mercredi 22 avril 2009

P. 132. Paroles de Thérèse Altglas à Mandres-les-Roses

Après les pages 127 et 131 de ce blog,
suite et fin de la cérémonie du 19 avril 2009
à Mandres-les-Roses.

Mairie, détail de la couverture de :
Jean-Claude De Glas, Deux enfants se souviennent. Destins croisés à Mandres-les-Roses durant la Shoah, Ed. de la Mémoire, plaquette de 8 p. (DR).

Ce blog vous a informés de la synthèse du dossier ayant convaincu l'Institut Yad Vashem d'ajouter les noms de Francis ainsi que de Julienne Mélisson à la liste des Justes parmi les Nations. Dans les deux discours prononcés lors de la cérémonie de reconnaissance, le 19 avril 2009, par Jean-Claude Perrault, Maire et son adjoint, Jean-Claude De Glas, ont été mises en lumière les conditions dans lesquelles s'est déroulé le sauvetage de Thérèse Altglas par ce couple de Justes.

Une troisième page, celle-ci, est tout aussi indispensable pour diffuser plus largement le discours tenu en ces circonstances si émouvantes par Thérèse Altglas. Mais tout comme le texte retenu par Jean-Claude De Glas, celui-ci représente in extenso plus d'une dizaine de pages. Nous ne pouvons dès lors que nous excuser, faute d'espace plus élargi qu'un blog, de ne publier ici qu'une synthèse espérée fidèle à l'esprit et au fond de ce long discours.

Thérèse Altglas :

- "(…) Je voudrais commencer ce discours en tenant tout d’abord à vous remercier d’être aujourd’hui à mes côtés pour partager ma joie et rendre un grand hommage à Mme et Mr MELISSON, ce couple mandrion que j’appelais « MEME & PEPE ».
En cette journée du 19 Avril 2009, c’est pour moi un grand honneur de pouvoir m’exprimer devant vous tous car, non seulement nous rendons à mes « SAUVEURS » l’hommage qu’ils méritent, mais, aujourd’hui, il se trouve que ce soit la date anniversaire de l’insurrection du ghetto de Varsovie. Je voudrais en quelques mots vous rappeler et bien vous faire comprendre qu’être née en 1941 et, de plus, être de confession juive, étaient la pire des choses qu’il puisse arriver à un nouveau-né.
Le hasard de la vie a accordé une chance immense à ma mère puisqu’elle a pu, en 1942, croiser le chemin de Mme & Mr MELISSON, habitants de Mandres-les-Roses, qui ont immédiatement répondu à son appel au secours avec le plus grand désintéressement.
POUR CEUX-CI, IL S’AGISSAIT DE SAUVER UNE VIE, LA VIE D’UN NOURRISSON.
Je souhaiterais rendre grâce à l’humanisme, à la tolérance et à la compassion de ces personnes qui ont eu le courage, pendant cette douloureuse période de la guerre, de :
me cacher au péril de leur vie, me choyer, m’aimer,
EN QUELQUE SORTE : m’adopter, et me considérer comme leur propre enfant.
Au travers de tous les livres, documents, discours, films que j’ai pu lire, entendre et voir, trop peu de personnes en France ont eu le courage, sous le joug de la barbarie nazie, d’agir de la sorte,
C'EST-A-DIRE : SAUVER DES VIES.
Comme le dit si justement le livre que l’on nomme le Talmud Thora, lequel nous apporte méditations, réflexions et enseignements, lus au quotidien dans les synagogues et tirés de l’ancien Testament :
« Quiconque sauve une vie, sauve l’univers tout entier ».
C’est ce qu’a fait ce couple merveilleux en sauvant la mienne.
J’ai malheureusement perdu une grande partie de ma famille pendant cette triste période de la guerre, famille qui a été exterminée à Auschwitz.
En particulier mon père, Abraham CYMERMANN, arrêté par la police française alors sous l’autorité du gouvernement de Vichy qui avait institué de nouvelles lois sur la question juive.
PAPA, toi que je n’ai jamais connu, qui m’a beaucoup manqué durant toute ma vie, et qui n’a pu m’entourer de l’amour d’un père si important pour un enfant.
Je suis très heureuse et honorée qu’il y ait parmi nous un témoin vivant de cette horrible période de la guerre, je parle de l’oncle de mon mari, qui, en pleine adolescence, a été déporté avec son frère à Auschwitz et qui, par je ne sais quel miracle, ont pu échapper à cette monstruosité qu’était ce camp de la mort.
Merci de saluer à travers lui toutes les commémorations qui ont eu lieu et qui auront lieu ces jours-ci sur l’histoire de la Shoah.

