Le Nouvel Observateur, 14 novembre 2007).
Juifs de Russie pris en photo par les services de propagande allemande (BA / DR).
Olivier Wieviorka :
- "Comment la destruction des Juifs d'Europe a-t-elle été possible ?
Cette question, durant les années quatre-vingts, ouvrit un débat qui opposa intentionnalistes (persuadés que le crime avait été prémédité par Hitler) et fonctionnalistes (affirmant que ce meurtre sans précédent résultait des initiatives menées, sur le terrain, par des exécuteurs zélés).
La recherche a depuis progressé et l'ouvrage que Christopher Browning consacre à la genèse de la solution finale permet de mesurer le chemin parcouru...
La solution finale résulte tant d'actions menées sur le terrain que d'impulsions données par des chefs, peu enclins, au demeurant, à dissimuler leurs forfaits. Par ailleurs, c'est bien en octobre 1941, période où la Wehrmacht remporte à l'Est ses plus grands succès, que démarre la tuerie industrielle des Juifs, sans que l'armée, la bureaucratie ou l'opinion publique s'en émeuvent.
Les violences déclenchées dès 1938 avaient conduit à séparer les Juifs d'une population qui, dans une conjoncture de guerre nuisible à l'expression de sentiments discordants, s'accoutuma à juger normale la mort d'êtres humains coupables d'être nés. La démonstration de Christopher Browning est impressionnante."
(Libération, 11 octobre 2007).
lundi 5 octobre 2009
P. 174. Hommage à William Zékri
- "William Zékri est né le 6 juillet 1936 à Miliana, près d’Alger.
Il a grandi dans ce village, puis il est venu en France, en 1962, après avoir effectué son service militaire en Algérie. A ce titre il a été décoré de la Médaille des anciens combattants en Afrique du Nord.
Le jour de ses obsèques, trois porte-drapeaux lui ont rendu les honneurs. L’un d’eux, Robert Gouy, avait reçu de ses mains, le 24 août 2009, à Grasse, la Médaille des Justes pour ses parents, Anna et Victor (1).
William s’est marié une première fois, et de ce mariage est né une fille, Nathalie, aujourd’hui maman de deux petits garçons, Ari et Noa, qui ont fait son bonheur jusqu’aux derniers instants de sa vie.
Marié en secondes noces à Fabienne, il a eu deux autres filles : Céline et Sabrina.
Après une vie professionnelle partagée entre l’Algérie, où il travaillait à la banque CIC, et la France, où il était responsable du service informatique aux transports de Nice, il s’est investi dans de nombreuses associations caritatives.
Au Bnai Brith, il a présidé pendant 2 ans la loge Théodor Herzl. Appliquant fidèlement l’engagement de cette association : "Bienfaisance, Amour fraternel, Harmonie". Au cours de sa présidence, il a organisé un grand bal de Pourim dans les salons de Nice Acropolis, afin de pouvoir financer des actions caritatives, notamment « l’Epicérie du cœur » et les mouvements de jeunesse.
Il a également dirigé l’antenne Emploi, au FSJU, durant plusieurs années. Il recevait les personnes en difficultés professionnelles, était en contact avec les services sociaux et se mettait également en relation avec les entreprises, essayant de trouver des solutions et offrant toujours un accueil amical aux demandeurs d’emploi, ayant un bon mot pour tous.
Ces dernières années, il s’est investi dans la transmission de la Mémoire de la Shoah. Secrétaire général du Comité pour Yad Vashem Nice Côte d’Azur pendant plusieurs années, il en était devenu président depuis près de 2 ans. Malgré les difficultés, il avait pris très à cœur cette mission et remettait chaque fois les médailles des Justes avec beaucoup d’émotion, envers les sauveteurs et leurs descendants.
Lors des cérémonies organisées par le Comité pour Yad Vashem à l’occasion de Yom Hashoah, il prenait la parole devant la communauté juive et les officiels, rappelant l’extermination des Juifs pendant la guerre.
Par lui, Yad Vashem était présent aux manifestations officielles : journée de commémoration des rafles du 16 et 17 juillet 1942, à la gare SNCF de Nice, marche à Saint Martin Vésubie en souvenir de l’Exode biblique des Juifs fuyant l’avancée nazie, rappel de l’action des Justes de Saint Léger, etc…
Ses plaisanteries et sa bonne humeur manqueront beaucoup à sa famille et à ses amis. William laisse un grand vide derrière lui."
(s) Michèle Merowka. (3)
Dernier discours public de William Zékri : Grasse, le 24 août 2009 (Ph. Arch. M. Merowka / DR).
NOTES :
(1) Lire la page 166 de ce blog.
(2) Cliquer sur AMEJDAM dans les liens.
(3) Vice-Présidente de l'antenne du Comité pour Yad Vashem Nice Côte d'Azur. Elle a travaillé harmonieusement et pendant deux ans aux côtés de William Zékri. C'est par amitié pour lui qu'elle a écrit cette courte biographie.
L'épouse du défunt avait demandé à Michèle Merowka de prendre la parole au cimetière, au nom de Yad Vashem et de l'Amejdam, ce qu'elle fit avec beaucoup d'émotion.
Nous la remercions pour les illustrations et le témoignage qu'elle a confiés à ce blog.