mardi 2 juin 2009

P. 145. Fragments de la vie de Germaine Tillion

"La fidélité à une certaine idée de l'humanité"...

Germaine Tillion, «Fragments de vie»,
textes rassemblés et présentés par Tzvetan Todorov,
Seuil, 2009, 392 p.

4e de couverture :

- "Décédée en avril 2008 à l'âge de cent ans, Germaine Tillion a connu un destin exceptionnel. Ethnologue et historienne, elle est l'une des premières résistantes en France, avant d'être déportée à Ravensbrück. Pendant la guerre d'Algérie, elle se bat pour empêcher l'horreur qui s'installe dans les deux pays qui lui sont chers : l'un a été son terrain de recherches, l'autre est sa patrie bien-aimée.Au retour du camp, Germaine Tillion avait compris que les résultats des sciences humaines dépendent étroitement de la personnalité de celui qui les pratique. Elle avait donc conçu le projet de raconter son apprentissage scientifique en évoquant les grands événements de sa vie.

Tzvetan Todorov a essayé de reconstituer ce travail inachevé. Composé aux deux tiers de textes inédits, puisés dans les archives récemment classées, l'ensemble s'articule en cinq grandes séquences :
- Ethnologue en Algérie,
- Résistance et prison,
- Déportation,
- Après le camp,
- La guerre d'Algérie.
Récit continu d'une vie intense, le livre révèle à la fois un écrivain de premier plan et un penseur original."

Germaine Tillion :

- "Certes, j'avais senti d'instinct les pudeurs qui entourent tous les rites de la nourriture dans ces pays où la famine est chronique [...] mais je ne les ai vraiment comprises que lorsque, dans l'aube glaciale, j'ai vu des fantômes chancelants se détourner, tous, d'un seul mouvement, pour ne pas rencontrer le regard d'un autre fantôme qui - brusquement isolé des autres - grignotait dans les ténèbres tandis que, dans le silence devenu total, on n'entendait plus que le bruit énorme des dents grinçant sur quelque chose, de la salive mouillant quelque chose, des lèvres suçant quelque chose, et de la glotte se tendant et se détendant pour avaler quelque chose."



A Ravensbrück aujourd'hui (DR).

Solenn de Royer :

- "Germaine Tillion n’est plus – elle est morte le 19 avril 2008, à l’âge de 100 ans – mais sa vie, qui recouvre le XXe siècle, restera un exemple de lucidité et de courage, d’humour et d’intelligence, d’humanité. Deux ans avant sa mort, l’ethnologue et ancienne résistante a décidé de léguer l’ensemble de ses archives à une association (1), avec pour seule recommandation que celles-ci, parce qu’elles forment un « tout », précisait-elle, ne soient pas dispersées, mais « reliées par le même fil rouge de fidélité à une certaine idée de l’humanité ».
Le président de l’Association Germaine-Tillion, l’intellectuel d’origine bulgare Tzvetan Todorov, s’est plongé dans ces archives, entreposées depuis l’an dernier à la Bibliothèque nationale de France. Il termine « ébloui par la qualité intrinsèque, humaine et littéraire » des pages laissées par cette femme hors du commun, « d’autant plus imposante (et attachante), écrit-il, qu’elle était la simplicité même ». Tzvetan Todorov décide qu’il ne peut garder ces « trésors » pour lui et entreprend d’en assembler certains fragments – les deux tiers sont inédits – pour publication. Un travail que Germaine Tillion, qui avait compris que les résultats des sciences humaines dépendent étroitement de la personnalité de celui qui les pratique, avait elle-même commencé, sans le terminer.
(1) http://www.germaine-tillion.org/association
(La Croix, 28 mai).


"Une opérette à Ravensbrück" écrite au camp par Germaine Tillion (DR).

Antoine Audouard :

- "L'autre miracle de ces «Fragments», c'est tout simplement leur écriture. C'est une chose de dire que Tillion était une femme bien et une ethnologue exigeante et audacieuse; c'en est une autre de voir comment, portée par la souffrance et la compassion, elle a pu «écarter avec peine la pierraille brûlante du passé proche» pour écrire ses plus belles pages «face à l'extrême». Témoin toujours, certes, qui sait mobiliser toutes les ressources de son intelligence et de son expérience pour ne pas se contenter de documenter le malheur des autres, et se trouve capable de ressentir «les grandes vagues sombres d'aveugle fureur qui se gonflent silencieusement dans leur nuit». Qu'il s'agisse de l'évocation de sa vie dans les Aurès, du récit de sa course contre la montre- finalement vaine - pour sauver de l'exécution deux résistants, de son incroyable lettre au tribunal allemand, de ses récits de la déportation, on est ébloui et touché par cette plume qui sait se glisser jusque dans les sensations primaires et les restituer avec une puissance évocatrice, dans une langue juste et fermée à la sentimentalité.
(Nouvel Observateur, 21 mai 2009).

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