Bien après la libération, ayant atteint l’âge de raison, j’écoutais avec beaucoup d’attention sur les ondes des radios françaises, une chanson de Renée LEBAS, cousine de mon beau père et chanteuse-interprète de l’époque, dont les paroles m’ont beaucoup marquée et donné longtemps de l’espoir.
Cette chanson était aussi dédiée à tous ceux qui ont eu la chance de revenir des camps de la mort et qui se sont retrouvés à l’hôtel Lutécia et à l’hôtel Meurice à Paris, accueillis par la Croix Rouge française où ont été prodigués les soins nécessaires à tous ces moribonds revenus d’outre-tombe, et qui les ont aidés à reprendre doucement goût à la vie et leur permettant, ENFIN, de
jouir de leur liberté retrouvée. La chanson qu’elle interprétait était intitulée « Garde l’Espérance » dont voici le premier couplet et refrain :
« La bise gémit, les oiseaux n’ont plus d’horizon,
Pour nous la vie s’enfuit et ressemble à une prison.
N’entends-tu pas quand vient la nuit
L’écho au loin tout bas qui dit :
Garde l’espérance un autre temps viendra
Ta souffrance demain finira
Garde l’espérance ne crains jamais ton sort
En silence résiste et sois fort.
Une étoile dira le retour de tes rêves et de tes amours,

Et tes peines alors seront vaines car le monde chantera l’amour.
Garde l’espérance un autre temps viendra
Ta souffrance demain finira ».
J’ai beaucoup espéré en entendant ces paroles, mais, hélas, mon père n’est jamais revenu d’Auschwitz,
ET LE MONDE NE CHANTE TOUJOURS PAS L’AMOUR."


Thérèse Altglas (Arch. J-C De Glas et Le Parisien, montage JEA / DR).

- "Je souhaiterais que cette journée serve d’exemple pour faire comprendre aux nouvelles générations, toutes confessions confondues, qu’il ne faut jamais oublier les horreurs qui se sont déroulées pendant cette période de la guerre, ET QUE LE MONDE ENTIER A LAISSE FAIRE. Pour bien me faire comprendre, je souhaiterais ardemment que les parents et les enseignants évoquent, avec les enfants, cette période de la guerre que furent les camps de concentration et d’extermination que les historiens ont appelé « SHOAH » Comme le disait si justement Berthold BREICHT :
« Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde ».
Malheureusement, chaque jour qui passe nous prouve la véracité de cette phrase.
(…)
Monsieur Jean-Claude PERRAULT, Maire de Mandres-les-Roses, j’aurais deux souhaits à formuler auprès de vous, n’ayez crainte, ils sont facilement réalisables :
le premier : que dans le futur plan d’urbanisme de votre Ville, il soit prévu, soit une rue, une place, un square, un jardin d’enfants, peut-être à un carrefour très fréquenté de votre Cité, ou sur tout autre édifice public, qu’un de ces lieux soit baptisé :

« MELISSON »
« Justes parmi les Nations ».

(…) Mon second souhait serait de vous demander, Monsieur le Maire, d’exposer les feuillets de mon discours et de mon plaidoyer dans votre belle Mairie, afin de donner l’envie, au moins à l’un de vos concitoyens, voire l’un de vos collaborateurs, de les consulter, et de les parcourir, cela représenterait pour moi une immense joie, et je pourrais continuer, le temps qu’il me reste à vivre, à me reposer moralement, tout comme Jonas l’avait désiré en son temps. Je voudrais remercier tout particulièrement mon époux qui, pendant cette longue période de démarches auprès de Yad Vashem Jérusalem et Paris, m’a toujours soutenue, aidée pendant mes moments de découragement et de désappointement, avec qui j’ai conçu ce discours et ce plaidoyer.
MES CHERS AMIS, je voudrais, pour terminer, avoir une pensée toute particulière pour ma mère et mon frère qui ont traversé cette période de la guerre cachés à PARIS dans le 18ème arrondissement qui, j’en suis sûre, pensaient tous les jours à moi qui était si loin d’eux car à cette époque, Mandres-les-Roses était le bout de la terre.
Malheureusement, ils ne sont plus de ce monde mais je suis certaine qu’ils auraient été particulièrement heureux de participer à cet hommage de mémoire rendu à CES JUSTES.
MAMAN, JACQUOT, JE PENSE TRES FORT A VOUS, MES DEUX ETRES SI CHERS DONT LE SANG QUI COULAIT DANS VOS VEINES EST AUSSI LE MIEN.
Je remercie toutes les personnes présentes au cimetière, une fois la cérémonie oeucuménique terminée, d’avoir bien voulu rendre un dernier hommage à ces JUSTES en éparpillant quelques grains de sable de Jérusalem, ville trois fois Sainte et en déposant sur leur sépulture un petit caillou de la même provenance, preuve de leur recueillement en ce jour du 19 Avril 2009.
MERCI A TOUS D’AVOIR PRIS LE TEMPS DE M’ECOUTER.

(s) Thérèse Altglas,
L’enfant que « Mémé & Pépé ont eu à travers moi, Thérèse, la petite juive.

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